Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Festival


Ici, c'est Arras (13)

 

Eternal de Ulaa Salim

Drame, romance et science-fiction : Eternal, du Danois Ulaa Salim, est donc tout cela à la fois. Et on peut y ajouter aussi la chronique d'un monde dont le climat se dérègle. Au fond, l'idée générale, c'est de combler les failles : celle de la croûte terrestre, dans l'aspect d'anticipation scientifique du récit, mais aussi celles du personnage principal et de son histoire d'amour qui n'a pas abouti. A moins que .... C'est sur ce thème des vies que l'on n'a pas vécues que Eternal est le plus romantique et le plus aventureux, aussi, mélangeant ce qui semble être une réalité et en imaginant une autre, mais n'en disons pas plus, au spectateur de trouver sa voie dans le champ des possibles. Avec des sujets tout de même dramatiques, le cinéaste signe pourtant une œuvre plutôt douce et apaisante, de même que poétique, par instants. On a le droit de passer à côté, bien sûr, et de trouver à la fois le discours écologique convenu et l'histoire d'amour sans grand intérêt. Mais ce serait dommage car le film ne nous force à rien, sinon à admirer et à réfléchir sur le sens de la vie et de notre place sur la planète Terre. Se laisser emporter et divaguer, donc, pour en débattre, pourquoi pas, après la projection de ce long métrage qui n'est pas sans références mais également unique en son genre.

 

The Hungarian Dressmaker de Iveta Grofova

La première indépendance de la Slovaquie a été moins glorieuse que la plus récente, et pour cause, puisqu'il s'agissait, pendant la deuxième guerre mondiale, de la création d'un "État satellite" de l'Allemagne. C'est ce que nous conte la cinéaste Iveta Grofova dans The Hungarian Dressmaker, chronique de la vie d'une veuve, aux alentours de Bratislava, qui cache un enfant juif dans les dépendances de sa maison. Cette femme, isolée au milieu des pressions de toutes sortes, va devoir survivre et rester digne, ce qui n'est pas une mince affaire; Le sujet en lui-même devrait nous passionner mais le récit, complexe, ne nous facilite pas la tâche, avec les différentes langues parlées : Slovaque, Tchèque, Allemand, Hongrois, difficiles à identifier systématiquement. L'évocation de cet État slovaque fasciste n'est pas loin d'être tabou à Bratislava et il faut un certain courage à la réalisatrice pour l'aborder frontalement mais pour qui découvre plus ou moins cette histoire, l'accès n'est pas des plus évidents et le scénario de The Hungarian Hairdresser a tendance à nous désorienter. Reste le portrait d'une femme déterminée, bien que perdue, incarnée avec conviction par la lumineuse Alexandra Borbély.

 

Le Déluge de Gianluca Jodice

Mélanie Laurent en Marie-Antoinette, cela n'était pas une évidence mais que dire de Guillaume Canet (qui a enduré 4 heures de maquillage quotidien) dans le rôle de Louis XVI, personne ne l'avait imaginé, sauf Gianluca Jodice, le cinéaste napolitain qui a notamment tourné le Making of de La grande Belleza. Le début de Le Déluge, avec ses plans larges, fait d'ailleurs penser à Sorrentino, avant que l'intimisme ne prenne le dessus pour raconter les derniers jours du couple royal, devenu les citoyens Capet. Bien que basé sur les mémoires du valet du roi, le film se veut plus métaphysique que historique, dixit son réalisateur. Pourtant, on retient davantage les silences que les conversations entre Louis et Marie-Antoinette qui vivent leur "apocalypse personnelle" de manière très différente. On ne prétendra pas que la vision du récit sur ces deux figures surprendra : malgré son air balourd, Louis XVI manifeste une intelligence faite de simplicité et son épouse, assez antipathique, conserve toute sa morgue aristocratique. A quoi bon un nouveau film sur un sujet déjà tellement traité au cinéma et dans les livres, c'est sans doute la question que l'on pourra se poser devant Le Déluge. Pour son entame et quelques scènes inspirées, voire surprenantes (le viol, le bourreau et le roi), plus que pour les interprétations, on pourra qualifier le film de relativement agréable à regarder. Les Capet, coupez !

 


18/11/2024
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Ici, c'est Arras (12)

 

Le dossier Maldoror de Fabrice du Welz

Le malaise est une constante des films de Fabrice du Welz et il atteint une sorte d'acmé dans Le dossier Maldoror (qu'en aurait pensé Lautréamont ?) qui évoque de manière très peu confortable une affaire qui a traumatisé la Belgique : l'affaire Dutroux, pour ne pas la nommer. Le film n'est pas centré sur la personnalité du monstre mais sur celui d'un policier (fictif) qui représente une sorte de conscience de même que le fantasme d'un homme qui avait tout compris avant tout le monde.et devient justicier solitaire. L’ambiguïté du métrage vient du mélange du faux et de l'avéré, dans un maelström de scènes, certaines à la limite du crapoteux, qui montrent la virtuosité du cinéaste mais aussi un certain goût pour une forme de perversité dont on est en droit de se demander quelles sont les véritables visées. L'une d'entre elles, évidente, est de faire état de la concurrence entre les trois corps policiers qui ont participé, peu ou prou, à l'enquête, tout en la ralentissant. Au-delà de l'affaire elle-même et de ses mises en cause jusqu'à des individus haut placés, le film s'intéresse particulièrement au caractère obsessionnel qu'il peut revêtir, dans le cas d'un flic intègre mais capable de passer outre les limites de sa fonction. Dans ce rôle; Anthony Bajon est époustouflant, phagocytant le film et laissant des miettes à des acteurs sous-employés et parfois moyennement crédibles dans leurs personnages, à l'instar de Sergi Lopez, Laurent Lucas ou Béatrice Dalle. Reste au final une œuvre puissante, trouble et équivoque, au sein d'une histoire bien glauque.

 

Marco, l'énigme d'une vie de Aitor Arregi et Jon Garano

L'affaire Enric Marco avait déjà fait l'objet d'un roman très documenté de Javier Cercas, paru en France en 2015, sous le titre de L'Imposteur. Un sujet sur lequel planchent depuis un certain temps les cinéastes espagnols Aitor Arregi et Jon Garaño, avec pour première idée d'en faire un documentaire, projet qui n'a finalement pas abouti. Et c'est donc sous la forme d'une fiction qu'ils l'ont repris, avec Eduard Fernández dans le rôle principal, absolument remarquable. Le film suit cette grande imposture, celle d'un homme, président de l'association des déportés espagnols, sans avoir jamais été interné dans un camp de concentration, à partir du moment où ses mensonges sont proches d'être découverts. Avec quelques courts flashbacks, qui résument parfaitement le cheminement de ce mystificateur qui ne craignait pas de se regarder dans un miroir, sans éprouver le moindre remords. Le film retranscrit parfaitement le pouvoir de conviction de l'affabulateur et son éthique pathétique mais réussit également à en faire un individu qu'on ne peut totalement vouer aux gémonies, eu égard au bien qu'il a fait, paradoxalement, pour les vrais déportés espagnols, ignorés pendant longtemps dans leur pays, même après la fin de Franco. Avec sa mise en scène sobre et efficace, Marco, l'énigme d'une vie est une bénédiction pour tous ceux que les méandres de l'âme humaine passionnent.

 

Year of the widow de Veronika Lišková

La cinéaste tchèque Veronika Lišková vient du monde du documentaire et son premier long-métrage de fiction, Year of the Widow, s'en rapproche beaucoup, puisque inspiré des chroniques écrites dans un magazine par une veuve quadragénaire. Le film décrit donc, durant 4 saisons, les changements dans la vie de cette femme en deuil, que cela soit au sein de sa famille proche, avec les réactions contrastées selon les générations (fille, grands-parents) et le dédale administratif dans lequel la désormais veuve doit se débattre. Il y a beaucoup de pudeur dans le traitement de cette histoire mais aussi des faits plutôt insignifiants qui ne sont jamais banals pour celle qui les vit. Mais sur l'écran, via une mise en scène sans relief, le film n'a pas suffisamment d'épaisseur pour émouvoir ou simplement convaincre. On attend plus des relations entre la mère et la fille, notamment, qui n'ont quasiment aucune conversation de plus de 10 mots à partager. Visiblement, beaucoup de personnes, en Tchéquie, se sont reconnues ou ont été touchées par l'existence au quotidien de cette femme à travers ses écrits. Peut-être qu'il manque au film un véritable style pour nous faire partager avec davantage d'émoi les différentes phases qu'elle traverse ?

 


17/11/2024
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Ici, c'est Arras (11)

 

The Hunt for Meral Ö de Shijn Bouma

C'est bien plus qu'un fait divers, c'est d'un véritable scandale national, aux Pays-Bas, dont s'est inspiré Stijn Bouma pour tourner d'abord un moyen-métrage documentaire, avant de reprendre le sujet pour un film de fiction intitulé The Hunt of Meral Ö. Dans celui-ci, l'on ne peut que trépigner et s'indigner devant le traitement reçu par une mère célibataire traquée par erreur par l'administration fiscale néerlandaise. Est-ce parce parce que la contribuable en question est d'origine turque, la question peut se poser car, bizarrement, le public visé indûment par le fisc était, dans la réalité de la majorité des cas, issue de l'immigration. Du racisme larvé, le film n'insiste pas outre mesure sur cette éventualité mais la chose semble particulièrement avérée. Si l'actrice qui interprète Meral est formidable, le film aurait pu apporter un véritable contrepoint en montrant plus longuement les forces obscures qui ne cessent de la persécuter, le plus souvent pour des raisons de rendement administratif. Malheureusement, la mise en scène de Stijn Bouma n'est pas tout à fait à la hauteur de l'importance de son sujet et ne permet donc pas au film de s'élever au niveau du cinéma de Ken Loach, lequel aurait sans doute donné une toute autre densité à l'histoire de Meral Ö.

 

Honeymoon de Zhanna Ozirna

Un certain nombre de documentaires ukrainiens ont été tournés avec l'invasion russe pour sujet mais les films de fiction ont été plus rares sur le sujet, pour ne pas dire inexistants. Les raisons sont évidentes : manque de moyens, de logistique et sans soute d'envie pour inventer une histoire en arrière-plan de l'agression militaire de février 2022. Zhanna Ozirna a choisi dans Honeymoon (titre ô combien ironique) de raconter ce qui est arrivé à un couple d'amis, au début de la guerre. Ceux-ci, coincés dans leur nouvel appartement, se retrouvent obligés de "faire le mort", alors que les forces russes stationnent au pied de leur immeuble. C'est donc à un huis-clos oppressant que nous convie le film, tandis que des détonations éclatent à intervalles réguliers, à proximité. Sur le papier, l'idée est emballante mais la réalisation déçoit, ne brillant guère par ses dialogues et s'enlisant dans des situations répétitives. C'est sans doute proche de ce que fut la réalité de l'angoisse qu'a vécu le couple ami de la réalisatrice mais cela n'est pas suffisant pour nous maintenir en alerte pendant plus de 80 minutes. Vu son thème et son développement, nul doute qu'une scène de théâtre aurait plus adaptée pour nous faire participer à cette lune de miel très particulière.

 

Maria's Silence de Davis Simanis

L'actrice lettone Maria Leiko a eu son heure de gloire dans les années 20, au théâtre et dans le cinéma muet, notamment sous la direction de Murnau. Maria's Silence raconte, dans un noir et blanc somptueux, qui fait écho à l'expressionnisme allemand, les deux dernières années de sa vie, à Moscou, au sein du théâtre national de Lettonie. Très formaliste, le film suit non seulement l'itinéraire de la comédienne mais s'attarde également sur la vie quotidienne à Moscou, la faim pour les plus démunis et les excès en tous genres pour les nantis du régime, comme des croquis d'une ville qui va tomber dans la période de la 'grande terreur" où Staline fera exécuter des milliers de soi-disant opposants. C'est cette atmosphère crépusculaire que le récit capte le mieux alors que, d'un autre côté, il parvient plus difficilement à nous attacher à ses personnages, à commencer par celui de Maria, pourtant soumise à un dilemme profond : partir pour Riga mais en abandonnant sa petite-fille ou rester à Moscou et risquer son existence. Outre son style qui dépasse son épaisseur narrative, le film de Dāvis Sīmanis, peu connu malgré ses 9 réalisations, est marqué par son afflux de références culturelles et politiques qui le surchargent et lui donnent un aspect trop complexe.

 


16/11/2024
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Ici, c'est Arras (10)

 

Dwelling among Gods de Vuk Rsumovic

Avec son deuxième long métrage, dix ans après le premier, le cinéaste serbe Vuk Ršumović nous montre, s'il en était besoin, que réfugié n'est pas un métier et que, derrière les statistiques, existent des être humains qui n'ont pas fui leur pays par plaisir, l'Afghanistan, pour ce qui est des migrants en transit à Belgrade dans Dwelling among the Gods. A travers une situation précise, et dramatique, le récit nous plonge dans le dédale des administrations, avec la difficulté de prouver qui l'on est et sa bonne foi, quand on ne dispose plus de papiers. Le film se concentre plus particulièrement sur un portrait de femme, également mère et sœur, qui pour la première fois de sa vie peut enfin prendre ses propres décisions, même si c'est contre le monde entier, ou presque. Il y a quand même autour d'elle une certaine solidarité et un peu de commisération mais c'est elle, déterminée, qui devra vaincre les obstacles pour atteindre son but. Le visage et le jeu lumineux de l'actrice iranienne Fereshteh Hosseini , l'un autant que l'autre, sont les principaux atouts d'un film rude, qui menace parfois de tomber dans les excès du mélodrame. Mais la dignité de cette femme, son courage et son obstination le font basculer du côté de l'espoir, de la beauté et de l'invincibilité.

 

Gülizar de Belkis Bayrak

Gülizar, premier long métrage de la cinéaste turque Belis Bayrak, est le prénom d'une jeune femme qui entreprend un voyage vers le Kosovo où elle doit se marier. Première interrogation : pourquoi ce mariage (forcé ?) a t-il lieu en dehors de la Turquie ? Ne pas attendre de réponse, ou alors c'est faute d'attention pour la trouver, mais le film pose de très nombreuses autres questions qui ne sont jamais élucidées. A commencer par celle de la psychologie de l'héroïne, dont on s'aperçoit qu'elle aime jouer avec des allumettes, jouer n'étant pas le verbe adéquat, peut-être, toujours est-il que c'est son moyen à elle de communiquer. Son mal-être ou son inadaptation au monde adulte, sans doute, mais ce n'est pas certain non plus. Si l'on comprend bien que la réalisatrice a voulu décrire une société régie par les hommes, elle le montre de manière indirecte, qui est peut-être trop subtile pour être comprise totalement. D'aucuns ont évoqué un thriller à mèche lente, pour évoquer Gülizar, mais il faut beaucoup de bonne volonté pour souscrire à une telle caractérisation. Nous sommes plutôt devant une chronique d'aujourd'hui où le mystère de la mariée du Kosovo reste en grande partie entier.

 

Radio Prague de Jiri Madl

C'est l'histoire en direct qui s'écrit sous nos yeux. Radio Prague, les ondes de la révolte est la chronique d'un printemps assassiné, celui de 1968, évidemment, raconté sur un rythme de thriller américain et soutenu par une B.O remarquable. Le film commence près d'un an avant les événements que l'on connaît, avec l'embauche d'un jeune technicien à la radio nationale tchécoslovaque, lequel garçon sera une sorte de fil rouge des différentes péripéties qui vont émailler la vie d'un pays sous influence soviétique, jusqu'à son émancipation, très provisoire. Le suspense va crescendo, bien que l'issue de cette révolte pour la liberté ne soit pas un mystère et le réalisateur, Jiří Mádl, mêle très habilement images d'archives et scènes tournées par ses soins, créant une dynamique intégrale et donnant l'impression d'être plongé en plein cœur des combats de rue, en particulier. Si la grande Histoire est au rendez-vous, c'est la plus petite, celle de héros, de lâches ou de profiteurs (beaucoup de personnages ont réellement existé) qui est aussi contée dans un style d'une élégance folle, qui rappelle, par certains côtés, le Leto de Kirill Serebrennikov.. Puissance et en même temps légèreté, la mise en scène de Radio Prague se propage sur les ondes d'un espoir collectif brutalement saccagé.

 


16/11/2024
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Ici, c'est Arras (9)

 

White Courage de Marcin Koszalka

White Courage n'est que le deuxième long métrage du cinéaste polonais Martin Koszalka, quelque 9 ans après le passionnant Red Spider. Un passage du rouge au blanc pour une nouvelle fresque historique qui nous transporte dans les montagnes enneigées des Tatras, où vit un peuple fier de ses traditions, avant et pendant la seconde guerre mondiale. White Courage est l'histoire dramatique de deux frères qui s'opposent, avant que l'occupation allemande ne rebatte les cartes. Des polémiques sont nées en Pologne, quand le film est sorti, car il sort de l'oubli des comportements pas forcément très glorieux à l'époque. Les curseurs du romanesque et de la tragédie sont poussés à l'extrême dans un film où, avant même le scénario, un peu tortueux, l'on retiendra d'abord les somptueuses images, également signées par Martin Koszalka. Mais l'aspect historique n'est évidemment pas à négliger avec, en particulier, cette obsession de la race supérieure chez les envahisseurs germains, sans cesse à la recherche de peuples répondant à des caractéristiques "parfaites." Et il n'est jamais mauvais, non plus, de montrer que l'héroïsme n'a pas toujours été dominant dans les pays occupés par les puissances de l'Axe et que ces zones grises, qu'elles soient flamandes, croates, slovaques, françaises, finlandaises ou polonaises, entre autres, ne méritent pas qu'on les maintienne sous silence.

 

The New Year that never came de Bogdan Muresanu

En novembre 2023, l'Arras Film Festival présentait Libertate, un film roumain qui évoquait les débuts de la révolution de 1989, à travers un récit choral. Un an plus tard, toujours à Arras, un nouveau film roumain, sur le même mode, aborde la dernière journée avant le basculement, à Bucarest et dans ses environs. Plusieurs personnages, d'âge et de conditions dissemblables, nous sont donc présentés à l'écran et il faut un certain temps pour identifier ceux que l'on va retrouver au fil des minutes, sachant que les interactions entre les différents protagonistes sont plus ou moins importantes. Le réalisateur, Bogdan Mureşanu, est assez habile pour varier les tonalités, les moments les plus absurdes succédant aux plus dramatiques mais c'est bien la veine tragi-comique qui est la plus efficace, permettant de s'immiscer dans les foyers ou la télévision roumaine, alors que, par prudence, gloire est toujours rendue à Nicolae Ceaușescu, en public, et beaucoup moins, euphémisme, dans les cercles privés. Ce nouveau film consacré à cette période cruciale de l'histoire contemporaine de la Roumanie n'est sans doute ni le meilleur ni le dernier à traiter du sujet mais il faut accorder à Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé la capacité de parvenir à faire que notre intérêt aille crescendo, jusqu'aux très émouvantes séquences finales.

 

Jouer avec le feu de Delphine et Muriel Coulin

Que dire de neuf à propos de Vincent Lindon, pour sa prestation dans Jouer avec le feu où son rôle de père cheminot, élevant seul ses deux fils, semble taillé à sa gigantesque mesure. Mais ne l'assure t-on pas de chacun des personnages qu'il interprète, même de ceux qui ne sont pas engagés politiquement ? Quoi qu'il en soit, on était assez curieux de voir l'acteur dans le cinéma de Delphine et de Muriel Coulin, qui commence à prendre une vraie épaisseur, avec le temps. Dans jouer avec le feu, la perspective peut paraître surprenante puisque ce n'est pas tant le garçon qui "vire facho" que l'on suit de près mais bel et bien son père, volontaire mais impuissant, et, accessoirement son autre fils. C'est un peu comme si on avait le contrechamp sans avoir eu un véritable champ, d'ailleurs parfois hors champ, volontairement. Le récit surprend un peu, dans sa dernière partie, comme si les réalisatrices s'étaient rendu compte qu'il leur fallait un événement important pour donner de la densité à leur histoire. On est en droit de penser que non, ce n'était pas nécessaire, à partir du moment où le film jouait depuis le début sur un tempo moderato, subtil mais manquant sans doute de mordant, aux yeux de certains, pour qui démontrer est aussi important que montrer. Moyennant quoi, Jouer avec le feu n'atteint peut-être pas le niveau qualitatif espéré, ceci ne remettant surtout pas en cause l'interprétation magistrale de Vincent Lindon.

 


15/11/2024
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Ici, c'est Arras (8)

 

Raw Material de Martin Boross

Raw Material commence de manière presque insouciante quand un trio débarque de Budapest pour animer

un atelier créatif vidéo, à destination d'adolescents, dans un petit village du fin fond de la Hongrie, dont la

principale particularité est la culture du concombre. Rien ne va se passer comme prévu et les visiteurs vont

notamment découvrir comment le maire dirige le bourg d'une poigne de fer, tandis qu'une partie de la

population, les Roms, sont méprisés et discriminés. C'est une sorte de mise abyme pour le réalisateur,

Martin Boross, dont c'est le premier long métrage et l'on peut aussi se demander si le message véhiculé ne

vise pas l'entièreté d'un pays dont on connaît la direction prise sous la houlette de son président.

Malheureusement, le film n'atteint pas vraiment sa cible, d'abord à cause de son côté foutraque et ensuite

du manque d'attachement à ses personnages, dans une satire qui s'étire et ne convainc pas, par une

utilisation trop prudente de l'absurde, par exemple, même si un concombre est envoyé dans l'espace. La

réflexion sur la signification de l'art et des images est quant à elle davantage proche de l'ébauche.

 

Leurs enfants après eux de Ludovic et Zoran Boukherma

Si la logique existe, il n'y a aucune raison que Leurs enfants après eux ne connaisse pas un succès comparable à L'amour ouf, tellement on peut y déceler des points communs : la durée, l'aspect social, un amour contrarié, les ellipses temporelles, sans parler de Gilles Lellouche, lequel, pas à la réalisation mais dans un second rôle poignant surpasse largement les autres interprètes du film, bien que Ludivine Sagnier, Angela Woreth et Sayyide El Alami, entre autres, soient des plus convaincants (un bémol pour Paul Kircher, au jeu inégal). Pour les cinéastes, Ludovic et Zoran Boukherma, c'est évidemment un sacré virage, eux qui avaient réussi leurs premiers films de genre, mais leur maîtrise du romanesque n'est finalement pas une surprise. Du livre éponyme de Nicolas Mathieu, Goncourt 2018; on pouvait lire ceci, en quatrième de couverture : "Nicolas Mathieu écrit le roman d’une vallée, d’une époque, de l’adolescence, le récit politique d’une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt. Quatre étés, quatre moments des années 90 pour raconter des vies à toute vitesse dans cette France de l’entre-deux." Dans son adaptation plus que fidèle, le film respecte la trame et le décor de l'ouvrage et même si le style de l'auteur ne se retrouve pas vraiment à l'écran, les deux frères réalisateurs inventent leur équivalent, dans une mise en scène sobre mais parfois éruptive, dans une mélancolie prégnante et une B.O très présente (trop ?), capable du plus grand écart, d'Aerosmith à Cabrel. C'est sur la longueur que Leurs enfants après eux gagne son pari de fresque habitée, avec les désillusions qui priment, dans cette vallée de larmes.

 

Brûle le sang de Akaki Popkhadze

Quand Akaki Popkhaze déclare que son film Brûle le sang "déborde d’une masculinité toxique", personne n'osera prétendre le contraire tellement tout y est brutal, viril et radical. Avec un avis de sale temps sur la Côte d'Azur, en commençant par l'assassinat d'un membre estimé de la communauté géorgienne à Nice. La suite sera placée sous le signe de la vengeance et guère atténuée par les tempéraments plus ou moins belliqueux des différents protagonistes. Nous voici proche du film de gangsters à l'ancienne, avec un sens de la famille aiguisé et quasi aucun personnage de femme à l'horizon, si ce n'est une mère consolatrice mais impuissante devant la bestialité des hommes. Mis à part une succession quasi ininterrompue de scènes d'action, il n'y a malheureusement pas vraiment autre chose à picorer dans Brûle le sang, dont aucun personnage n'est réellement approfondi, alors qu'il y avait matière pour. Entre un Nicolas Duvauchelle habité et un Finnegan Oldfield halluciné, Denis Lavant semble le plus sage d'entre tous, ce qui est sans doute la plus grande surprise du long métrage. En montrer un peu plus de la famille géorgienne qui est au centre du récit aurait permis de tromper l'ennui entre deux fusillades mais ce n'est que rarement le cas, hélas.

 

 


15/11/2024
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Ici, c'est Arras (7)

 

L'Attachement de Carine Tardieu

Cela n'a pas dû être facile, pour Carine Tardieu, de présenter le pitch de son nouveau projet, à ses éventuels producteurs et financeurs, car son sujet n'est pas de ceux qui apparaissent d'emblée comme éminemment rentables. L'Attachement est l'adaptation d'un roman d'Alice Ferney, qui porte le titre peut-être plus explicite de L'Intimité. Mais la réalisatrice a sans doute été convaincante, elle qui a montré, dans le passé, qu'elle était très à l'aise pour capter l'aventure de la vie à travers des personnages brinquebalés avec un don certain pour mettre un peu de fantaisie dans le quotidien, même quand son caractère devient dramatique. Dire que L'Attachement est attachant, cela sonne comme un évident pléonasme pour une comédie douce-amère, quelquefois absurde, qui aborde tout un tas de sujets comme le deuil, la famille, la paternité, le célibat, l'amitié, etc. Et aussi, plus globalement, le rapport aux autres, quand on a choisi la liberté et le détachement, comme dans le cas de Valeria Bruni Tedeschi, une voisine un peu renfrognée qui devra s'impliquer, pour un des meilleurs rôles de l'actrice, bien plus douce qu'à l'accoutumée, et cela lui va très bien. Elle est entourée d'une belle brochette de comédiens talentueux, admirablement dirigés : Pio Marmaï, Vimala Pons, Raphaël Quenard, etc.

 

Le joueur de go de Kazuya Shiraishi

Céki Kazuya Shiraishi ? Un cinéaste japonais plutôt prolifique qui œuvre en majeure partie dans le cinéma de genre et que la sortie du Joueur de go va permettre de faire connaître en France, avec un film très beau plastiquement, qui recrée le Japon féodal avec beaucoup de goût, au sein d'un récit qui ne manque ni d'intérêt ni de panache. De là à y voir l'esprit de Akira Kurosawa, il ne faut quand même pas s'emballer car le film possède quelques longueurs, notamment dans les subtiles parties de go pour lesquelles il est difficile de s'enthousiasmer quand on en ignore les règles. Cependant, le personnage principal du film est fascinant, un samouraï de grande lignée, déclassé au rang de rônin, vivant modestement avec sa fille. Mais dont il ne faut pas titiller l'honneur, auquel cas il retrouvera la voie de sa caste initiale et un impitoyable sens de la vengeance. Les combats sont peu nombreux dans Le joueur de go mais brillamment exécutés. Ils passent néanmoins derrière le caractère profondément humaniste du film, qui séduit encore davantage quand celui-ci se laisse aller à des scènes pittoresques ou franchement drôles. Là, oui, Shiraishi retrouve par instants l'âme du grand cinéma japonais classique des années 50 et 60.

 

Sous tension de Penny Panayotopoulou

La mauvaise image des Urgences, à l'hôpital, n'est pas circonscrite à la France. Regardez plutôt ce qu'il se passe, en Grèce, dans Sous tension, réalisé par la cinéaste Penny Panayotopoulou. C'est à cet endroit que travaille, en tant qu'agent de sécurité, le personnage principal du film, un homme encore peu établi dans sa vie professionnelle et privée. Le réalisme social à la grecque n'a rien à envier, quand il évoque la précarité et la corruption, à celui que l'on peut voir chez les Dardenne ou chez Loach, pour ne prendre que des exemples qui parlent à tout un chacun. Mais le film a beau être sous une tension presque constante, il n'en est pas à restreindre tout espoir, que cela soit à travers l'enthousiasme de la jeune nièce du héros, le sourire un peu triste de la mère, une portée de chatons ou encore un oranger qui donnera peut être des fruits, à la prochaine saison. Dans cette Grèce hivernale, où il faut se battre pour survivre et ne pas céder à la dépression, Sous tension, sans misérabilisme mais avec dignité, relate des temps difficiles pour les plus modestes mais ne manque jamais de redonner sa chance à ceux qui ont subi des aléas dramatiques. Cet état d'esprit du scénario du film de Penny Panayotopoulou, cela ressemble beaucoup à ce que l'on appelle l'humanisme.

 


14/11/2024
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Ici, c'est Arras (6)

 

The Gardener's Year de Jiri Havelka

De tout temps et de toute contrée, la lutte du petit pour ne pas être dévoré par le gros a alimenté les créateurs de fiction, en puisant dans les multiples exemples de la vie réelle, si besoin est, qui en est prodigue. Ainsi, L'année du jardinier, qui est aussi le titre d'un livre célèbre de Karel Čapek, prend-il le cas d'un vieux jardinier tchèque, qui ne vit avec son épouse que dans le rythme des saisons, des semailles et des récoltes, opposé à un nouveau et richissime voisin qui n'a de cesse de racheter toute la terre environnante, pour son seul bon plaisir. A chaque mois suffit sa peine et notre bon et tranquille jardinier, homme de peu de mots [spoiler](d'aucun, d'ailleurs, un choix surprenant du scénario qui ne rend pas vraiment service ni au personnage, ni au film)[/spoiler] se voit harcelé pour qu'il vende, dans une sorte de crescendo, qui ne peut cependant éviter une répétition finalement lassante. Le film se veut une satire mais elle n'est guère drôle et parler de Kafka n'a pas plus de sens, dans un récit qui obéit à une certaine logique de chaîne alimentaire, bien conforme à la doctrine d'un capitalisme qui broie sans états d'âme ceux qui croisent sa route. Le plus sympathique dans The Gardener's Year n'est pas la sempiternelle lutte du pot de terre contre le pot de fer mais bien l'hymne à la nature et à ceux qui consacrent leur vie à en extraire les savoureux fruits.

 

The Trap de Nadejda Koseva

Il est libre, Yovo. Veuf, avec une fille au loin, mais heureux de vivre au contact de la nature. Quitte à passer pour un original, il se balade souvent avec un duo de corbeaux sur l'épaule, nourrit un loup, et vient déposer devant la mairie les emballages abandonnés par des touristes d'un jour, sur une île toute proche, au beau milieu du Danube. Bien entendu, il doit faire face à un environnement sans scrupules, dominé par l'argent, que cela soit pour accueillir des déchets nucléaires ou organiser une battue au sanglier pour un riche Français (eh oui !). Bref, c'est l'éternel lutte du pot de terre contre le pot de fer dont l'issue semble facile à deviner. Dans Klopka, la cinéaste bulgare Nadejda Koseva laisse du temps au temps et à la contemplation, peut-être un peu trop. Mais son film n'est pas exempt de poésie, joliment réalisé et superbement interprété., y compris par les animaux. Un hymne écologique où les profiteurs et leurs alliés ne gagneront pas nécessairement pas à la fin, qui sait ?

 

Andrea gets a Divorce de Josef Hader

Comparé à ses compatriotes cinéastes autrichiens, Michael Haneke et Ulrich Seidl, Josef Hader s'avère moins féroce, ce qui ne l'empêche pas de s'exprimer rudement sur son pays et sa mentalité (La tête à l'envers). Une fois encore, dans Andrea gets a Divorce, il s'est réservé un rôle bien chargé mais ce n'est pas lui le "héros" d'une histoire qui en dit assez long sur l'exode rural et la vie, quelque peu pathétique, de ceux qui sont restés vivre à la campagne, faute d'espérer mieux, sans doute et par habitude. Andrea est une policière désireuse de divorcer et de rejoindre une ville plus importante que la modeste bourgade où elle habite et où il ne se passe presque jamais rien. Le presque vient bien entendu égayer un scénario suffisamment malin pour créer des situations incongrues qui donnent quelques soucis à Andrea et à plusieurs habitants de son village, lesquels se connaissent tous. Dans un univers où boire ou ne pas boire semble être la question essentielle, le réalisateur fait montre à la fois de cruauté et de tendresse pour ses personnages, un peu perdus, un peu résignés, un peu fatalistes. La mise en scène, simple mais efficace, et l'interprétation, impeccable, contribuent à nous rendre proches ces femmes et hommes rustiques dans leur autrichienne de vie.

 


13/11/2024
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Ici, c'est Arras (5)

 

Au pays de nos frères de Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi.

Il y aurait actuellement autour de 5 millions de réfugiés afghans en Iran. Même s'ils parlent la même langue que les habitants de leur pays d'adoption, ils n'en sont pas moins, la plupart du temps, que des citoyens de seconde zone, susceptibles d'être expulsés, pour des raisons plus ou moins sérieuses. Ce sont eux qui sont au premier plan dans Au pays de nos frères, premier long métrage de Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi. Les réalisateurs ont habilement choisi de raconter trois histoires situées chacune au début d'une des décennies de ce siècle. Si les films à "sketches" se caractérisent assez souvent par leur intérêt inégal, ce n'est pas le cas ici, dans un triptyque qui varie les situations et les personnages pour, au final, dégager une impression homogène de mépris, voire de racisme, de la part de la population née en Iran vis-à-vis de ces "frères" néanmoins étrangers. Aucun excès, pas plus mélodramatique que outrancier, n'est à déplorer dans un film qui montre une grande tendresse pour ses personnages aux abois, soumis à un certain arbitraire, et obligés de composer en fonction, y compris par le mensonge, quand cela est vital. Le cinéma de Amirfazli et de Ghasemi n'a certes pas la puissance de celui d'un Mohammad Rasoulof, par exemple, mais leur maîtrise narrative et la douceur trompeuse de leur mise en scène se révèlent parfaitement adaptées au type d'histoires, édifiantes, pour lesquelles ils ont opté.

 

Berlin, été 42 de Andreas Dresen

Au vu de son titre, Berlin, été 42 (d'ailleurs différent en allemand), l'on se doute bien que le film d'Andreas Dresen ne va pas être une comédie légère ni une partie de plaisir. Basé sur l'histoire réelle d'une jeune femme qui appartenait, avec son mari, à une organisation plus tard appelée "l'orchestre rouge", une grande partie du long métrage est rude, en effet, le réalisateur ayant délibérément choisi la voie du réalisme pour nous conter une histoire dont on ne peut ignorer qu'elle sera désespérée. Cependant, le récit se situe sur deux temporalités séparées de quelques mois seulement : au présent de 1943, avec son héroïne, Hilde, emprisonnée, et dans un passé récent, lumineux, où la lutte contre les forces obscures qui sévissent en Allemagne n'empêche pas les sentiments. Hilde est une jeune femme qui suit le chemin risqué de son époux, beaucoup par conviction idéologique mais surtout par amour. Les flashbacks se succèdent mais construits dans un rebours temporel, contrastant fortement avec le sort réservé à Hilde et à ses amis. A noter que les "petites mains" de l'administration allemande de cette funeste époque ne sont pas décrites comme des monstres mais comme des fonctionnaires zélés qui ne discutent pas les ordres, ce qui est sans soute plus effrayant, encore pour montrer les rouages de cette machine à broyer les opposants. Quand à Liv Lisa Fries, dans le rôle de Hilde, elle est absolument exceptionnelle.

 

After Party de Vojtěch Strakatý 

Avec After Party de Vojtěch Strakatý, nous avons la promesse d'un récit d'apprentissage, genre ô combien encombré sur la route du cinéma, doublé d'une course contre le montre de 24 heures. Notons d'emblée que l'héroïne de l'histoire a 23 ans et que parler d'apprentissage, dans son cas, est un peu excessif, même si elle est confrontée, durant cette journée d'enfer, à pas mal de tourments et surtout à une vision nouvelle et peu agréable de son propre père. Quant au suspense annoncé, il fait rapidement long feu et le film a du mal à s'étirer sur près de 90 minutes pour ne pas se répéter. Que retenir alors de After Party ? Une histoire fraîche d'amitié et de sororité, incarnée par deux actrices tout à fait charmantes et une critique assez conventionnelle des dégâts du capitalisme en République Tchèque, à travers une famille très bourgeoise qui vit manifestement bien au-dessus de ses véritables moyens. Le film, agréablement réalisé, manque de profondeur et on aurait aimé y trouver davantage sur des relations familiales qui ne nous sont montrées qu'à travers les moments d'une crise majeure. Même chose pour sa protagoniste principale dont on ne sait strictement rien au début du film et pas beaucoup plus à la fin. Difficile, dans ces conditions, de sentir concerné par son dilemme.

 


13/11/2024
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Ici, c'est Arras (4)

 

U are the Universe de Pavlo Ostrikov

Une odyssée de l'espace à la sauce ukrainienne ne peut ressembler à son équivalent américain, non seulement en fonction des moyens alloués mais aussi par l'état d'esprit. Pavlo Ostrikov a mis 7 ans pour concrétiser son projet mais le résultat vaut l'investissement, mêlant habilement les références attendues (un clin d’œil à Kubrick, en passant) et une certaine originalité dans un récit qui doit beaucoup à la personnalité de son héros, convoyeur de l'espace, soit une sorte de prolétaire comparé aux astronautes (cosmonautes), ces héros que l'on a l'habitude de côtoyer dans les étoiles. C'est un ton tragi-comique qui fait tout le prix de U are the Universe, qui multiplie les scènes d'interactions entre l'homme seul et son robot assistant, avant de basculer sur tout autre chose, que l'on peut qualifier de romantisme astral. Très adroitement, le scénario du film, qui menaçait de devenir répétitif, se régénère de lui-même avec deux twists coup sur coup, dignes d'un blockbuster américain, sauf qu'il incorpore un enjeu poétique qui nous mène tout droit vers un dénouement délicieux. Précisons tout de même que le même acteur est à l'écran pendant 100 minutes, coincé dans son habitacle, et qu'il ne nous ennuie jamais par sa faconde et son sens de l'ironie permanent. Volodymir Kravchuk, tel est son nom, et dommage si sa tête ne vous revient pas car il occupe l'espace, c'est le cas de le dire, avec un certain panache.

 

Une part manquante de Guillaume Senez

Cette nouvelle collaboration entre Guillaume Senez et Romain Duris, après le superbe Nos batailles, prend de nouveau la paternité comme sujet central. Mais ce Jamais sans sa fille nippon prend tout son temps pour en arriver au cœur du réacteur humain, avec son personnage de chauffeur de taxi français, exilé au Japon, et qui joue parfois les bons samaritains dans des situations dramatiques, proches de la sienne, que l'on apprend peu à peu. Ce thème des couples binationaux dont l'un est privé de la garde de son enfant a nourri de nombreux articles tant la législation japonaise semble parfois inique, et totalement incompréhensible pour nos yeux d'occidentaux. Le récit s'attache à nous faire connaître son personnage principal, en diluant parfois l'intérêt (les relations avec son propre père, le singe domestique) jusqu'à ce que, enfin, plusieurs scènes laissent les sentiments s'exprimer au grand jour, suscitant une belle émotion, qui n'a peut-être que le défaut d'être trop tardive. Une part manquante est cependant de la belle ouvrage, écrite avec sensibilité et filmée sans prétention, et qui ne se nourrit pas trop des clichés souvent inhérents aux longs métrages se déroulant au pays du soleil levant. Pour qui apprécie Romain Duris, c'est un vrai régal et qu'il soit presque toujours à l'écran est une précieuse aubaine.

 

Spectateurs! de Arnaud Desplechin

Mais c'est quoi donc, Spectateurs! ? Une déclaration d'amour au cinéma et aux salles qui le célèbrent, oui, assurément. Mais c'est surtout un objet hybride où il est question de ceux qui le font et que Arnaud Desplechin admire : Bergman, Rossellini, Ford, Truffaut, etc, et de ceux qui le regardent, vous, moi, lui, spectateurs de films d'auteur mais aussi de blockbusters. C'est un fourre-tout, un objet hybride, aussi bien un documentaire qu'une fiction, avec quelques saynètes décrivant Paul Dédalus, le double de Desplechin, à l'enfance, l'adolescence et la jeunesse, avant de passer derrière la caméra. Comme Carax, récemment, le réalisateur de Rois et reine égrène, sème et se souvient. Certains passages sont plus marquants que d'autres, ceux où il évoque longuement Jacques Lanzmann et son monumental documentaire Shoah, en particulier. Pas d'ennui véritable à signaler dans Spectateurs! car tout s'enchaîne sinon naturellement, du moins avec un certain rythme, même si le commentaire pontifie parfois en voix off. L'enthousiasme et la générosité de Desplechin sont palpables mais prennent-ils vraiment une forme susceptible de susciter une adhésion immédiate ? Disons qu'on a le droit de rester quelque peu circonspect, comme on a pu l'être, il y a quelques années, devant un essai cinématographique de Jean-Luc Godard.

 


12/11/2024
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