Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Festival


Journal de La Rochelle (9)

 

A feu doux (Familiar Touch) de Sarah Friedland

Sur un thème régulièrement traité au cinéma, ces dernières années, À feu doux se place d'emblée au côté de son personnage principal, une vieille femme digne, qui croit encore maîtriser la réalité qui l'entoure. Sur son état, l'on comprendra aisément ce qu'il en est, de par les conversations entendues à la volée, dans un nouvel environnement pour elle. Avec pudeur et bienveillance, Sarah Friedland nous fait ressentir ce que la tête de son héroïne enregistre et analyse, sans céder un pouce à une vision pathétique des choses, bien que la tonalité globale soit évidemment d'une grande tristesse. Toute aussi délicate est la manière de montrer les rapports d'un fils avec une mère qui perd peu à peu le contact et insiste parfois dans le déni, sans oublier le travail des soignants. À feu doux a obtenu pas moins de trois prix dans le cadre de la Mostra de Venise 2024 : celui de meilleur premier film et, dans la section Orizzonti, celui de la meilleure actrice pour Kathleen Chalfant, ce qui semble amplement mérité, eu égard à sa prestation, tout en finesse, et enfin, celui de la mise en scène, distinction plus contestable car c'est bien le domaine dans lequel le long métrage reste on ne peut plus classique, voire même paresseux et sans grande créativité, malheureusement.

 

Que la bête meure de Claude Chabrol (1969)

Que la bête meure prend place dans la période la plus féconde de Claude Chabrol, adapté d'un livre policier signé du père de Daniel Day-Lewis. Philippe Noiret ayant renoncé au rôle de salaud que lui proposait le réalisateur (pour cause de mal de mer), Chabrol sonde Jean Yanne pour savoir s'il verrait un inconvénient à jouer une crapule et se voit offrir cette belle réponse par l'acteur : je n'y vois pas d'abjection. Pour cette fois, le cinéaste ne privilégie pas l'étude sociale, focalisant l'intérêt sur le duel entre ses deux personnages principaux, Jean Yanne, donc, et Michel Duchaussoy, tous les deux remarquables. Caroline Cellier et Maurice Pialat, dans des rôles secondaires, sont également parfaits. L'intrigue use parfois de ficelles un peu grosses mais qui y retrouverait à redire, franchement, avec une copie neuve qui rend grâce à l'excellence du travail de mise en scène. 

 

Little Trouble Girls (Kaj ti je deklica) de Urška Djukić 

Née en 1986, en Slovénie, Urška Djukić a notamment réalisé un court-métrage intitulé La vie sexuelle de ma

grand-mère. De quoi lui faire confiance, assurément, au moment de son passage au long avec Little Trouble

Girls. Comme de nombreux autres cinéastes auparavant, elle s'y attaque à l'adolescence, dans un récit

d'apprentissage au féminin qui, fort heureusement, se distingue par sa mise en scène, délicate et sensuelle,

mais aussi son scénario; qui traite du désir, de la confusion et de la compétition au sein d'un se déroule au

milieu d'un chœur de filles, dans une sorte de séminaire destiné à la perfectionnement de leur art vocal. En

outre, leur appartenance à une école catholique ajoute encore au plaisant trouble d'un film, qui n'hésite pas

à construire des passerelles entre religion et sensibilité charnelle et entre candeur et perversité. Avec un

soupçon d'onirisme par dessus et de jeunes actrices étonnantes, notamment l'héroïne, Little Trouble Girls

parvient à marquer de sa personnalité un thème pourtant rebattu. Au point que, lorsque la projection

s'achève, après un peu moins de 90 minutes, c'est une certaine frustration qui s'installe, en se remémorant

cette histoire de transport émotionnel et physique, qui laisse un tout petit goût d'inachevé.

 

 


06/07/2025
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Journal de La Rochelle (8)

 

Kontinental '25 de Radu Jude

Radu Jude a réalisé Kontinental '25 en une semaine, profitant d'une pause dans le tournage de son Dracula. Le cinéaste roumain poursuit ainsi la radiographie contemporaine de son pays, ici dans la ville de Cluj, avec toujours la même férocité mais aussi un sens de l'absurde qui démontre qu'il possède en lui un veine humoristique, particulière, il est vrai, qui apporte un peu de légèreté. C'est du Radu Jude pur jus, en tous cas, à travers le parcours de son héroïne, confrontée à un drame qui l'amène à reconsidérer son métier de huissière de justice et à culpabiliser. Mais, plus globalement, le cinéaste s'en prend une nouvelle fois aux dérives de son pays, sur un ton sardonique et cinglant : le capitalisme à tout crin, le nationalisme (face au voisin hongrois, notamment), les rancunes historiques, la corruption endémique, etc. Le film a été tourné vite et cela se voit quand même, par exemple dans son montage abrupt et l'inégalité d'intérêt des scènes. Ce n'est certainement pas son long métrage le plus marquant mais il a le mérite de se situer dans une constance thématique et de ne jamais brosser le spectateur dans le sens du poil. On peut lui préférer d'autres cinéastes roumains, moins "chaotiques" que lui mais sa singularité reste indéniable, dans le sillon social qu'il ne cesse de creuser.

 

Oui (Ken) de Nadav Lapid

Nadav Lapid a déjà illustré son peu de goût quant à l'évolution de la société israélienne et de la politique de son Gouvernement dans ses films précédents. Mais après le 7 octobre, Oui raconte un pays où l'esprit de vengeance se transforme en fureur sans limite, alimentée par une propagande de plus en plus véhémente. Évidemment, le cinéaste traite le sujet à sa manière, d'abord flamboyante, dans des débuts très réussis où la musique et la danse créent une ambiance électrique, puis bien plus chaotique où le film, de plus en plus radical, pousse les curseurs au maximum mais sans la fluidité narrative que l'on était en droit d'attendre. Lapid n'a jamais prétendu à la sobriété mais nous voici rapidement pris dans un capharnaüm, un maelström ou un tumulte indescriptible, choisissez le terme que vous préférez, les trois pouvant convenir. C'est parfois brillant, souvent délirant et toujours excessif, comme si la demi-mesure n'était plus possible pour évoquer un pays sous tension, écumant de rage. Était-ce nécessaire d'aller vers un cinéma aussi extrême ? Le tempérament et le style lapidaire du réalisateur ne laissaient pas présager des options plus modérées. Entrez dans ce vortex en toute connaissance de cause, quelle que soit votre opinion sur la situation au Moyen-Orient, impossible d'en sortir autrement que secoué et épuisé.

 

Liliane (Baby Face), Alfred E. Green, 1933

En pleine période Pre-Code, Baby Face (le titre français, Liliane, n'est guère plus utilisé) dresse un portrait de femme devenue ambitieuse, qui utilise les hommes pour grimper dans l'échelle sociale. L'intrigue est linéaire et la mise en scène de Alfred E. Green assez fade mais c'est efficace, avec une référence amusante à Nietzsche et une prestation de Barbara Stanwyck convaincante, après une expérience acquise notamment au théâtre et chez Capra. Dans le rôle de cette fille sans code moral, elle surpasse largement tous ses partenaires masculins y compris un certain John Wayne, bien tendre (alors qu'il a le même âge que l'actrice) et qui ne fait qu'une brève apparition. 

 


05/07/2025
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Journal de La Rochelle (7)

 

Confidente de Çagla Zencirci et de Guillaume Giovanetti

Le duo turco-français composé de Çagla Zencirci et de Guillaume Giovanetti aime à changer de registre dans chacun de ses longs métrages. Ainsi, Confidente n'a rien à voir avec le magnifique Sibel et nous fait entrer de plain pied dans un centre d'appels érotique, situé à Ankara, précisément en l'an 1999. Le film est un huis-clos et l'intrigue ne progresse qu'à travers des appels téléphoniques, qui vont varier de tonalité et quitter une certaine crudité pour aller vers l'angoisse et le tragique, à cause d'un tremblement de terre survenu à Istanbul. Confidente est plutôt meilleur que la plupart des films "au bout du fil", qui ont fleuri ces dernières années, mais il reste malgré tout, et en dépit de son rythme soutenu, un exercice de style, qui connaît parfois des rebondissements "téléphonés", désolé pour l'horrible jeu de mots. D'autre part, si on a le malheur de quitter l'écoute un court moment, le risque est grand de perdre une peu de compréhension, dans un ensemble qui fustige le machisme ambiant et la corruption généralisée. Si le film ne perd pas de son intensité, il le doit avant tout à son interprète principale, constamment à l'image, et remarquable de bout en bout, à savoir la géniale Saadet Işıl Aksoy qui, à elle seule, parvient à personnifier le courage et l'honnêteté des femmes, dans une société qui ne cesse de les rabaisser et de les traiter avec mépris, condescendance et hypocrisie.

 

Les larmes du crocodile (Air Mata Buaya) de Tumpal Tampubolon

Présenté au Festival de La Rochelle 2025, après être passé notamment par Toronto, Busan et Londres, Les larmes du crocodile n'a pas, au moment où ces lignes sont écrites, de date de sortie française mais cela pourrait changer, espérons-le. Ce film, venu d'une contrée, l'Indonésie, bien peu représentée sur nos écrans, est en effet loin d'être inintéressant, déjà par son cadre peu banal, celui d'un parc à crocodiles, dirigé par une femme et son fils, liés par une relation fusionnelle, qui va être mise en péril par l'arrivée d'une jeune femme bien sous tous ses rapports. Le récit d'apprentissage est somme toute assez habituel mais il baigne dans une atmosphère très particulière, au milieu d'animaux qui passent leur temps la gueule ouverte, placides et immobiles, en attendant l'heure du déjeuner. Oui, le fantastique s'invite bien dans Les larmes du crocodile, mais pas façon Weerasethakul, dans une veine plus classique et attendue, mais qui ne manque pas d'un certain style, cependant. Sans s'inscrire au rang de chef d’œuvre, loin de là, ce premier film de Tumpal Tampubolon, qui n'aurait pu voir le jour sans l'aide initiale du département de la Charente-Maritime (publicité gratuite) suscite une certaine fascination dans sa lente montée vers un paroxysme libérateur ou tragique, ce sera selon la perception de chacun.

 

Désir de femme (All i desire) de Douglas Sirk (1953)
Désir de femme n'appartient pas à la série des grands mélodrames de Douglas Sirk en technicolor mais

son noir et blanc semble parfaitement adapté à cette histoire de rédemption, d'illusions perdues et de

pardon d'une femme, qui retrouve la petite ville qu'elle a quittée, des années plus tôt, en abandonnant mari

et enfants, pour une hypothétique carrière théâtrale. La mise en scène de Sirk est soyeuse et Barbara

Stanwyck, qui a largement dépassé la quarantaine, excelle en séductrice sur le retour (dans tous les sens

du terme), au caractère complexe et contradictoire. Joliment agencé et compact par sa longueur, le film est

absolument à (re)découvrir sur grand écran.

 

 


04/07/2025
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Journal de La Rochelle (6)

 

Miroirs n°3 de Christian Petzold

Les amateurs de la petite musique petzoldienne en conviendront sans doute, pour la majorité d'entre eux. Miroirs N°3 n'est pas le meilleur film du cinéaste allemand. Mais il n'est pas décevant non plus, dès lors que l'on a pris l'habitude d'attendre avec impatience ses récits épurés, qui en disent et en montrent peu mais qui utilisent des détails a priori insignifiants (les caprices d'un lave-vaisselle) pour évoquer la difficulté de communiquer et de s'aimer. Oui, c'est un film sur le deuil, avec deux histoires en miroir, évidemment, mais c'est bien davantage, un voyage tranquille dans les ressorts de l'âme humaine, avec ses mystères, sans une recherche absolue de l'émotion, celle-ci venant comme par effraction, avec une bienveillance du film pour ses différents personnages, tous plus ou moins touchés par les aléas de la vie. On ressort de là avec plein de points d'interrogation sur la suite de l'intrigue et on est heureux d'avoir passé près de 90 minutes avec la merveilleuse Paula Beer. Ne pas négliger non plus l'humour sous-jacent de plusieurs scènes, qui confinent presque au burlesque, avec chutes et défaillances mécaniques. Et puis il y a ce romanesque qui ne se pare pas de couleurs chatoyantes mais s'insinue dans des moments d'échanges, de regards ou de silences. A bien y réfléchir, Miroirs n°3 n'est pas un film aussi anodin qu'il y paraît et en plus, il fait du bien.

 

Sirât d'Oliver Laxe

Après les étincelles de Viendra le feu, son précédent long métrage, l'attente était grande devant Sirât, avec une expérience sensorielle ultime espérée. C'est bien là que se situe la surprise (et la déception) du film, dans son incapacité à nous embarquer dans un véritable trip dans le désert, même avec une musique de rave plutôt excitante en fond sonore. Quel dommage que les personnages manquent autant de profondeur et que, soudainement, les péripéties s'enchaînent, inutilement cruelles, d'ailleurs, dans un pile ou face censé être explosif mais qui ne peut être considéré comme autrement que gratuit. L'objet radical promis n'est vraiment pas au rendez-vous et l'on se contentera d'une sort de mix aléatoire entre Enter the Void et Le salaire de la peur, soit une aventure qui ne manque pas de sable mais certainement de sel. Attention, l'ennui ne plane pas au-dessus de Sirât, qui se suit sans déplaisir aucun car le sud marocain est éblouissant et Oliver Laxe sait parfaitement le filmer, quand il délaisse les corps en transe dans des scènes déjà vues mille fois. Ce bon Sergi López est lui relativement neutre, dans un film que l'on nous promettait extrême et féroce. Ce qu'il n'est pas vraiment, cheminant vers on ne sait quel horizon, et finissant presque par s’ auto-détruire. C'est peut-être ce que l'on appelle prêcher dans le désert.

 

Kika de Alexe Poukine

Alexe Poukine vient du documentaire et cela se voit, assez souvent pour le meilleur, dans son premier long métrage de fiction, Kika, qui n'a bien sûr rien à voir avec l’œuvre éponyme d'un certain cinéaste espagnol. Durant plus de la moitié du film, la réalisatrice nous enchante avec le portrait d'une assistante sociale dévouée qui va devoir encaisser les coups du destin, sans que le récit ne perde de sa fraîcheur ni de son humour toujours bien placé. Dans la deuxième partie de Kika, l'aspect documentaire tend cependant à s'imposer, au détriment du "romanesque", en explorant le monde trouble du BDSM, certes montré sans excès de voyeurisme mais sur un mode un peu répétitif. Le portrait de femme, si juste et palpitant auparavant, se dilue alors dans une succession de vignettes qui ne font pas dérailler le film mais l'orientent dans une autre direction, pas forcément celle qu'on attendait. Reste un métrage globalement attachant, entre réalisme pur et dur et pittoresque jamais malaisant, porté une actrice d'exception, Manon Clavel, dont la découverte d'un univers nouveau se fait avec un mélange de candeur, d'étonnement et de détermination, qui permet à tout un chacun, de s'identifier à elle, avec le recul et la bienveillance nécessaires, devant des pratiques qui sont, pour la majorité d'entre nous, peu familières. Ou quand le social est en souffrance, dans l'acception multiple du terme.

 


04/07/2025
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Journal de La Rochelle (5)

 

 

The President's Cake (Mamlaket Al-Qasab) de Hasan Hadi

L'Irak de 1990, avec son culte insensé et obligatoire à Sadam Hussein, a tout d'un pays qui pourrait se nommer l'Absurdistan. Pour son premier long métrage, Hasan Hadi a choisi pour personnage principal une petite écolière, accompagnée de son coq apprivoisé, en quête d'ingrédients pour confectionner un gâteau à l'occasion de l'anniversaire du dictateur. Une chronique à hauteur d'enfant qui va du delta du Tigre et de l'Euphrate à la grande ville de Bassora et qui permet de dresser un portrait à la fois effrayant et pittoresque d'un régime en sursis, où les fastes qui entourent le chef de l'’État contrastent avec le manque des biens élémentaires de sa population. Le film s'inscrit dans les pas de Kiarostami et un peu du néo-réalisme italien pour ce conte illuminé par le beau visage d'une fillette qui a appris à se battre et à éviter les dangers qui l'entourent. Mais The President's Cake, qui a obtenu la Caméra d'or en 2025, montre aussi un sens de l'image évident dans sa réalisation et une certaine maîtrise pour ne pas tomber dans l'émotion facile, la caricature ou la naïveté. S'il y règne une paradoxale douceur, due à sa protagoniste principale et à l'élégance du trait dans la mise en scène, les scènes les plus marquantes sont celles de l'embrigadement forcené des foules et, notamment, des enfants.

 

L'incroyable femme des neiges de Sébastien Betbeder

9 ans après son Voyage au Groenland, Sébastien Betbeder est de retour chez les Inuits, via un détour par le Jura. Vu son titre et la présence de Blanche Gardin, L'incroyable femme des neiges s'annonçait comme une comédie, bien dosée avec une pincée d'absurde et une bonne louche de fantaisie, mais ce n'est vraiment pas cela, enfin pas seulement. Le film comporte deux périodes bien distinctes, aux tonalités divergentes mais il n'en perd pas toutefois son unité, à mesure que la découverte de son personnage principal, Blanche Gardin, donc, parfaitement à l'aise, se fait de plus en plus précise. Les moments hilarants se font progressivement plus rares, une fois un certain mystère levé mais les paysages enneigés et surtout l'empathie évidente du cinéaste pour le mode de vie inuit, vu sans aucune recherche de pittoresque, compensent largement un tel changement de registre. Le long métrage ne cesse d'être agréable, sans véritables temps morts, bien que l'on regrette un peu que les excellents Bastien Bouillon (singulier) et Philippe Katerine (sobre) ne servent finalement que de faire-valoir à leur camarade de jeu. Quant à la mise en scène de Sébastien Betbeder, elle est égale à ce qu'elle a été dans le passé, un brin décevante, eu égard à ses scénarios qui montrent une malice et même un soupçon de folie, que l'on ne retrouve pas dans la réalisation.

 

L'intérêt d'Adam de Laura Wandel

Il est un peu tôt, après seulement deux longs métrages, mais il semble assez évident que ce qu"aime par dessus tout Laura Wandel, dans son cinéma, c'est de nous placer en immersion, au cœur de toutes les tensions. Après la maternelle d'Un monde (quel film !), voici le service de pédiatrie d'un hôpital public, avec L'intérêt d'Adam dont le récit suit particulièrement le quotidien stressant d'une infirmière qui allie humanité, dévotion et discipline, dans la mesure de ses possibilités et au sein d'un quasi chaos. Une soignante héroïque (l'hôpital qui ne se fiche pas de la charité), ou presque, et qui se débat avec sa hiérarchie mais aussi avec des cas cliniques problématiques, comme celui de cette femme isolée, suivie par la justice, et de son enfant qui ne se nourrit pas correctement. Au plus près de ce désordre plus ou moins organisé, le film de la réalisatrice bruxelloise dit beaucoup sur les maux de l'hôpital et, plus largement, sur une certaine misère sociale. 73 minutes compactes suffisent à L'intérêt d'Adam pour nous faire ressentir un état fébrile permanent, avec une mise en scène aiguisée, un scénario au cordeau et une interprétation impressionnante d'une Léa Drucker qui n'en finit pas de sidérer par l'étendue de son talent. Dans un rôle beaucoup moins valorisant, Anamaria Vartolomei, confirme, elle, qu'elle est de la graine des grandes comédiennes.

 


03/07/2025
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Journal de La Rochelle (4)

 

La femme qui en savait trop (Shahed) de Nader Saeivar

Ceux et celles qui suivent le cinéma iranien de près ne seront pas dépaysés par La femme qui en savait trop, coécrit par Jafar Panahi et Nader Saeivar, son réalisateur. Néanmoins, on est toujours stupéfait et admiratif devant le courage manifesté dans des scénarios qui mettent en cause le régime et ses préceptes de plus en plus contestés. Comme le dernier long métrage de Saeed Roustayi, Woman and Child, mais aussi comme la plupart des films d'Asghar Farhadi, La femme qui en savait trop est une histoire d'engrenage, qui accule ici un personnage de vieille femme, seule contre tous, ou presque, en tous cas une communauté d'hommes, solidaires pour des raisons diverses, qui ont le plus souvent à voir avec la compromission ou la corruption. Avant le générique de fin, poignant, le film symbolise la liberté des femmes par la danse, sans contrainte ni hidjab. Manquant peut-être un peu de fluidité, si on veut lui chercher un défaut, La femme qui en savait trop est un nouvel acte de résistance dans une société qui semble se diriger vers sa nécessaire déchéance mais qui résiste encore par la menace et l'avilissement. Le cinéma iranien témoigne d'une évolution inéluctable avec ses moyens et sa capacité de toucher le public international, notamment à travers les festivals. Et là bas, le combat continue.

 

Un coeur pris au piège (The Lady Eve) de Preston Sturges, 1941

Preston Sturges a connu son pic de gloire de cinéaste entre 1940 et 1944 mais ce fut durant cette courte

période un feu d'artifice ininterrompu de merveilles. Un cœur pris au piège ou, si l'on préfère, The Lady Eve

en est une de taille, transcendée par le couple Henry Fonda/Barbara Stanwyck. Le premier, héritier

richissime et dadais de compétition est sidérant et la victime d'une multitude de maladresses qui

transforment parfois le film en slapstick. Le rythme du métrage va d'ailleurs crescendo, déconstruisant et

détruisant avec jubilation les fondations de la comédie américaine. Benêt qu'un au revoir semble dire une

Barbara Stanwyck proche du sublime à son partenaire, amoureux stupide (pléonasme ?). Une splendeur à

voir sur grand écran, cela va sans dire.

 

Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça (Que he hecho para merecer esto) de Pedro Almodóvar, 1984

Il n'est pas inutile de revenir parfois aux sources des plus grands cinéastes, à l'occasion d'un festival, et de

découvrir une œuvre dont on n'est plus très sûr si on l'a vue ou non. Le quatrième long métrage de Pedro

Almodóvar, par exemple, est un film très intéressant d'un réalisateur qui maîtrise déjà son art, à part

peut-être dans la conduite de son récit, mais celui-ci, aussi foutraque soit-il, ne manque pas de charme.

Hommage au néo-réalisme italien et aux travailleurs vivant dans les HLM de la banlieue madrilène,

Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça dresse un portrait de groupe avec ses excentriques en tous genres,

tout en cernant une femme de ménage au bord de la crise de nerfs, débordée et au désir d'émancipation.

Almodóvar y parle bagatelle crûment, à l'occasion, mais c'est la dérision et l'humour qui l'emportent, même

dans les scènes les plus scabreuses. Quant à Carmen Maura, elle est formidable.

 


02/07/2025
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Journal de La Rochelle (3)

 

Perla de Alexandra Makarová

Cinéaste austro-slovaque, Alexandra Makarová raconte dans son deuxième long métrage une histoire (celle de sa grand-mère ?) qui réunit ses deux nationalités, en un temps où le communisme sévissait toujours, dans la défunte Tchécoslovaquie. Pour cette histoire de Perla, tiraillée entre l'Ouest et l'Est, le film prend vraiment son temps et semble un temps occulter le passé, avec peu de flashbaxks qui ne disent pas tout, à l'image de son héroïne qui s'est reconstruite et veut oublier sa vie d'avant. Sauf que, bien entendu, elle n'en a pas fini avec le poids de ses origines. Peu convaincant dans sa construction, Perla séduit davantage quand il aborde la relation mère/fille, fusionnelle et facétieuse. Le récit change vraiment de ton dans sa dernière partie et précipite les événements, alors qu'il avait plutôt tendance à les freiner jusqu'alors. On a l'impression que Alexandra Makarová cherche, y compris dans sa mise en scène, la meilleure façon de raconter une histoire qui lui tient à cœur, dans une période où la vie pouvait changer du tout au tout, au gré du passage d'une simple frontière. Grâce soit tout de même rendue à Rebeka Poláková, dans le rôle-titre de Perla, absolument remarquable de bout en bout, côté autrichien ou slovaque, tout autant.

 

Love me Tender de Anna Cazenave Cambet

Adapté librement du livre éponyme et autobiographique de Constance Debré, Love me Tender est une épreuve pour son héroïne à l'écran, une Vicky Krieps qui se livre corps et âme, dans le rôle omniprésent de Clémence, mais aussi pour le spectateur qui suit le quotidien d'une femme qui a fait de son fils, sa bataille, et qui n'a de cesse de se heurter aux préjugés de la société et de la justice, pour ses choix sentimentaux et sexuels. Sa vie semble se fracasser constamment contre les murs, tant dans sa vie de mère, que de femme. La voix off (trop) très présente, la tristesse intrinsèque de l'histoire et la répétition des scènes, entre Paris et le Lot-et-Garonne, mais surtout la durée éprouvante du film peuvent finalement avoir raison de notre patience, même si le récit est souvent poignant. Bien entendu, il n'y a pas de contrepoint, une version du mari qui serait en totale opposition avec celle de son ex mais cela, on le sait et on l'accepte depuis le départ. Les scènes qui racontent des épisodes bourgeois/bohèmes de Clémence agaceront sans doute les yeux de certains et on ne peut leur donner tout à fait tort. Comment Clémence va t-elle se sortir d'une situation qu'elle ne maîtrise plus et affecte toute son existence, voilà ce qui offre de l'intérêt. Disons que l'on reste dubitatif, même sur la toute dernière image d'un film qui suscite les mêmes sentiments qu'une certaine littérature auto-centrée et épuisante pour les nerfs (pas de nom, merci).

 

Stella Dallas de King Vidor, 1937

Même après de longues années sans le voir, Stella Dallas peut se remémorer pour sa scène finale, poignante. Et c'est le cas quand il est revu sur grand écran, ce mélodrame social où Barbara Stanwyck émeut avec une grande sobriété, dans un film où King Vidor affiche son grand talent sans ostentation. Le réalisateur voulait pour le rôle principal l'actrice qui possédait sans conteste la palette de jeu la plus complète. Le film est un peu plus daté que certains autres films de Vidor mais le sacrifice de son héroïne, qui se concrétise par la scène de pluie et de larmes, évoquée plus haut, inoubliable.

 

 


01/07/2025
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Journal de La Rochelle (2)

 

 

Amour Apocalypse de Anne Émond

Quelques longs métrages de la Québécoise Anne Émond, pas tous cependant, ont réussi à se frayer un passage sur les écrans français. Avec Amour Apocalypse, elle a peut-être réalisé son film le plus ambitieux mais qui est en même temps hybride et pas convaincant sous tous ses aspects. Son titre l'indique : la comédie romantique, si tant est que cela en soit une, se déroule sur fond de désastre à venir, dans un écho de l'anxiété qui étreint notamment son personnage principal, incarné à la perfection par Patrick Hivon. Mais le film ne s'en tient pas à sa base réaliste et s'envole parfois dans des scènes plus ou moins prophétiques ou fantastiques, soutenues par une voix off sentencieuse, qui se fait trop entendre. C'est un peu dommage car Amour Apocalypse possède aussi de solides ressorts comiques, absurdes et sentimentaux qui sont quelque peu gâchés par un ton comminatoire et lourdement didactique. Le film marche donc parfois en zigzag et peut même agacer quand il perd de vue la chaleur des relations humaines, seules à même de combattre l'angoisse de la menace de la fin du monde. Un peu de tendresse et de bienveillance dans l'univers naturel que nous avons contribué à rendre de plus en plus invivable, cela ne saurait faire de mal.

 

On vous croit de Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys

C'est un choc frontal ce On vous croit, d'origine belge, d'autant plus choquant qu'il percute de plein fouet sur un peu de moins de 75 minutes et à nous de nous débrouiller avec le traumatisme qui en résulte. Le dispositif choisi par les coréalisateurs, pour cette séance de tribunal, adopte la forme la plus réaliste possible, les plaidoiries des avocats étant dites par de véritables professionnels du barreau, qui se sont mués, pour un temps, en véritables acteurs, d'une crédibilité imparable. L'histoire qui sert de support au film ne raconte pas une affaire réelle en particulier mais s'appuie évidemment sur des cas avérés, de natures voisines. De toute manière, on ne met jamais en doute l'authenticité de ce que l'on voit à l'écran, dans une atmosphère irrespirable que la mise en scène, discrète mais brillante, parvient à alléger, notamment quand elle joue avec les détails architecturaux du monumental palais de justice où se déroule cette audience en huis-clos. Sommes-nous des voyeurs, en l'occurrence ? Plutôt des citoyens, confrontés à des situations dont les aspects familiaux et intimes nous concernent tous, peu ou prou. Dans le rôle de la mère, pivot du film, Myriem Akheddiou, qu'on a notamment aperçu chez les frères Dardenne, est tout simplement époustouflante et poignante de vérité.

 

Les Furies (The Furies) d'Anthony Mann, 1950

Nouvelle découverte, sur grand écran, s'entend, d'un classique américain, avec Barbara Stanwyck (merci le Festival de La Rochelle). C'était le premier western de l'excellent Anthony Mann mais c'est loin d'être son meilleur. Pas à cause de sa mise en scène, irréprochable, mais plutôt de son scénario, filandreux, qui emprunte à la tragédie grecque avec quelques ajouts psychanalytiques, pas très légers. Cette histoire qui met en avant les relations explosives d'un patriarche et de sa fille vaut surtout pour l'abattage de Walter Huston. Barabara Stanwyck est bien mais pas exceptionnelle. Elle a tourné 7 westerns au total, son genre favori, et refusait en général de se faire doubler pour les cascades. 

 


30/06/2025
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Journal de La Rochelle (1)

 

Assurance sur la mort (Double Indemnity), Billy Wilder, 1944
Un film noir sur grand écran, cela change quanf même la donne, surtout quand il est contextualisé, et pris pour ce qu'il a été à son époque : un métrage précurseur. Ce n'esy pas tant l'intrigue, presque banale, qui emporte l'adhésion mais bien l'atmosphère, notamment entre les deux amants, mortifère. Ma mise en scène de Billy Wilder tutoie la perfection et la beauté du noir et blanc et de toutes ses nuances sidère. Un film méchant, même si soumis à la morale de l'époque et des personnages cupides davantage qu'amoureux transis. Beaucoup de petits détails qui frappent (le craquage d'allumette) et Edwaed G. Robinson fabuleux, beaucoup mieux que le faire valoir de Stanwyck et de MacMurray. 

Boule de feu (Ball of fire), Howard Hawks

L'écriture de Wilder et le style de Hawks font de Boule de feu un classique indémodable, qui croise avec bonheur deux univers diamétralement opposés, celui des intellectuels et celui des gangsters. Cette version très singulière de Blanche Neige et les 7 nains (qui sont ici 8) ne cède jamais au délire mais joue parfaitement avec l'absurde, dans une histoire qui se fiche totalement de sa crédibilité. Gary Cooper est époustouflant et Barbara Stanwyck ne cherche pas à lui voler la vedette, se contentant d'être brillante, en trait d'union malicieux entre deux mondes. A déguster sur grand écran, cela va sans dire. 

 

Baise-en-ville de Martin Jauvat

Sans prétentions artistiques démesurées mais avec un côté compact et cohérent, bien plus efficace que dans Grand Paris, son premier long métrage, Baise-en-ville montre avec aplomb que Martin Jauvat a des choses à dire sur son vécu générationnel, en banlieue parisienne. C'est Chelles qu'il aime et il ne se prive pas de nous le seriner, dans une répétition qui allie poésie et absurde haut perché. L'humour est léger, qu'il soit dans les dialogues ou les situations, mais n'est pas sans signification, socialement parlant, ce qui est loin d'être le cas de la plupart des comédies françaises. Le cinéaste aime tous ses personnages, visiblement, dans une bienveillance moqueuse, et lui-même s'est réservé le rôle principal, qui galère aussi bien sur les plans professionnel que sentimental. Avec un budget sans aucun doute limité, Jauvat ne perd jamais de vue son scénario, qu'il fait évoluer par petites touches, sans trace de scènes particulièrement inutiles. L'acteur/réalisateur a aussi le bon goût de bien s'entourer, avec notamment Michel Hazanavicius et William Lebghil, impeccables, mais surtout avec une Emmanuelle Bercot complètement déchaînée, en monitrice d'auto-école tempétueuse, qui contraste joliment avec le caractère de son apprenti conducteur, pour former un couple de contraires classique mais probant et, avant tout, très drôle.

 

 

 

 

 

 

 


29/06/2025
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Nantes sur Croisette (4)

L'agent secret de Kleber Mendonça Filho

Walter Salles avait placé la barre très haut avec son excellent Je suis toujours là mais pour élire le prix fictif du meilleur film latino-américain de l'année, à parvenir sur nos écrans, il sera permis d'hésiter avec l'opus nouveau de Kleber Mendonça Filho, à savoir ce merveilleux Agent secret. Ample, profond et riche en sédiments variés, le film évoque la dictature militaire brésilienne, sans avoir besoin de la nommer, dans un récit qui s'autorise un beau suspense mais ne s'interdit aucun genre pas même dans les registres du fantastique ou de l'absurde. Par quelle magie est-ce que tout fonctionne à plein dans L'agent secret, y compris une fantaisie temporelle qui ajoute encore une couche d'intérêt ? La qualité de son écriture, évidemment, et l'agilité de sa mise en scène, pour sûr, tellement visible dans une première scène au milieu de nulle part et qui permet de se dire, d'emblée, c'est donc cela un grand film ! On y ajoutera le casting, à commencer par l'immense Wagner Moura, épatant, magnifiquement entouré par une galerie de "gueules" qui apportent un parfum d'authenticité supplémentaire au Recife des années 70, dans lequel une salle de cinéma joue un rôle primordial. Pour connaître le sort réservé aujourd'hui à ce temple du 7ème art, un peu de patience, la révélation figure dans les derniers instants de ce film de 160 minutes qui semble en durer trois fois moins.

 

Un simple accident de Jafar Panahi

On peut être passionné depuis bien longtemps par le cinéma iranien et saluer le courage de ses réalisateurs qui réussissent à tourner, même sous la contrainte ou sans autorisation, et trouver que Un simple accident n'avait pas l'étoffe d'une Palme d'Or, si ce n'est politique, ce qui peut s'entendre. Jafar Panahi semble avoir voulu lâcher toute sa rage et celle du peuple iranien, comme s'il n'avait plus rien à perdre, dans une attaque en règle sans concession d'une dictature religieuse dont on attend toujours vainement la chute. Pourquoi émettre des réserves, alors, dans ce scénario qui évoque la vengeance des humbles et des meurtris contre les laquais du régime, ceux qui torturent et sacrifient des vies ? Pour la mise en scène, surtout, car Panahi a été nettement plus inspiré par le passé, mais aussi pour son scénario, aux lourdes tendances démonstratives et qui réduit un peu ses personnages à des stéréotypes, dans une suite de scènes un tantinet redondantes tendant à démontrer que les bourreaux meurent aussi. En somme, si l'on ne peut que soutenir Panahi, comme cela a été le cas avec Roustaee ou Rassoulof, auparavant, pour ne citer que deux autres réalisateurs, il doit être permis de ne pas se sentir totalement convaincu, cinématographiquement parlant, par Un simple accident. Dans la même compétition cannoise, Woman and Child, malgré quelques excès mélodramatiques, montrait davantage de brio au service d'un scénario implacable, rythmé comme un thriller.

 

Dossier 137 de Dominik Moll

En passant du 12 (La nuit du) au 137 (Dossier), Dominik Moll s'attaque à une autre paire de manches, très sensible, en revenant sur la crise des gilets jaunes et tout ce qui tourne autour, à commencer par l'action de la police jusqu'à la gestion de la période par le gouvernement français. Inspiré de faits réels, Dossier 137 se caractérise par la solidité de son scénario, dès lors qu'il s'agit de suivre une enquête menée par l'IGPN, lente, difficile et soumise à des pressions. Avec sa manière fluide et proche d'un documentaire, toute cette partie du film se révèle particulièrement convaincante, au moins jusqu'aux dernières scènes, qu'il est permis de trouver trop démonstratives, voire même, osons le mot, démagogiques, mais cela se discute, très certainement. Dans le même temps, le film tente d'humaniser son personnage principal de policière, dont le travail délicat est d'estimer si certains de ses collègues ont fauté. Seulement, le récit est nettement moins équilibré dès lors que la vie privée de cette femme vient se mêler à son expertise professionnelle. Léa Drucker est cependant impeccable, sur tout les registres, et n'est pas loin de parvenir, presque à elle seule, à rendre moins fragile l'édifice narratif. A chaque jour suffit son IGPN mais évoquer son activité est sans doute plus facile dans un polar pur et dur que sur un registre plus social.

 

Valeur sentimentale de Joachim Trier

La Valeur sentimentale, dans le film de Joachim Trier, c'est celle accordée à la magnifique maison familiale, mais l'expression peut à coup sûr s'étendre aux relations difficiles entre un père cinéaste, plus souvent absent qu'à son tour, et ses deux filles qui ont suivi des voies professionnelles différentes. L'une joue, l'autre pas, l'une semble équilibrée, l'autre moins, mais ces deux sœurs ont beaucoup en commun, à commencer par leur enfance. Il manque une sœur pour se retrouver chez Tchekhov, mais l'atmosphère est bien dans ce registre-là, à moins de préférer parler de climat Bergmanien; ce qui n'est pas faux, non plus. Mais au-delà des influences éventuelles, ce qui séduit dans Valeur sentimentale, c'est son humanité, souvent blessée, et l'intensité douce de scènes qui se succèdent, sans que l'on sache jamais quel personnage va être privilégié dans la prochaine séquence, chacun à leur tour, isolément ou ensemble. Des portraits croisés, en somme, plus complexes qu'il n'y paraît, et un rappel des générations précédentes dont les drames ont nourri l'histoire familiale et celle de la maison qui l'a abritée. Valeur sentimentale est un ouvrage à la musicalité et à la poésie certaines, admirablement servies par l'élégance de la mise en scène de Joachim Trier et la qualité de ses interprètes, de l'illustre Stellan Skarsgård à la désormais indispensable Renate Reinsve (sa prestation est à mille lieux de celle de La Convocation), en passant par l'inconnue Inga Ibsdotter Lilleaas. Ils contribuent tous à ce que ces instants norvégiens deviennent inoubliables.

 


26/05/2025
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