Festival
Toujours Alès (9)
Voyage avec mon père de Julia von Heinz
Il est assez troublant de voir Voyage avec mon père, quelques semaines seulement après A Real Pain, puisqu'ils traitent tous les deux d'une sorte de tourisme mémoriel, en Pologne. Le contexte temporel n'est pas le même cependant : adapté d'un livre paru en 1999, le film de Julia von Heinz se déroule en 1991 et concerne un père, survivant d'Auschwitz, et sa fille, désireuse de comprendre le passé de sa famille. Voyage avec mon père joue ostensiblement avec les différences entre ses deux personnages, le plus concerné et même stressé des deux n'étant pas celui que l'on croit. Le film accentue, peut-être un peu trop, le degré de conscience entre deux générations, l'une qui a vécu l'horreur et ne veut pas y penser, l'autre qui en est héritière et compense par la surabondance d'information ce qu'elle n'a pas vécu dans sa chair. Deux manières de ressentir que le passé ne passe pas, quand il est à ce point lié à des douleurs incommensurables. Le long métrage cherche à trouver le ton juste, dans cette incompréhension entre père et fille, avec des ressortissants polonais au milieu, pas nécessairement sympathiques, au demeurant. C'est une œuvre un peu étrange qui s'échappe par le biais de l'humour mais qui ne peut qu'être submergée, in fine, par l'émotion. Grâce au duo constitué par Stephen Fry et Lena Dunham, ce périple imparfait sort des sentiers battus et se révèle aussi touchant que faire se peut, en dépit d'un scénario pas toujours exempt de maladresses.
Kneecap de Rich Pepplatt
Un long métrage qui s'intitule Rotule (Kneecap), du nom d'un groupe de hip hop nord-irlandais, ne saurait être mauvais. Ce n'est pas seulement le biopic de cette formation pionnière qui fait office de scénario mais aussi un manifeste exaltant sur la survie de la langue gaélique irlandaise, le tout dans un emballage a priori foutraque et exubérant, particulièrement mal élevé et jubilatoire. Dans un Belfast et furieux où la haine de l'impérialisme anglais se révèle cinglante, l'humour et l'excès de substances planantes créent un cocktail euphorisant qui ne s'autorise aucune minute de répit. Le mérite en revient aussi à la mise en scène inspirée et inventive de Rich Peppiatt, lequel, ironiquement, est un anglais pur jus. Le film se fiche du politiquement correct et le langage y est tout sauf châtié, dans une boule d'énergie vitale qui s'étend jusqu'aux interprétations hallucinées des principaux protagonistes, dont les membres de Kneecap, mais aussi des seconds rôles féminins, un peu en retrait, mais savoureux. Quant à Michael Fassbender, ses rares apparitions montrent un charisme immédiat qui n'a pas besoin d'être développé pour rendre crédible sa prestation de symbole de la lutte irlandaise pour conserver ses valeurs et son identité, face à l'arrogant voisin d'en face.
Sukkwan Island de Vladimir de Fontenay
Avec Sukkwan Island, récit très personnel, David Vann a obtenu le Prix Médicis 2010 et un très gros contingent de lecteurs, la plupart éblouis par "un suspense insoutenable" alors que d'autres n'ont retenu que le côté malsain du roman. Quid de son adaptation aujourd'hui, avec Swann Arlaud dans le rôle principal, assez remarquable d'ailleurs ? Disons que l'appréciation va différer selon que vous ayez lu ou non le livre, avec aussi la sous-catégorie de ceux qui ont oublié les circonstances de l'événement le plus important qui s'y déroule (page 113, pour être précis). Les circonstances du projet de voyage dans le grand Nord où un père et son fils, qui vit seul avec sa mère, ont déjà du mal à paraître vraisemblables. Quant aux situations décrites en long et en large, ensuite, dans un environnement hostile, on les a toutes déjà vues auparavant dans de nombreux films liés à la survie. Mais le pire, au fond, est le sentiment final d'avoir été manipulé, de bout en bout. Précisons quand même que le portrait du père est largement édulcoré par rapport au roman, dont le côté sordide est bien plus frappant. Il était difficile de rendre cette noirceur acceptable dans un film et ce sont donc les paysages, très beaux, surtout quand la neige recouvre tout, qui se substituent en grande partie à une intrigue dont on ne nous révèle les vrais tenants et aboutissants qu'à la toute fin du métrage.
Toujours Alès (8)
La chambre de Mariana d'Emmanuel Finkiel
C'est une autre guerre qui est passée par l'Ukraine et qui l'a puissamment marqué, de l'occupation allemande à la "libération" soviétique. Adapté du roman de Aharon Appelfeld, La chambre de Mariana raconte une histoire familière, hélas, jusqu'à un certain point, celle d'un garçon juif de 12 ans, Hugo, caché dans une maison close, et plus précisément dans la chambre d'une prostituée, amie d'enfance de sa mère qui lui a choisi ce refuge. La caméra d'Emmanuel Finkiel ne regarde que ce que le garçon, qui ressemble à un ange, voit. Le réalisateur de Voyages et de La Douleur, connu pour sa sensibilité et sa capacité à saisir les tremblements de l'intime, est à son affaire pour livrer un récit épuré, d'une force peu commune pour nous faire sentir la tension mais aussi illustrer la complicité naissante entre un adolescent en devenir et une femme à la fois protectrice et fragile. Bien d'autres œuvres cinématographiques ont montré les horreurs de la seconde guerre mondiale mais peu ont finalement réussi à nous les faire ressentir de façon viscérale, sans la montrer de manière frontale. La chambre de Mariana, avec une magnifique économie de moyens, y parvient sans pathos. Il faut dire qu'à côté du jeune et remarquable Artem Kyryk, Mélanie Thierry éblouit par une performance hors normes, sans doute la plus forte de sa carrière.
Bergers de Sophie Deraspe
Après son formidable Antigone, la cinéaste québécoise Sophie Deraspe est passée à tout autre chose avec Bergers, l'adaptation de l'autofiction de son compatriote, Mathyas Lefebure. Le résultat n'en est pas moins enthousiasmant, une plongée dans le monde déclinant du pastoralisme, sans naïveté, si ce n'est celle de son personnage principal, mais avec une volonté de réalisme qui n'exclut pas des a-côtés politiques, économiques, philosophiques, sociologiques, poétiques, et la liste n'est pas limitative. Un très beau long métrage qui reprend la réflexion intellectuelle du livre mais qui la transcende par ses images, forcément superbes dans la voie de la transhumance vers les alpages, tout en offrant une véritable expérience sensorielle et en n'oubliant pas le caractère physique et éreintant du métier de berger. Au sujet de l'esthétisme du film, d'ailleurs, la réalisatrice n'a pas souhaité en rajouter dans le beau, en se refusant à filmer à partir de drones, ce qui aurait été une facilité et assez contraire à la vision du berger (et de la bergère) et de son troupeau de brebis. Félix-Antoine Duval et Solène Rigot excellent dans les deux rôles principaux, aux côtés d'un certain nombre de comédiens amateurs (ou pas ?), avec accent, qui donnent au film une authenticité et une humanité de bon aloi.
Le clan des bêtes de Christopher Andrews
Se laisser manger la laine sur le dos n'est pas quelque chose de très agréable, surtout quand on est éleveur de moutons. Dans Le clan des bêtes, les propriétaires de deux exploitations voisines, quelque part en Irlande, semblent se détester depuis longtemps et l'engrenage de la violence les opposant va prendre de fatales proportions. Christopher Andrews, le réalisateur, a peut-être trop vu de films coréens ou est sorti ébloui de As Bestas, on l'ignore, mais il a visiblement eu des ambitions au-dessus de ses moyens, dans un récit qui hoquette à plusieurs reprises, sans raison valable, si ce n'est celle d'épater la galerie. Des êtres frustes dans un univers rude, oui, on a compris l'idée, comme la scène d'ouverture censée expliquer en partie le déchaînement de violence qui va se dérouler sous nos yeux ébahis et nos oreilles meurtries par un accompagnement musical soit inadéquat, soit assourdissant. Cela se voudrait shakespearien mais la psychologie des personnages reste simpliste et les dialogues sans grand relief. Avertissement : les amoureux des animaux vont souffrir devant ces haines humaines recuites et l'on ne pourra sauver, éventuellement, que quelques scènes d'action filmées sous tension et une interprétation globale qui, sans atteindre des sommets, s'avère assez honorable.
Toujours Alès (7)
The Surfer de Lorcan Finnegan
The Surfer ne sort pas de nulle part. Il provient d'une certaine tradition du cinéma australien, du côté de l'absurde, de l'excès et de l'horreur, née avec Réveil dans la terreur (1971) et qui s'est poursuivie dans la même décennie avec les premiers films de Peter Weir. Avec Ted Kotcheff (Canadien), hier, comme avec Lorcan Finnegan (Irlandais), aujourd'hui, ce sont des lieux emblématiques de l'Australie qui servent de cadre au dérapage de la réalité vers un cauchemar inextricable : l'Outback dans le premier cas et la plage, dans le second. The Surfer ne se prive d'ailleurs pas de nous montrer, à intervalles réguliers, la faune australienne, qui ressemble à un musée du bizarre. Dans The Surfer, les pénibles situations que subit son anti-héros, face à une sorte de secte viriliste, sont l'expression de vagues à l'âme de celui qui voulait seulement emmener surfer son fils. Le film veut évidemment signifier quelque chose, en rapport avec le passé de son personnage principal, mais cette béquille narrative n'est pas essentielle dans cette œuvre cathartique, qui serait même plus puissante, sans cela. En tous cas, cette fable cruelle constitue un véhicule de choix pour le génie de Nicholas Cage qui semble ici souffrir pour avoir tourné autant de mauvais films, ces dernières années. Il n'est pas interdit de ressentir un plaisir sadique à le voir autant dérouiller.
On Falling de Laura Carreira
Que savons-nous d'Aurora, la protagoniste principale de On Falling, long métrage produit par Sixteen Films, société dont Ken Loach est le cofondateur ? Peu de choses, en vérité : elle vient du Portugal (pourquoi, comment ?), travaille comme préparatrice de commandes dans un vaste entrepôt écossais, échange des banalités avec ses collègues et ses colocataires et son meilleur ami semble être son téléphone portable. Victime anonyme d'un travail qui ressemble à de l'esclavagisme moderne, Aurora a autant de perspectives d'avenir que le permet le ciel gris et bouché de Glasgow ou d’Édimbourg. Similaire à l'univers de Ken Loach, dîtes-vous ? En partie, pour le constat froid du réalisme social, mais en plus triste encore, sans le recours à l'humour, car la réalisatrice, Laura Carreira nous refuse presque toute empathie à l'égard de son héroïne, insistant sur la répétition des tâches qui caractérise sa vie, dans et en dehors de son travail, et coupant le plus souvent abruptement des scènes qui pourraient nous sortir de la vision d'une routine aliénante. On Falling ne délivre pas la catharsis attendue, au risque d'engluer son personnage central dans un no (wo)man's land émotionnel. Le pari est risqué vis-à-vis du public et il n'est pas du tout certain qu'il soit payant.
Little Jaffna de Lawrence Valin
Fatigué d'être cantonné à des rôles trop stéréotypés, eu égard à sa couleur de peau, Lawrence Valin est devenu scénariste et réalisateur pour pouvoir raconter des histoires qui lui tenaient à cœur. Le projet de Little Jaffna a été amorcé dès 2018 et il a fallu beaucoup de ténacité et de force de conviction à son créateur pour le faire parvenir à destination. Son sujet ? Une infiltration dans les gangs tamouls de Paris, alors que la guerre faisait encore rage au Sri Lanka, avec des massacres qui n'ont guère trouvé d'écho dans les médias français. Un film de mélange de genres, donc, sous influence scorsesienne, que son réalisateur dit avoir tourné comme si ce devait être son dernier. Les tigres sont lâchés dans un long métrage qui n'a pas peur des scènes d'action et des démonstrations de force, éventuellement filmées au ralenti. Un peu de romance aussi, un suspense tendu et un personnage central loin d'être tout d'une pièce, qui a grandi à Paris mais n'a pas oublié ses racines. Avec Little Jaffna, Lawrence Valin voulait mettre en avant la communauté tamoule installée en France et rappeler aussi que la violence de la guerre au Sri Lanka, officiellement terminée depuis 2009, a été effroyable et a touché des milliers d'innocents civils. La mission est accomplie avec une certaine virtuosité.
Toujours Alès (6)
Songe de Rashid Masharawi
Dans Songe, le propos de Rashid Masharawi ne passe pas par l'indignation ni par la colère mais par des armes qui se révèlent tout aussi efficaces, celles de l'amertume et de l'ironie, au regard du quotidien du peuple palestinien. La ligne directrice du scénario est bien humble en apparence, soit la quête d'un jeune garçon pour retrouver son pigeon qui s'est envolé mais ce n'est bien entendu qu'un prétexte pour nous faire voyager, de l'aube à la nuit, d'un camp de réfugiés en Cisjordanie à Haïfa, en passant par Bethléem et Jérusalem. Un périple dans un combi Volkswagen brinquebalant qui donne lieu à des rencontres inopinées, des explications familiales, des moments de tendresse et de solidarité, mais aussi des contrôles humiliants aux Checkpoints et une certaine idée de la paranoïa ambiante chez "l'occupant" israélien. Si le film s'intitule Songe, c'est sans doute, qu'à l'instar du pigeon disparu, l'espoir d'un futur sans contraintes ni affronts, vers une liberté chérie, reste toujours vivace chez les Palestiniens. Les films passés de Elia Suleiman l'ont démontré avec un sens du burlesque sans équivalent mais Songe, en toute modestie et douceur, contribue à dresser un état des lieux des plus objectifs, sans chercher à susciter une quelconque polémique.
Chroniques d'Haïfa de Scandar Copti
L'écriture de Chroniques d'Haïfa s'est achevée en 2018 et son tournage, en 2020, a dû s'interrompre au bout de 3 jours seulement, à cause de la pandémie. Malgré ces atermoiements, le film de Scandar Copti, dont la précédente œuvre, Ajami (en coréalisation), datait d'il y a déjà 15 ans, a enfin pu être présenté au Festival de Venise 2024. Long métrage choral, Chroniques d'Haïfa imbrique plusieurs récits autour de membres d''une même famille palestinienne et d'autres personnages, Arabes ou Juifs, dont la cohabitation à Haïfa, la ville la plus cosmopolite d'Israël, est moins problématique qu'ailleurs dans le pays, mais se heurte néanmoins à pas mal d'interdits ou de préjugés. Il est question de mariage, de grossesse, de difficultés financières et de liaisons dangereuses, dans un style documentaire qui met en valeur la qualité de l'interprétation mais qui se révèle, en revanche, trop sophistiqué, ou confus, selon sa propre compréhension des sujets traités, dans une construction qui se joue des temporalités et fait parfois apparaître la même scène à des moments différents. L'on peut être un peu déboussolé et ne pas tout saisir immédiatement des enjeux profonds mais les interactions entre les deux communautés, avec ses incompréhensions et ses a priori, rendent le film intense et assez souvent passionnant à suivre.
Exhuma de Jang Jae-hyung
Ce n'est pas toujours une bonne idée que de répondre à l'appel de la tombe, en déterrant de vieux corps qui n'en demandaient pas tant, encore que. Mais sans cette fascination de l'au-delà, il n'y aurait pas d'Exhuma, un film coréen jusqu'au bout des ongles et pas désagréable à regarder, pour peu que l'on n'ait rien contre le paranormal et l'ésotérisme. Ce qui est fort dans le film, c'est qu'il est en fait composé de deux récits qui s'enchaînent, de manière inattendue, mais avec les mêmes protagonistes principaux, à savoir une jolie chamane, un vieux géomancien et quelques comparses susceptibles de souffrir dans leur chair. L'ensemble ne manque pas de conviction ni de maîtrise formelle, avec quelques allusions à l'histoire du pays, avec ses infâmes ennemis colonisateurs japonais, mais fait preuve d'un peu trop de sérieux et d'application dans un crescendo d'horreur, qui en devient presque ridicule, alors que l'humour n'est pas vraiment ce qui caractérise le long métrage. Pour qui n'est pas un animateur de cinéma de genre mais qui ne dédaigne pas d'y passer une tête, de temps en temps, Exhuma n'impressionnera sans doute pas outre mesure mais n'ennuiera pas non plus, faisant office d'entre deux qui s'oubliera plus vite qu'il ne faut pour le dire.
Toujours Alès (5)
Escape de Lee Jong-pil
Dans l'abondante production du cinéma d'action coréen, il existe un sous-genre lié à la géopolitique, le film de frontière, celle avec la Corée du Nord, bien évidemment. Escape, réalisé par Lee Jong-pil, ne fait pas dans la dentelle mais son efficacité est certaine. Déjà, parce que sa description de l'armée Nord-Coréenne, en particulier, et du régime du pays, en général, délivre tous les clichés attendus, sans doute en grande partie parce qu'ils sont vrais. Ensuite, à cause d'un rythme haletant, dans une poursuite échevelée entre celui qui lorgne la liberté au Sud de Pyongyang et son chasseur qui veut absolument l'en empêcher, autant pour des raisons idéologiques que personnelles. Le personnage du méchant, ici, est très réussi, avec beaucoup de nuances dans sa personnalité et son inhumanité trop viscérale. Il faut aussi l'avouer, il est inutile d'être trop regardant sur l'improbabilité de certaines situations et sur la crédibilité de péripéties poussées à l'extrême. Peu importe, Escape montre un esprit spectaculaire, totalement décomplexé, et risque même d'amuser les privilégiés Nord-Coréens qui auraient accès au film, d'une manière ou d'une autre. Car l'humour, même cruel, fait aussi partie du cahier des charges, au même titre que la violence.
Ghostlight de Kelly O'Sullivan et Alex Thompson
Ghostlight est un film de famille, à plusieurs titres. D'une part, parce que le scénario du long métrage de Kelly O'Sullivan et Alex Thompson (un couple dans la vie) raconte l'existence de trois membres d'une même famille (père, mère, fille) dont on découvre, au fur et à mesure, ce qui plombe leur relation et d'où vient la tristesse et la colère qui les étreignent, plus souvent qu'à leur tour. D'autre part, dans ce film tourné à Chicago, avec des acteurs locaux, à une exception près (l'excellente Dolly de Leon), le trio principal de comédiens a les mêmes degrés de parenté dans la réalité que dans la fiction. L'alchimie est parfaite dans cette œuvre de "troupe", avec un hommage appuyé au théâtre amateur et à Shakespeare, en particulier, dont le Roméo et Juliette sert ici de thérapie, avec un poignant effet miroir (en dévoiler davantage serait un crime). Ghostlight bouleverse par sa pudeur intrinsèque, avec ses petits triomphes qui cautérisent, un peu, une plaie ouverte que seul le temps atténuera. A son écriture délicate et sensible correspond une mise en scène discrète mais précise, qui met en avant des comédiens remarquables, à commencer par l'insolente Tara Mallen, pas plus intimidée que cela de jouer avec ses véritables parents dans la vie. Bourré d'humanité blessée, Ghostlight est une petite merveille émotionnelle du cinéma indépendant américain, lequel ne cessait de décevoir, ces dernières années, dans un style trop reconnaissable et non exempt de clichés auteuristes
Un monde merveilleux de Giulio Callegari
Depuis le début de l'écriture d'Un monde merveilleux, jusqu'à la sortie en salles, il s'est écoulé près de 5 ans. Le monde dystopique que décrit le film de Giulio Callegari n'est pas encore d'actualité mais avec l'avènement de l'IA, disons que l'on s'en rapproche un peu plus chaque jour. Confronter une femme asociale rebelle à un univers où les robots domestiques pullulent, telle est, en tous cas, la bonne idée de départ du long métrage, qui n'est certes pas un manifeste mais une fantaisie qui a pour objectif premier de divertir, avec son interprète principale, une Blanche Gardin en grande forme, dont les dialogues avec son presque ami robot valent le détour, même s'ils se situent parfois sous la ceinture. Le film a le bon goût d'être court et rythmé et possède même quelques moments poétiques ainsi qu'une mise en scène loin d'être neutre. Rien de bouleversant dans tout cela, c'est entendu, mais la naïveté programmée du robot a pour effet de désarmer les êtres humains en face de lui et de leur redonner, paradoxalement, une identité régénérée et, pourquoi pas, une autre vision de la société et de la liberté. Pas sûr que le film vieillisse bien mais cet instantané d'un futur trop proche a au moins le mérite de faire sourire et, éventuellement, de faire réfléchir au monde qui nous attend.
Toujours Alès (4)
Oxana de Charlène Favier
Eu égard à la vie convulsive et combattante de Oksana Chatchko, cofondatrice du mouvement femen, dans l'Ukraine de 2008, il est assez logique que son portrait tracé par Charlène Favier, dont on n'a pas oublié l'excellent premier long, Slalom, ne soit pas un biopic linéaire et sage. Le film fait sans cesse la navette entre 2018 à Paris, qui devrait être l'année de la consécration pour Oksana, en tant qu'artiste, et le parcours d'engagement de cette jeune femme, pour qui l'art et la révolution sont les deux piliers de son existence. Sans brouiller le message, disons que cette construction en flashbacks a tendance à mettre l'accent en priorité sur ses engagements alors que la réalisatrice ne cache pas qu'elle voulait aussi, et sans doute surtout, parler de l'évolution d'une femme, à la fois pure et complexe , entre la religion, le militantisme et la peinture. Concernant le collectif qu'elle a contribué à créer, et dont elle a été finalement peu ou prou écartée, il est souvent réduit pour beaucoup à une révolte menée seins nus et le film a le mérite de le resituer dans l'espace et le temps, même si son affiche essaie de le faire résonner en fonction de l'actualité, et c'est de bonne guerre, si l'on ose dire. Le casting ukrainien a pris du temps et beaucoup d'énergie à la cinéaste, qui a ensuite dû se résoudre à tourner en Hongrie, mais il est l'un des grands atouts du long métrage, avec la magnétique Albina Korzh en première ligne, qui incarne avec brio cette femme puissante et fragile.
Le retour du projectionniste de Orkhan Aghazadeh
C'est un voyage en terre méconnue que nous propose Le retour du projectionniste, dans un village reculé d'Azerbaïdjan, à la rencontre de deux hommes séparés par 50 ans d'écart mais néanmoins unis par leur passion du cinéma. Le plus âgé pleure son fils depuis deux ans et ambitionne de projeter un film dans une salle municipale alors que le second, étudiant, conçoit des films d'animation à domicile. Estampillé documentaire, le film soigne son fil narratif à travers l'insoutenable attente de la livraison d'une lampe nécessaire pour faire fonctionner un projecteur de l'époque soviétique. Le récit, assez souvent facétieux, quand il décrit les obstacles matériels et humains à la réalisation du rêve du vieil homme et de son jeune assistant, est une histoire d'amitié et de solidarité dans une communauté isolée, en un endroit où il faut grimper sur une colline pour espérer capter du réseau. La magie de l'écran blanc de cinéma et la réunion de toute une population, autour de la célébration du 7ème art, sont les moteurs inaltérables d'un film qui dit la passion des images avec une attachante pureté.
Tardes de soledad de Albert Serra
Deux films, adaptés du même roman espagnol, l'un muet et l'autre parlant, portent le titre d'Arènes sanglantes. Cela aurait pu être celui du documentaire d'Albert Serra mais sa connotation aurait été trop évidente pour un métrage qui refuse de trancher entre les pro et les anti, puisque ce n'est pas son propos, dans un film qui suit le jeune mais déjà célèbre torero péruvien Andrés Roca Rey sur son lieu de travail, si l'on ose dire, mais aussi à l'hôtel, avant, et en voiture, après. Aucun commentaire pour distraire l'attention, ni digression d'aucune sorte, mais "l'art" de la tauromachie, dans ce qu'il a de plus pur, de plus brutal ou de plus abject, selon l'opinion que vous en avez. En tous cas, on n'avait jamais vu une telle proximité dans ce combat de l'homme (au regard halluciné) et de l'animal (écumant et sanguinolent). Quelque chose de primitif, de viscéral et d'abominable, toujours au choix, avec une mise en scène éblouissante qui n'édulcore rien, ni de la fascination de la mort chez l'un, ni le courage et l'agonie de l'autre, le tout sans que les spectateurs soient montrés. L'autre grande force du film est de montrer l'environnement du torero, sa quadrille, principalement, dont les mots sont autant de signaux de virilité exacerbée, au-delà des limites admises, insultes comprises à destination du taureau lui-même, quand il est sournois, ou du public, parfois considéré comme ennemi car incapable de reconnaître la valeur du matador. Tardes de soledad n'a pas vocation à convaincre les défenseurs ou les détracteurs de la tauromachie, il se contente de tout montrer de ses rituels avec une maestria telle qu'on lui accordera sans hésiter les deux oreilles, voire davantage, même s'il reste nécessairement un goût de sang dans la bouche, au bout du compte.
Toujours Alès (3)
Les amants du Yangtsé de Huo Xin
Scénariste aguerrie, Huo Xin a choisi de tourner un mélodrame fiévreux, pour sa première réalisation. Son scénario n'a peut-être pas l'épaisseur, sociale, notamment, que l'on attend des grands films chinois mais il souffle un tel vent de romanesque dans Les amants de Yangtsé qu'on oubliera de s'en formaliser. Situé entre trois villes, au fil de plusieurs années, le film peut se regarder comme un triangle amoureux quelque peu dévoyé mais il s'agit avant tout une d'histoire d'amour extrême qui se construit au gré d'ellipses temporelles, dans un climat de romantisme noir, accentué par la nécessité de vivre vite et intensément les moments arrachés à l'inéluctable. La mise en scène est somptueuse, d'un esthétisme rare, quelque part entre Wong Kar-wai et Jia Zhangke, mais très personnelle, sans chercher à copier. Et certaines scènes accèdent à une grâce infinie, celles qui nous font comprendre la puissance d'un lien que même la mort n'arrivera pas à rompre. Pour rendre l'histoire crédible et haletante, il fallait deux interprètes investis et talentueux, qui rendraient ce couple irréfutable, en dépit ou à cause de leurs existences très dissemblables, vécues avant leur première rencontre. You Zhou est excellent mais c'est bien Ni Ni, que l'on a vue dans The Flowers of War de Zhang Yimou, qui impressionne par son élégance et la subtilité de son jeu.
Les règles de l'art de Dominique Baumard
A priori, le vol de 5 tableaux de maîtres au Musée d'art moderne, en 2010, ne pouvait être que l’œuvre de professionnels. Sauf que pas vraiment car permis, à l'origine, par une série de dysfonctionnements invraisemblables dans la sécurité du musée. Les règles de l'art s'intéresse avec délectation aux auteurs de ce vol, survenu presque par hasard, et qui va entraîner des conséquences pour les susnommés, aucun n'étant à la hauteur du fabuleux braquage. C'est notamment le cas de l'expert dépassé par les événements, incarné par un Melvil Poupaud, à l'opposé de ses rôles "froids", et qui élargit sa palette sans craindre le ridicule du comportement de son personnage, le rendant a contrario terriblement touchant. Cette histoire totalement dingue et correspondant dans les grandes lignes à la réalité est traitée sans temps mort, dans une veine satirique assez peu pratiquée en France, loin de la tradition britannique, voire italienne, qui ne se manifeste certes pas par une virtuosité de la mise en scène mais par une volonté ludique de traiter l'absurde des situations et les pétages de plomb successifs de deux des trois protagonistes de cette affaire hallucinante. Celle-ci n'est au fond qu'un prétexte pour divertir sans excès de prétention, en épinglant la déraison si humaine qui nous guette tous, dans le cas de circonstances qui dépassent l'imagination et surtout le sens commun.
Lads de Julien Menanteau
L'on comprend bien que dans son premier long métrage, Lads, Julien Menanteau a tenté de filmer une histoire exaltante, l'ascension d'un apprenti-jockey, tout en décrivant, autant que faire se peut, le monde des courses hippiques, sans omettre d'en souligner les excès ou travers, le tout se développant dans le respect obligatoire du bien-être animal. Sans bénéficier d'une mise en selle audacieuse, Lads reste plutôt agréable à regarder, y compris pour les images des courses hippiques, sans recherche épique, alors que le film aborde pas mal de sujets qui risquent de fâcher dans le milieu concerné, mais sans avoir le temps d'approfondir, hélas, ce qui le rend parfois caricatural. Cependant, le scénario parvient à surprendre, en dépit de quelques sous-intrigues un peu lourdes, et notamment dans son dénouement, même si l'on peut considérer qu'il cherche ainsi à flatter les naseaux des spectateurs. Dans le rôle principal, Marco Luraschi montre un vrai charisme et tient la distance, confronté à des cracks du calibre de Jeanne Balibar et de Marc Barbé, parfaits malgré les quelques clichés inhérents à leurs personnages. En matière de course d'obstacles, bien définis, Lads a choisi le galop et soutient tant bien que mal la cadence, en oubliant peut-être que le simple trot permet de mieux voir le paysage environnant.
Toujours Alès (2)
Sept jours de Ali Amadi Ahadi
Coécrit par Mohammad Rasoulof, Sept jours n'a pas la puissance de ses propres films en tant que réalisateur, mais trace sa voie de manière sensiblement efficace, entre thriller politique et drame familial. Son personnage principal est une héroïne, militante iranienne qui profite d'une semaine de "liberté" pour raisons médicales. Son parcours, durant ces journées, s'inscrit comme une quête personnelle, pour retrouver ses proches, avec le dilemme du départ ou non du pays en tête. La tension et l'émotion se conjuguent dans cette courte parenthèse de vie d'une femme qui a tout sacrifié pour une lutte qu'elle place au-dessus de tout. Le film met bien l'accent sur le fait que si un homme était dans la même situation, personne ne lui contesterait le droit de mettre sa famille au second plan pour ses idéaux. Ici, le choix à faire est encore plus douloureux car dans un cas, il sera mal compris de ceux-là mêmes qui sont les plus proches de soi. La mise en scène de Ali Samadi Ahadi est peut-être plus convaincante dans les scènes d'action et de suspense mais elle fait globalement bien le travail, dans une nouvelle illustration du courage qui est nécessaire, à l'intérieur même de l'Iran, pour ne pas plier devant un régime aux préceptes d'un autre âge et de plus en plus crispé sur son pouvoir maléfique.
L'amour c'est surcoté de Mourad Winter
L'amour c'est surcoté : Mourad Winter adapte son propre livre et, bien entendu, son titre n'est pas à prendre au premier degré. Tout au contraire, puisqu'il s'agit in fine d'une comédie romantique, formellement et textuellement à mille lieux du New York-Miami de Capra mais qui use fondamentalement des mêmes ressorts. Le film n'est pas si mal en matière de mise en scène mais ce sont ses dialogues et ses situations qui sont peaufinés, avec des punchlines méchantes toutes les deux phrases, dans une crudité parfois trop systématique et un humour qui s'amuse avec le racisme, la misogynie, l'identité sexuelle, etc, d'une façon tellement outrancière qu'elle ne choque point, quoique la surenchère finisse par devenir lassante. Comme de bien entendu, il y a des morceaux de mélancolie et de tendresse dans tout cela, avec les thèmes du deuil et de l'amitié, entre autres, abordés avec un peu de délicatesse, histoire de montrer qu'il y a des sentiments dans un contexte de "Qui aime bien charrie bien." Reste qu'il s'agit d'un produit à consommation immédiate, dans l'air du temps, et dont les mots spécifiques de l'époque seront peut-être incompréhensibles dans plusieurs décennies. Qu'importe, la joyeuse troupe qui anime le film (mentions spéciales à Laura Felpin et à Benjamin Tranié) prend manifestement du plaisir à jouer et le public plus spécifiquement ciblé devrait apprécier, sans modération.
Manas de Marianna Brennand
Marianna Brennand avait pour projet de réaliser un nouveau long métrage documentaire, son troisième, mais l'entreprise s'est révélée impossible à développer, eu égard au caractère intime et dénonciateur des témoignages qu'elle avait recueillis. Le film est donc devenu une fiction mais proche de la réalité observée, avec notamment les frères Dardenne et Walter Salles à la production. Manas trace le portrait d'une jeune fille de 13 ans, Marcielle, au sein d'une famille qui vit au cœur de l'Amazonie brésilienne, au contact d'une nature luxuriante à laquelle la réalisation donne des allures de paradis. Mais c'est plutôt l'enfer que côtoie Marcielle, avec cette alternative dans sa vie entre inceste et prostitution, comme si cette malédiction féminine, à l'âge de la puberté, devait se reproduire de génération en génération. Sur ces maux, la cinéaste met peu de mots et ses images ont aussi une pudeur qui laisse l'innommable hors champ, sans que l'on puisse cependant ignorer sur ce qu'il s'y passe. Le message est d'autant plus fort qu'il ne s'appuie sur aucune complaisance ni voyeurisme, dans une sorte d'ordre des choses inéluctable qui n'en est que plus révoltant. L'interprétation des différentes protagonistes, y compris la mère qui sait tout mais ne peut rien, est absolument remarquable.
Toujours Alès (1)
Le Répondeur de Fabienne Godet
Avec son point de départ original, crédible ou pas, ce n'est pas trop la question, puisque c'est du cinéma, Le Répondeur titille d'emblée l'attention, avec une vraie curiosité pour les développements à venir du scénario, et il y en a potentiellement beaucoup. Dans une comédie française bas de gamme (pléonasme ?), le récit aurait pu s'acheminer vers un vaudeville lourdaud mais ce n'est heureusement pas le cas, malgré quelques facilités, et Fabienne Godet mène plutôt bien sa barque, entre l'écrivain stressé et son "répondeur" humain, de circonstance. L'histoire est plaisante à suivre, avec ses à-côtés romantiques, point trop niais, et les réflexions sous-jacentes mais nullement pesantes autour de l'identité et de la réputation, ou autrement dit de notre être profond confronté à la distorsion de cette image. Mais le film ne la joue pas trop intellectuel, se situant volontairement dans le registre du divertissement. Que Denis Podalydès soit une fois de plus au sommet du jeu n'est guère une surprise mais que Salif Cissé lui tienne tête et que l'ensemble du casting soit au diapason en constituent une bonne. Allez, avec une mise en scène plus inspirée, car elle est ici bien fade, Le Répondeur aurait pu se placer encore plus haut dans la hiérarchie des comédies françaises, pas si nombreuses, qui sont dignes d'être vues.
The Last Stop in Yuma County de Francis Galluppi
Une station-service flanquée d'un motel et d'un diner, quelque part dans le désert en Arizona, on ne peut guère faire plus américain en matière de décor emblématique. Last Stop : Yuma County fait appel à une culture cinématographique commune, qui a commencé avec le western et s'est poursuivie plus récemment avec Tarantino et les frères Coen, ces derniers semblant la référence la plus évidente, jusqu'à un certain point, du moins, et avec un peu moins de brillance, celle de la copie qui a du mal à s'affirmer à hauteur de l'original. Il y a des truands à trognes, de la tarte à la rhubarbe, des flics oisifs, une serveuse accorte, un VRP minable et un couple de retraités, entre autres personnages de ce quasi huis-clos, dans une atmosphère pas si lointaine des tableaux de Hopper, quand l'ambiance est calme et expectative mais c'est sans compter sur une scène aussi explosive que drôle, qui pourrait aussi être vue comme une critique de la libre circulation des armes en Amérique, mais bon. Le film, un peu trop conscient de ses effets, amuse par son jusqu'au boutisme dans l'absurdité mais déçoit par le manque de verve de ses dialogues. Cela reste un exercice de style, à la cruauté assumée et relativement délectable, parce que placée sur une crête parodique mais, de grâce, n'en faisons pas un objet culte.
Lire Lolita à Téhéran de Eran Riklis
Le projet d'adaptation de Lire Lolita à Téhéran, paru en 2009, pouvait inspirer une certaine méfiance, avec un réalisateur israélien aux commandes (pas n'importe lequel, toutefois, celui des Citronniers, Eran Riklis), une scénariste américaine et un tournage en Italie. Il y a un côté Cercle des poètes disparus dans cette évocation d'une résistance littéraire et féministe aux injonctions islamistes du régime de Khomeini, mais le contexte est évidemment tout autre, bien plus dramatique. La nouvelle génération des jeunes femmes iraniennes n'a pas connu cette époque mais sa révolte, mondialisée grâce aux réseaux sociaux, résonne comme un écho à l'histoire des débuts d'une révolution qui a tôt fait de réprimer et de condamner. Le film, malgré la qualité de ses interprètes, Golshifteh Farahani et Zar Amir Ebrahimi (la coréalisatrice du fantastique Tatami), notamment, souffre un peu de la comparaison avec les longs métrages iraniens récents, dont le caractère d'urgence et d'intensité, avec des conditions de tournage in situ difficiles, donne un caractère d'authenticité plus frappant. Malgré tout, Lire Lolita à Téhéran en dit long sur la dictature sur les consciences d'une idéologie en marche et sur le combat solidaire qui y répond, sous le boisseau, en catimini, avec fierté, en l'occurrence dans un magnifique cercle des universitaires disparues, dont la lutte reste un symbole et une raison d'espérer, bien des années plus tard.
Ici, c'est Arras (13)
Eternal de Ulaa Salim
Drame, romance et science-fiction : Eternal, du Danois Ulaa Salim, est donc tout cela à la fois. Et on peut y ajouter aussi la chronique d'un monde dont le climat se dérègle. Au fond, l'idée générale, c'est de combler les failles : celle de la croûte terrestre, dans l'aspect d'anticipation scientifique du récit, mais aussi celles du personnage principal et de son histoire d'amour qui n'a pas abouti. A moins que .... C'est sur ce thème des vies que l'on n'a pas vécues que Eternal est le plus romantique et le plus aventureux, aussi, mélangeant ce qui semble être une réalité et en imaginant une autre, mais n'en disons pas plus, au spectateur de trouver sa voie dans le champ des possibles. Avec des sujets tout de même dramatiques, le cinéaste signe pourtant une œuvre plutôt douce et apaisante, de même que poétique, par instants. On a le droit de passer à côté, bien sûr, et de trouver à la fois le discours écologique convenu et l'histoire d'amour sans grand intérêt. Mais ce serait dommage car le film ne nous force à rien, sinon à admirer et à réfléchir sur le sens de la vie et de notre place sur la planète Terre. Se laisser emporter et divaguer, donc, pour en débattre, pourquoi pas, après la projection de ce long métrage qui n'est pas sans références mais également unique en son genre.
The Hungarian Dressmaker de Iveta Grofova
La première indépendance de la Slovaquie a été moins glorieuse que la plus récente, et pour cause, puisqu'il s'agissait, pendant la deuxième guerre mondiale, de la création d'un "État satellite" de l'Allemagne. C'est ce que nous conte la cinéaste Iveta Grofova dans The Hungarian Dressmaker, chronique de la vie d'une veuve, aux alentours de Bratislava, qui cache un enfant juif dans les dépendances de sa maison. Cette femme, isolée au milieu des pressions de toutes sortes, va devoir survivre et rester digne, ce qui n'est pas une mince affaire; Le sujet en lui-même devrait nous passionner mais le récit, complexe, ne nous facilite pas la tâche, avec les différentes langues parlées : Slovaque, Tchèque, Allemand, Hongrois, difficiles à identifier systématiquement. L'évocation de cet État slovaque fasciste n'est pas loin d'être tabou à Bratislava et il faut un certain courage à la réalisatrice pour l'aborder frontalement mais pour qui découvre plus ou moins cette histoire, l'accès n'est pas des plus évidents et le scénario de The Hungarian Hairdresser a tendance à nous désorienter. Reste le portrait d'une femme déterminée, bien que perdue, incarnée avec conviction par la lumineuse Alexandra Borbély.
Le Déluge de Gianluca Jodice
Mélanie Laurent en Marie-Antoinette, cela n'était pas une évidence mais que dire de Guillaume Canet (qui a enduré 4 heures de maquillage quotidien) dans le rôle de Louis XVI, personne ne l'avait imaginé, sauf Gianluca Jodice, le cinéaste napolitain qui a notamment tourné le Making of de La grande Belleza. Le début de Le Déluge, avec ses plans larges, fait d'ailleurs penser à Sorrentino, avant que l'intimisme ne prenne le dessus pour raconter les derniers jours du couple royal, devenu les citoyens Capet. Bien que basé sur les mémoires du valet du roi, le film se veut plus métaphysique que historique, dixit son réalisateur. Pourtant, on retient davantage les silences que les conversations entre Louis et Marie-Antoinette qui vivent leur "apocalypse personnelle" de manière très différente. On ne prétendra pas que la vision du récit sur ces deux figures surprendra : malgré son air balourd, Louis XVI manifeste une intelligence faite de simplicité et son épouse, assez antipathique, conserve toute sa morgue aristocratique. A quoi bon un nouveau film sur un sujet déjà tellement traité au cinéma et dans les livres, c'est sans doute la question que l'on pourra se poser devant Le Déluge. Pour son entame et quelques scènes inspirées, voire surprenantes (le viol, le bourreau et le roi), plus que pour les interprétations, on pourra qualifier le film de relativement agréable à regarder. Les Capet, coupez !