Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Festival


Nantes sur Croisette (4)

L'agent secret de Kleber Mendonça Filho

Walter Salles avait placé la barre très haut avec son excellent Je suis toujours là mais pour élire le prix fictif du meilleur film latino-américain de l'année, à parvenir sur nos écrans, il sera permis d'hésiter avec l'opus nouveau de Kleber Mendonça Filho, à savoir ce merveilleux Agent secret. Ample, profond et riche en sédiments variés, le film évoque la dictature militaire brésilienne, sans avoir besoin de la nommer, dans un récit qui s'autorise un beau suspense mais ne s'interdit aucun genre pas même dans les registres du fantastique ou de l'absurde. Par quelle magie est-ce que tout fonctionne à plein dans L'agent secret, y compris une fantaisie temporelle qui ajoute encore une couche d'intérêt ? La qualité de son écriture, évidemment, et l'agilité de sa mise en scène, pour sûr, tellement visible dans une première scène au milieu de nulle part et qui permet de se dire, d'emblée, c'est donc cela un grand film ! On y ajoutera le casting, à commencer par l'immense Wagner Moura, épatant, magnifiquement entouré par une galerie de "gueules" qui apportent un parfum d'authenticité supplémentaire au Recife des années 70, dans lequel une salle de cinéma joue un rôle primordial. Pour connaître le sort réservé aujourd'hui à ce temple du 7ème art, un peu de patience, la révélation figure dans les derniers instants de ce film de 160 minutes qui semble en durer trois fois moins.

 

Un simple accident de Jafar Panahi

On peut être passionné depuis bien longtemps par le cinéma iranien et saluer le courage de ses réalisateurs qui réussissent à tourner, même sous la contrainte ou sans autorisation, et trouver que Un simple accident n'avait pas l'étoffe d'une Palme d'Or, si ce n'est politique, ce qui peut s'entendre. Jafar Panahi semble avoir voulu lâcher toute sa rage et celle du peuple iranien, comme s'il n'avait plus rien à perdre, dans une attaque en règle sans concession d'une dictature religieuse dont on attend toujours vainement la chute. Pourquoi émettre des réserves, alors, dans ce scénario qui évoque la vengeance des humbles et des meurtris contre les laquais du régime, ceux qui torturent et sacrifient des vies ? Pour la mise en scène, surtout, car Panahi a été nettement plus inspiré par le passé, mais aussi pour son scénario, aux lourdes tendances démonstratives et qui réduit un peu ses personnages à des stéréotypes, dans une suite de scènes un tantinet redondantes tendant à démontrer que les bourreaux meurent aussi. En somme, si l'on ne peut que soutenir Panahi, comme cela a été le cas avec Roustaee ou Rassoulof, auparavant, pour ne citer que deux autres réalisateurs, il doit être permis de ne pas se sentir totalement convaincu, cinématographiquement parlant, par Un simple accident. Dans la même compétition cannoise, Woman and Child, malgré quelques excès mélodramatiques, montrait davantage de brio au service d'un scénario implacable, rythmé comme un thriller.

 

Dossier 137 de Dominik Moll

En passant du 12 (La nuit du) au 137 (Dossier), Dominik Moll s'attaque à une autre paire de manches, très sensible, en revenant sur la crise des gilets jaunes et tout ce qui tourne autour, à commencer par l'action de la police jusqu'à la gestion de la période par le gouvernement français. Inspiré de faits réels, Dossier 137 se caractérise par la solidité de son scénario, dès lors qu'il s'agit de suivre une enquête menée par l'IGPN, lente, difficile et soumise à des pressions. Avec sa manière fluide et proche d'un documentaire, toute cette partie du film se révèle particulièrement convaincante, au moins jusqu'aux dernières scènes, qu'il est permis de trouver trop démonstratives, voire même, osons le mot, démagogiques, mais cela se discute, très certainement. Dans le même temps, le film tente d'humaniser son personnage principal de policière, dont le travail délicat est d'estimer si certains de ses collègues ont fauté. Seulement, le récit est nettement moins équilibré dès lors que la vie privée de cette femme vient se mêler à son expertise professionnelle. Léa Drucker est cependant impeccable, sur tout les registres, et n'est pas loin de parvenir, presque à elle seule, à rendre moins fragile l'édifice narratif. A chaque jour suffit son IGPN mais évoquer son activité est sans doute plus facile dans un polar pur et dur que sur un registre plus social.

 

Valeur sentimentale de Joachim Trier

La Valeur sentimentale, dans le film de Joachim Trier, c'est celle accordée à la magnifique maison familiale, mais l'expression peut à coup sûr s'étendre aux relations difficiles entre un père cinéaste, plus souvent absent qu'à son tour, et ses deux filles qui ont suivi des voies professionnelles différentes. L'une joue, l'autre pas, l'une semble équilibrée, l'autre moins, mais ces deux sœurs ont beaucoup en commun, à commencer par leur enfance. Il manque une sœur pour se retrouver chez Tchekhov, mais l'atmosphère est bien dans ce registre-là, à moins de préférer parler de climat Bergmanien; ce qui n'est pas faux, non plus. Mais au-delà des influences éventuelles, ce qui séduit dans Valeur sentimentale, c'est son humanité, souvent blessée, et l'intensité douce de scènes qui se succèdent, sans que l'on sache jamais quel personnage va être privilégié dans la prochaine séquence, chacun à leur tour, isolément ou ensemble. Des portraits croisés, en somme, plus complexes qu'il n'y paraît, et un rappel des générations précédentes dont les drames ont nourri l'histoire familiale et celle de la maison qui l'a abritée. Valeur sentimentale est un ouvrage à la musicalité et à la poésie certaines, admirablement servies par l'élégance de la mise en scène de Joachim Trier et la qualité de ses interprètes, de l'illustre Stellan Skarsgård à la désormais indispensable Renate Reinsve (sa prestation est à mille lieux de celle de La Convocation), en passant par l'inconnue Inga Ibsdotter Lilleaas. Ils contribuent tous à ce que ces instants norvégiens deviennent inoubliables.

 


26/05/2025
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Nantes sur Croisette (3)

Vie privée de Rebecca Zlotowski

Vie privée, le dernier long métrage de Rebecca Zlotowski était hors compétition à Cannes et cela lui sied parfaitement au teint, tellement le cinéma de la réalisatrice aime à emprunter des sentiers tortueux plutôt que balisés. Cela pourrait ressembler à une sorte d'Anatomie d'un suicide mais ce serait mal connaître la cinéaste que de la voir renoncer à la fantaisie qui caractérise son œuvre, jusqu'au loufoque, parfois, même si son sujet semble des plus sérieux, au départ. En l'occurrence, tout va de mal en psy pour une thérapeute un brin coincée et qui va nécessairement s'ouvrir à de nouveaux sentiments, à mesure que son enquête sur sa cliente décédée devient quelque peu baroque mais aussi impliquante dans sa propre existence. Jodie Foster est comme attendu absolument remarquable, avec plusieurs couches de nuances, mais elle est extrêmement bien entourée, de Vincent Lacoste, notamment, mais surtout d'un Daniel Auteuil impérial et chaleureux. On en accepte d'autant mieux les circonvolutions d'un scénario qui semble parfois, pas trop souvent mais quand même, s'empêtrer dans son propre délire. Mais Rebecca Zlotowski s'autorise à peu près tout ce que son imagination lui suggère et elle sait qu'avec de tels interprètes, tout passera, ou presque, comme une lettre à la poste.

 

Les aigles de la République de Tarik Saleh

C'est un fait : Les aigles de la République est moins spectaculaire et bien moins prenant que La conspiration du Caire et ses dernières séquences, certes brillantes mais démonstratives, laissent sur une impression un tantinet mitigée. Autre déception : le rôle trop maigre confié à Lyna Khoudri, dont le talent méritait mieux. Mais voilà, Les aigles de la République est un film d'hommes, puisqu'il montre les coulisses du pouvoir d'un régime égyptien aux allures de dictature, que le prisme fictif du plus grand acteur du pays, véritable pharaon de l'écran, permet de cerner avec une efficacité implacable. Le réalisateur, Tarik Saleh, lâche ses coups avec brio, dans cet univers corrompu où certaines offres ne se refusent pas, même quand on est une star adulée. Le film tourne en ridicule cette pantomime et l'on en rit bien volontiers car le récit est très malin et cinglant, même si la situation est des plus désespérantes, pour ne pas dire plus. La dénonciation politique est criante de vérité et le film s'en éloigne parfois avec des scènes plus sentimentales qui ne sont cependant pas les plus probantes. Mais Fares Fares reste toujours aussi charismatique, dans un rôle pas si simple à jouer, auquel il apporte toute l’ambiguïté nécessaire, ne craignant même pas les moments comiques où le pharaon semble plus proche d'un citoyen servile et pas loin d'être grotesque.

 

The Chronology of Water de Kristen Stewart

A première vue et dès ses images inaugurales, The Chronology of Water semble épouser in extenso, ou presque, toutes les caractéristiques du premier long métrage à visées auteuristes, tendance doloriste. Un récit fragmenté, un maelström d'images parfois subliminales, une voix off, de lourds traumas d'enfance, des abus de substances diverses : n'en jetez plus, l'arrière-cour est pleine. Et en tant que vecteur commun, l'eau fait parfaitement l'affaire, symbole parfait pour laver dans des profondeurs chlorées un mal-être qui s'écoule comme une plaie d'hémophile. D'accord, mais derrière ce maniérisme évident, l'on éprouve pourtant une certaine fascination pour la paradoxale recherche d'authenticité qui finit par s'imposer, peu ou prou, dans cet ensemble narratif pourtant bien peu étanche. L'envie d'exprimer une rage de filmer transparaît dans la mise en scène qui se veut radicale de Kristen Stewart, à la fois provocante et pudique, et ne demandez pas comment elle y parvient, de temps à autre. Si le flot du film avait été quelque peu régulé, voire domestiqué, il est certain que le résultat n'aurait pas été aussi marquant, en dépit des défauts ou plutôt des tics déjà énoncés. Dans ce bain à remous, Imogen Poots fait mieux que surnager, sa performance est presque de l'ordre du miracle.

 


25/05/2025
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Nantes sur Croisette (2)

Le roi soleil de Vincent Maël Cardona

Une fois posé le fait que le préambule et la conclusion du film sont quelque peu hors sujet, hormis le fait qu'ils se déroulent au château de Versailles, il faut bien accorder au deuxième long métrage de Vincent Maël Cardona un certain savoir faire pour nous entraîner dans son sillage ludique, où toute histoire possède des versions dissemblables, quitte à rejouer les scènes dans un espace-temps qui balbutie. Et vices et Versailles, donc, dans ce huis-clos à l'intérieur d'un bar-tabac de la cité royale. Certains cinéphiles se souviendront peut-être du délicieux Antoine et Antoinette de Jacques Becker où un billet de loterie jouait un rôle d'importance mais Le Roi Soleil n'en est pas le remake, évidemment, plutôt une farce noire avec des cadavres pas toujours exquis à comptabiliser. La maîtrise n'est pas totale, c'est certain, dans cette histoire à tiroirs mais aucun ennui ne s'en dégage non plus, alors qu'il s'agit bien d'un exercice de style dans lequel d'ailleurs aucun rôle n'est véritablement mis en avant. On y trouve un Pio Marmaï plutôt sobre et une Maria de Medeiros très drôle, entre autres, dans cet exercice collectif où chacun a sa minute de gloire, si l'on ose dire. Pas mal, mais aurait pu mieux faire a t-on envie de pérorer, en regrettant peut-être qu'il n'y ait pas eu davantage d'audace dans l'écriture du scénario.

 

Fuori de Mario Martone

Goliarda Sapienza, un nom d'autrice très célèbre désormais en Italie mais dont le livre majeur, L'art de la joie, ne fut édité que des années après sa mort. Fuori est l'occasion de découvrir qui était cette femme, par le biais d'un film impressionniste, qui ne prend en compte que deux périodes de son existence, en prison puis libre, avec les contacts qu'elle avait gardé avec d'autres taulardes. Ces dernières années, si ce n'est pas Bellocchio ou Moretti, c'est Mario Martone qui représente l'Italie, en compétition à Cannes et son dernier film, qui ressemble un peu à un puzzle, ne fait rien pour se faire aimer, même s'il s'agit du premier biopic de l'écrivaine, si tant est qu'il en ait les caractéristiques. Sapienza est une héroïne insaisissable, elle qui figura en tant qu'actrice de second plan dans le Senso de Visconti, entre autres, avant de se consacrer à la littérature, avec l'insuccès que l'on sait, jusqu'à la gloire posthume. Valeria Golino joue avec la classe qui lui est coutumière cette voleuse, de bijoux, une fois, mais surtout des mots des autres, en prise directe avec l'Italie des années 70 et 80 et la période des attentats. Fuori est un film indolent, qui se mérite, et sans doute que Marco Bellocchio, encore lui, en aurait fait quelque chose de plus prenant. Mais le travail de Martone reste plus qu'estimable, à la rencontre d'une grande dame, anti-conformiste, qui ignorait elle-même ce que la postérité lui réserverait.

 

La petite dernière de Hafsia Herzi

La petite dernière est sans conteste le meilleur film réalisé par Hafsia Herzi et il semble plus que probable qu'elle fera encore mieux dans le futur, sachant qu'elle a autant de courage que de talent. Le secret de Fatima, qui conditionne tout son film, marque par la volonté de la cinéaste de signer un film apaisé même si le sujet pourrait indiquer le contraire et si l'héroïne du film n'avait pas à mentir à ses proches, quant à son choix de vivre selon sa véritable nature. Hafsia Herzi filme au plus près de ses personnages, à commencer par Fatima, dans des gros plans continuels qui sont le contraire de l'impudeur, en tant que recherche d'une géographie des sentiments, qui met en lumière, plus particulièrement, l'ensemble de ses actrices, toutes formidables, dans le sillage de Nadia Melliti, impressionnante de retenue expressive, si l'on ose dire. Rappelons que le film est l'adaptation d'un monologue du registre de l'autofiction, signé de Fatima Daas. Le long métrage réussit à lui garder son caractère réaliste tout en affirmant une singularité romanesque, qui dépasse largement la moyenne des récits d'apprentissage qui alimentent constamment le cinéma. Émouvant sans mièvrerie et tranquille dans son audace, La petite dernière transcende son sujet et lui confère une vérité sans fard.

 


25/05/2025
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Nantes sur Croisette (1)

Connemara de Alex Lutz

Difficile de ne pas voir une convergence thématique évidente entre Partir un jour et Connemara. Le second prend appui sur le roman de Nicolas Mathieu mais il est peu probable que ses lecteurs se satisferont de son adaptation, dans un film qui aborde le sujet social, encore heureux, mais en l'immergeantt dans une romance qui tend à prendre toute la place. Alex Lutz, dans ce bilan de la quarantaine, de la jeunesse enfuie, de la dépression, de la vie de province et des retours de flamme, use et abuse de dialogues en décalage avec les images, des flous artistiques et, pour être succinct, d'un maniérisme qui ôte une grand part de sa fraîcheur à une intrigue qui apparaît, au demeurant, assez pauvre. Le couple formé par Mélanie Thierry et Bastien Bouillon (encore lui !), fonctionne plus que correctement, dans ses hésitations et son alchimie, mais les autres personnages sont quant à eux négligés et réduits à quelques gros traits de plume (Gamblin et Célarié). A la décharge du réalisateur, l'univers du romancier semble difficile à réinventer à l'écran, non pas à cause de ses thèmes mais de son style, même si les frères Boukherma, dans Leurs enfants après eux, ont été plus proches d'en capter l'essence, quitte à le trahir un peu, mais en ne cherchant pas une écriture plus emberlificotée, écueil dans lequel Lutz est hélas tombé.

 

Woman and Child de Saeed Roustaee

Comment rendre l'air d'un récit irrespirable, simplement pat ses dialogues et de quelques ellipses bien senties ? Il suffit de demander au cinéma iranien, en général, et à Saeed Roustae, en particulier, dont le Woman and Child représente un thriller émotionnel à haute tension, qui 'n'en finit pas d'aller crescendo au risque de susciter quelque apnée chez ses spectateurs. Il s'agit bel et bien d'un mélodrame, d'une traversée de l'enfer pour son héroïne principale, que d'aucuns jugeront peut-être un peu trop riche en péripéties dramatiques et éventuellement trop féministe, aussi ? Soyons sérieux, s'il pousse le bouchon très loin et joue avec nos nerfs, au point d'envisager pire encore que les situations décrites, c'est parce qu'il y a une qualité et une maîtrise de l'écriture confondante et une mise en scène aussi efficace et charnue qu'un Scorsese ou un Schatzberg des années 70. D'une intensité constante, Woman and Child est interprété notamment par des actrices de 3 générations successives, avec Parinaz Izadyar, sublime d'humanité et de cruauté, dans le rôle principal. Dans ses meilleurs moments, le film rappelle indéniablement le cinéma d'Asghar Farhadi, mais en plus âpre et en plus machiavélique, si tant est que cela puisse être possible.

 

La femme la plus riche du monde de Thierry Klifa

Franchement, on s'attendait plutôt à un récit satirique pour évoquer une affaire célèbre d'autant plus sujet à fantasmes qu'elle concernait La femme la plus riche du monde, française qui plus est. Sans doute que notre vision a pu être polluée par la version délirante qu'en a livré, il y a quelques semaines, un Jérôme Commandeur déchaîné. Eh bien, étant donné le CV du réalisateur, Thierry Klifa, il ne fallait pas s'attendre à rire grassement d'une histoire bête en cours, a priori, mais plutôt à une reconstitution, sans doute assez fidèle à ses différentes composantes, à partir de l'ennui d'une dame dans sa cour de sujets respectueux et qui nécessitait son fou de la reine, pour pimenter son quotidien. Si le personnage du supposé "escroc" est joué de manière croquignolette par Laurent Lafitte, c'est finalement l'histoire familiale, avec ses secrets inavouables et sa collusion avec le monde politique de l'époque d'un président rosé, qui suscite le plus d'intérêt. Que dire d'Isabelle Huppert, si ce n'est qu'elle plus que parfaite, mais qu'on aurait davantage vu une actrice plus âgée correspondre au rôle ? Moins drôle et moins méchant qu'attendu, le film pâtit en outre d'une réalisation guère flamboyante qui rendrait cette histoire presque banale, ce qui est tout de même un comble.

 


24/05/2025
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Toujours Alès (9)

 

Voyage avec mon père de Julia von Heinz

Il est assez troublant de voir Voyage avec mon père, quelques semaines seulement après A Real Pain, puisqu'ils traitent tous les deux d'une sorte de tourisme mémoriel, en Pologne. Le contexte temporel n'est pas le même cependant : adapté d'un livre paru en 1999, le film de Julia von Heinz se déroule en 1991 et concerne un père, survivant d'Auschwitz, et sa fille, désireuse de comprendre le passé de sa famille. Voyage avec mon père joue ostensiblement avec les différences entre ses deux personnages, le plus concerné et même stressé des deux n'étant pas celui que l'on croit. Le film accentue, peut-être un peu trop, le degré de conscience entre deux générations, l'une qui a vécu l'horreur et ne veut pas y penser, l'autre qui en est héritière et compense par la surabondance d'information ce qu'elle n'a pas vécu dans sa chair. Deux manières de ressentir que le passé ne passe pas, quand il est à ce point lié à des douleurs incommensurables. Le long métrage cherche à trouver le ton juste, dans cette incompréhension entre père et fille, avec des ressortissants polonais au milieu, pas nécessairement sympathiques, au demeurant. C'est une œuvre un peu étrange qui s'échappe par le biais de l'humour mais qui ne peut qu'être submergée, in fine, par l'émotion. Grâce au duo constitué par Stephen Fry et Lena Dunham, ce périple imparfait sort des sentiers battus et se révèle aussi touchant que faire se peut, en dépit d'un scénario pas toujours exempt de maladresses.

 

Kneecap de Rich Pepplatt

Un long métrage qui s'intitule Rotule (Kneecap), du nom d'un groupe de hip hop nord-irlandais, ne saurait être mauvais. Ce n'est pas seulement le biopic de cette formation pionnière qui fait office de scénario mais aussi un manifeste exaltant sur la survie de la langue gaélique irlandaise, le tout dans un emballage a priori foutraque et exubérant, particulièrement mal élevé et jubilatoire. Dans un Belfast et furieux où la haine de l'impérialisme anglais se révèle cinglante, l'humour et l'excès de substances planantes créent un cocktail euphorisant qui ne s'autorise aucune minute de répit. Le mérite en revient aussi à la mise en scène inspirée et inventive de Rich Peppiatt, lequel, ironiquement, est un anglais pur jus. Le film se fiche du politiquement correct et le langage y est tout sauf châtié, dans une boule d'énergie vitale qui s'étend jusqu'aux interprétations hallucinées des principaux protagonistes, dont les membres de Kneecap, mais aussi des seconds rôles féminins, un peu en retrait, mais savoureux. Quant à Michael Fassbender, ses rares apparitions montrent un charisme immédiat qui n'a pas besoin d'être développé pour rendre crédible sa prestation de symbole de la lutte irlandaise pour conserver ses valeurs et son identité, face à l'arrogant voisin d'en face.

 

Sukkwan Island de Vladimir de Fontenay

Avec Sukkwan Island, récit très personnel, David Vann a obtenu le Prix Médicis 2010 et un très gros contingent de lecteurs, la plupart éblouis par "un suspense insoutenable" alors que d'autres n'ont retenu que le côté malsain du roman. Quid de son adaptation aujourd'hui, avec Swann Arlaud dans le rôle principal, assez remarquable d'ailleurs ? Disons que l'appréciation va différer selon que vous ayez lu ou non le livre, avec aussi la sous-catégorie de ceux qui ont oublié les circonstances de l'événement le plus important qui s'y déroule (page 113, pour être précis). Les circonstances du projet de voyage dans le grand Nord où un père et son fils, qui vit seul avec sa mère, ont déjà du mal à paraître vraisemblables. Quant aux situations décrites en long et en large, ensuite, dans un environnement hostile, on les a toutes déjà vues auparavant dans de nombreux films liés à la survie. Mais le pire, au fond, est le sentiment final d'avoir été manipulé, de bout en bout. Précisons quand même que le portrait du père est largement édulcoré par rapport au roman, dont le côté sordide est bien plus frappant. Il était difficile de rendre cette noirceur acceptable dans un film et ce sont donc les paysages, très beaux, surtout quand la neige recouvre tout, qui se substituent en grande partie à une intrigue dont on ne nous révèle les vrais tenants et aboutissants qu'à la toute fin du métrage.

 

 


31/03/2025
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Toujours Alès (8)

 

La chambre de Mariana d'Emmanuel Finkiel

C'est une autre guerre qui est passée par l'Ukraine et qui l'a puissamment marqué, de l'occupation allemande à la "libération" soviétique. Adapté du roman de Aharon Appelfeld, La chambre de Mariana raconte une histoire familière, hélas, jusqu'à un certain point, celle d'un garçon juif de 12 ans, Hugo, caché dans une maison close, et plus précisément dans la chambre d'une prostituée, amie d'enfance de sa mère qui lui a choisi ce refuge. La caméra d'Emmanuel Finkiel ne regarde que ce que le garçon, qui ressemble à un ange, voit. Le réalisateur de Voyages et de La Douleur, connu pour sa sensibilité et sa capacité à saisir les tremblements de l'intime, est à son affaire pour livrer un récit épuré, d'une force peu commune pour nous faire sentir la tension mais aussi illustrer la complicité naissante entre un adolescent en devenir et une femme à la fois protectrice et fragile. Bien d'autres œuvres cinématographiques ont montré les horreurs de la seconde guerre mondiale mais peu ont finalement réussi à nous les faire ressentir de façon viscérale, sans la montrer de manière frontale. La chambre de Mariana, avec une magnifique économie de moyens, y parvient sans pathos. Il faut dire qu'à côté du jeune et remarquable Artem Kyryk, Mélanie Thierry éblouit par une performance hors normes, sans doute la plus forte de sa carrière.

 

Bergers de Sophie Deraspe

Après son formidable Antigone, la cinéaste québécoise Sophie Deraspe est passée à tout autre chose avec Bergers, l'adaptation de l'autofiction de son compatriote, Mathyas Lefebure. Le résultat n'en est pas moins enthousiasmant, une plongée dans le monde déclinant du pastoralisme, sans naïveté, si ce n'est celle de son personnage principal, mais avec une volonté de réalisme qui n'exclut pas des a-côtés politiques, économiques, philosophiques, sociologiques, poétiques, et la liste n'est pas limitative. Un très beau long métrage qui reprend la réflexion intellectuelle du livre mais qui la transcende par ses images, forcément superbes dans la voie de la transhumance vers les alpages, tout en offrant une véritable expérience sensorielle et en n'oubliant pas le caractère physique et éreintant du métier de berger. Au sujet de l'esthétisme du film, d'ailleurs, la réalisatrice n'a pas souhaité en rajouter dans le beau, en se refusant à filmer à partir de drones, ce qui aurait été une facilité et assez contraire à la vision du berger (et de la bergère) et de son troupeau de brebis. Félix-Antoine Duval et Solène Rigot excellent dans les deux rôles principaux, aux côtés d'un certain nombre de comédiens amateurs (ou pas ?), avec accent, qui donnent au film une authenticité et une humanité de bon aloi.

 

Le clan des bêtes de Christopher Andrews

Se laisser manger la laine sur le dos n'est pas quelque chose de très agréable, surtout quand on est éleveur de moutons. Dans Le clan des bêtes, les propriétaires de deux exploitations voisines, quelque part en Irlande, semblent se détester depuis longtemps et l'engrenage de la violence les opposant va prendre de fatales proportions. Christopher Andrews, le réalisateur, a peut-être trop vu de films coréens ou est sorti ébloui de As Bestas, on l'ignore, mais il a visiblement eu des ambitions au-dessus de ses moyens, dans un récit qui hoquette à plusieurs reprises, sans raison valable, si ce n'est celle d'épater la galerie. Des êtres frustes dans un univers rude, oui, on a compris l'idée, comme la scène d'ouverture censée expliquer en partie le déchaînement de violence qui va se dérouler sous nos yeux ébahis et nos oreilles meurtries par un accompagnement musical soit inadéquat, soit assourdissant. Cela se voudrait shakespearien mais la psychologie des personnages reste simpliste et les dialogues sans grand relief. Avertissement : les amoureux des animaux vont souffrir devant ces haines humaines recuites et l'on ne pourra sauver, éventuellement, que quelques scènes d'action filmées sous tension et une interprétation globale qui, sans atteindre des sommets, s'avère assez honorable.

 


29/03/2025
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Toujours Alès (7)

 

The Surfer de Lorcan Finnegan

The Surfer ne sort pas de nulle part. Il provient d'une certaine tradition du cinéma australien, du côté de l'absurde, de l'excès et de l'horreur, née avec Réveil dans la terreur (1971) et qui s'est poursuivie dans la même décennie avec les premiers films de Peter Weir. Avec Ted Kotcheff (Canadien), hier, comme avec Lorcan Finnegan (Irlandais), aujourd'hui, ce sont des lieux emblématiques de l'Australie qui servent de cadre au dérapage de la réalité vers un cauchemar inextricable : l'Outback dans le premier cas et la plage, dans le second. The Surfer ne se prive d'ailleurs pas de nous montrer, à intervalles réguliers, la faune australienne, qui ressemble à un musée du bizarre. Dans The Surfer, les pénibles situations que subit son anti-héros, face à une sorte de secte viriliste, sont l'expression de vagues à l'âme de celui qui voulait seulement emmener surfer son fils. Le film veut évidemment signifier quelque chose, en rapport avec le passé de son personnage principal, mais cette béquille narrative n'est pas essentielle dans cette œuvre cathartique, qui serait même plus puissante, sans cela. En tous cas, cette fable cruelle constitue un véhicule de choix pour le génie de Nicholas Cage qui semble ici souffrir pour avoir tourné autant de mauvais films, ces dernières années. Il n'est pas interdit de ressentir un plaisir sadique à le voir autant dérouiller.

 

On Falling de Laura Carreira

Que savons-nous d'Aurora, la protagoniste principale de On Falling, long métrage produit par Sixteen Films, société dont Ken Loach est le cofondateur ? Peu de choses, en vérité : elle vient du Portugal (pourquoi, comment ?), travaille comme préparatrice de commandes dans un vaste entrepôt écossais, échange des banalités avec ses collègues et ses colocataires et son meilleur ami semble être son téléphone portable. Victime anonyme d'un travail qui ressemble à de l'esclavagisme moderne, Aurora a autant de perspectives d'avenir que le permet le ciel gris et bouché de Glasgow ou d’Édimbourg. Similaire à l'univers de Ken Loach, dîtes-vous ? En partie, pour le constat froid du réalisme social, mais en plus triste encore, sans le recours à l'humour, car la réalisatrice, Laura Carreira nous refuse presque toute empathie à l'égard de son héroïne, insistant sur la répétition des tâches qui caractérise sa vie, dans et en dehors de son travail, et coupant le plus souvent abruptement des scènes qui pourraient nous sortir de la vision d'une routine aliénante. On Falling ne délivre pas la catharsis attendue, au risque d'engluer son personnage central dans un no (wo)man's land émotionnel. Le pari est risqué vis-à-vis du public et il n'est pas du tout certain qu'il soit payant.

 

Little Jaffna de Lawrence Valin

Fatigué d'être cantonné à des rôles trop stéréotypés, eu égard à sa couleur de peau, Lawrence Valin est devenu scénariste et réalisateur pour pouvoir raconter des histoires qui lui tenaient à cœur. Le projet de Little Jaffna a été amorcé dès 2018 et il a fallu beaucoup de ténacité et de force de conviction à son créateur pour le faire parvenir à destination. Son sujet ? Une infiltration dans les gangs tamouls de Paris, alors que la guerre faisait encore rage au Sri Lanka, avec des massacres qui n'ont guère trouvé d'écho dans les médias français. Un film de mélange de genres, donc, sous influence scorsesienne, que son réalisateur dit avoir tourné comme si ce devait être son dernier. Les tigres sont lâchés dans un long métrage qui n'a pas peur des scènes d'action et des démonstrations de force, éventuellement filmées au ralenti. Un peu de romance aussi, un suspense tendu et un personnage central loin d'être tout d'une pièce, qui a grandi à Paris mais n'a pas oublié ses racines. Avec Little Jaffna, Lawrence Valin voulait mettre en avant la communauté tamoule installée en France et rappeler aussi que la violence de la guerre au Sri Lanka, officiellement terminée depuis 2009, a été effroyable et a touché des milliers d'innocents civils. La mission est accomplie avec une certaine virtuosité.

 

 


28/03/2025
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Toujours Alès (6)

 

Songe de Rashid Masharawi

Dans Songe, le propos de Rashid Masharawi ne passe pas par l'indignation ni par la colère mais par des armes qui se révèlent tout aussi efficaces, celles de l'amertume et de l'ironie, au regard du quotidien du peuple palestinien. La ligne directrice du scénario est bien humble en apparence, soit la quête d'un jeune garçon pour retrouver son pigeon qui s'est envolé mais ce n'est bien entendu qu'un prétexte pour nous faire voyager, de l'aube à la nuit, d'un camp de réfugiés en Cisjordanie à Haïfa, en passant par Bethléem et Jérusalem. Un périple dans un combi Volkswagen brinquebalant qui donne lieu à des rencontres inopinées, des explications familiales, des moments de tendresse et de solidarité, mais aussi des contrôles humiliants aux Checkpoints et une certaine idée de la paranoïa ambiante chez "l'occupant" israélien. Si le film s'intitule Songe, c'est sans doute, qu'à l'instar du pigeon disparu, l'espoir d'un futur sans contraintes ni affronts, vers une liberté chérie, reste toujours vivace chez les Palestiniens. Les films passés de Elia Suleiman l'ont démontré avec un sens du burlesque sans équivalent mais Songe, en toute modestie et douceur, contribue à dresser un état des lieux des plus objectifs, sans chercher à susciter une quelconque polémique.

 

Chroniques d'Haïfa de Scandar Copti

L'écriture de Chroniques d'Haïfa s'est achevée en 2018 et son tournage, en 2020, a dû s'interrompre au bout de 3 jours seulement, à cause de la pandémie. Malgré ces atermoiements, le film de Scandar Copti, dont la précédente œuvre, Ajami (en coréalisation), datait d'il y a déjà 15 ans, a enfin pu être présenté au Festival de Venise 2024. Long métrage choral, Chroniques d'Haïfa imbrique plusieurs récits autour de membres d''une même famille palestinienne et d'autres personnages, Arabes ou Juifs, dont la cohabitation à Haïfa, la ville la plus cosmopolite d'Israël, est moins problématique qu'ailleurs dans le pays, mais se heurte néanmoins à pas mal d'interdits ou de préjugés. Il est question de mariage, de grossesse, de difficultés financières et de liaisons dangereuses, dans un style documentaire qui met en valeur la qualité de l'interprétation mais qui se révèle, en revanche, trop sophistiqué, ou confus, selon sa propre compréhension des sujets traités, dans une construction qui se joue des temporalités et fait parfois apparaître la même scène à des moments différents. L'on peut être un peu déboussolé et ne pas tout saisir immédiatement des enjeux profonds mais les interactions entre les deux communautés, avec ses incompréhensions et ses a priori, rendent le film intense et assez souvent passionnant à suivre.

 

Exhuma de Jang Jae-hyung

Ce n'est pas toujours une bonne idée que de répondre à l'appel de la tombe, en déterrant de vieux corps qui n'en demandaient pas tant, encore que. Mais sans cette fascination de l'au-delà, il n'y aurait pas d'Exhuma, un film coréen jusqu'au bout des ongles et pas désagréable à regarder, pour peu que l'on n'ait rien contre le paranormal et l'ésotérisme. Ce qui est fort dans le film, c'est qu'il est en fait composé de deux récits qui s'enchaînent, de manière inattendue, mais avec les mêmes protagonistes principaux, à savoir une jolie chamane, un vieux géomancien et quelques comparses susceptibles de souffrir dans leur chair. L'ensemble ne manque pas de conviction ni de maîtrise formelle, avec quelques allusions à l'histoire du pays, avec ses infâmes ennemis colonisateurs japonais, mais fait preuve d'un peu trop de sérieux et d'application dans un crescendo d'horreur, qui en devient presque ridicule, alors que l'humour n'est pas vraiment ce qui caractérise le long métrage. Pour qui n'est pas un animateur de cinéma de genre mais qui ne dédaigne pas d'y passer une tête, de temps en temps, Exhuma n'impressionnera sans doute pas outre mesure mais n'ennuiera pas non plus, faisant office d'entre deux qui s'oubliera plus vite qu'il ne faut pour le dire.

 


27/03/2025
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Toujours Alès (5)

 

Escape de Lee Jong-pil

Dans l'abondante production du cinéma d'action coréen, il existe un sous-genre lié à la géopolitique, le film de frontière, celle avec la Corée du Nord, bien évidemment. Escape, réalisé par Lee Jong-pil, ne fait pas dans la dentelle mais son efficacité est certaine. Déjà, parce que sa description de l'armée Nord-Coréenne, en particulier, et du régime du pays, en général, délivre tous les clichés attendus, sans doute en grande partie parce qu'ils sont vrais. Ensuite, à cause d'un rythme haletant, dans une poursuite échevelée entre celui qui lorgne la liberté au Sud de Pyongyang et son chasseur qui veut absolument l'en empêcher, autant pour des raisons idéologiques que personnelles. Le personnage du méchant, ici, est très réussi, avec beaucoup de nuances dans sa personnalité et son inhumanité trop viscérale. Il faut aussi l'avouer, il est inutile d'être trop regardant sur l'improbabilité de certaines situations et sur la crédibilité de péripéties poussées à l'extrême. Peu importe, Escape montre un esprit spectaculaire, totalement décomplexé, et risque même d'amuser les privilégiés Nord-Coréens qui auraient accès au film, d'une manière ou d'une autre. Car l'humour, même cruel, fait aussi partie du cahier des charges, au même titre que la violence.

 

Ghostlight de Kelly O'Sullivan et Alex Thompson

Ghostlight est un film de famille, à plusieurs titres. D'une part, parce que le scénario du long métrage de Kelly O'Sullivan et Alex Thompson (un couple dans la vie) raconte l'existence de trois membres d'une même famille (père, mère, fille) dont on découvre, au fur et à mesure, ce qui plombe leur relation et d'où vient la tristesse et la colère qui les étreignent, plus souvent qu'à leur tour. D'autre part, dans ce film tourné à Chicago, avec des acteurs locaux, à une exception près (l'excellente Dolly de Leon), le trio principal de comédiens a les mêmes degrés de parenté dans la réalité que dans la fiction. L'alchimie est parfaite dans cette œuvre de "troupe", avec un hommage appuyé au théâtre amateur et à Shakespeare, en particulier, dont le Roméo et Juliette sert ici de thérapie, avec un poignant effet miroir (en dévoiler davantage serait un crime). Ghostlight bouleverse par sa pudeur intrinsèque, avec ses petits triomphes qui cautérisent, un peu, une plaie ouverte que seul le temps atténuera. A son écriture délicate et sensible correspond une mise en scène discrète mais précise, qui met en avant des comédiens remarquables, à commencer par l'insolente Tara Mallen, pas plus intimidée que cela de jouer avec ses véritables parents dans la vie. Bourré d'humanité blessée, Ghostlight est une petite merveille émotionnelle du cinéma indépendant américain, lequel ne cessait de décevoir, ces dernières années, dans un style trop reconnaissable et non exempt de clichés auteuristes

 

Un monde merveilleux de Giulio Callegari

Depuis le début de l'écriture d'Un monde merveilleux, jusqu'à la sortie en salles, il s'est écoulé près de 5 ans. Le monde dystopique que décrit le film de Giulio Callegari n'est pas encore d'actualité mais avec l'avènement de l'IA, disons que l'on s'en rapproche un peu plus chaque jour. Confronter une femme asociale rebelle à un univers où les robots domestiques pullulent, telle est, en tous cas, la bonne idée de départ du long métrage, qui n'est certes pas un manifeste mais une fantaisie qui a pour objectif premier de divertir, avec son interprète principale, une Blanche Gardin en grande forme, dont les dialogues avec son presque ami robot valent le détour, même s'ils se situent parfois sous la ceinture. Le film a le bon goût d'être court et rythmé et possède même quelques moments poétiques ainsi qu'une mise en scène loin d'être neutre. Rien de bouleversant dans tout cela, c'est entendu, mais la naïveté programmée du robot a pour effet de désarmer les êtres humains en face de lui et de leur redonner, paradoxalement, une identité régénérée et, pourquoi pas, une autre vision de la société et de la liberté. Pas sûr que le film vieillisse bien mais cet instantané d'un futur trop proche a au moins le mérite de faire sourire et, éventuellement, de faire réfléchir au monde qui nous attend.

 


26/03/2025
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Toujours Alès (4)

 

Oxana de Charlène Favier

Eu égard à la vie convulsive et combattante de Oksana Chatchko, cofondatrice du mouvement femen, dans l'Ukraine de 2008, il est assez logique que son portrait tracé par Charlène Favier, dont on n'a pas oublié l'excellent premier long, Slalom, ne soit pas un biopic linéaire et sage. Le film fait sans cesse la navette entre 2018 à Paris, qui devrait être l'année de la consécration pour Oksana, en tant qu'artiste, et le parcours d'engagement de cette jeune femme, pour qui l'art et la révolution sont les deux piliers de son existence. Sans brouiller le message, disons que cette construction en flashbacks a tendance à mettre l'accent en priorité sur ses engagements alors que la réalisatrice ne cache pas qu'elle voulait aussi, et sans doute surtout, parler de l'évolution d'une femme, à la fois pure et complexe , entre la religion, le militantisme et la peinture. Concernant le collectif qu'elle a contribué à créer, et dont elle a été finalement peu ou prou écartée, il est souvent réduit pour beaucoup à une révolte menée seins nus et le film a le mérite de le resituer dans l'espace et le temps, même si son affiche essaie de le faire résonner en fonction de l'actualité, et c'est de bonne guerre, si l'on ose dire. Le casting ukrainien a pris du temps et beaucoup d'énergie à la cinéaste, qui a ensuite dû se résoudre à tourner en Hongrie, mais il est l'un des grands atouts du long métrage, avec la magnétique Albina Korzh en première ligne, qui incarne avec brio cette femme puissante et fragile.

 

Le retour du projectionniste de Orkhan Aghazadeh

C'est un voyage en terre méconnue que nous propose Le retour du projectionniste, dans un village reculé d'Azerbaïdjan, à la rencontre de deux hommes séparés par 50 ans d'écart mais néanmoins unis par leur passion du cinéma. Le plus âgé pleure son fils depuis deux ans et ambitionne de projeter un film dans une salle municipale alors que le second, étudiant, conçoit des films d'animation à domicile. Estampillé documentaire, le film soigne son fil narratif à travers l'insoutenable attente de la livraison d'une lampe nécessaire pour faire fonctionner un projecteur de l'époque soviétique. Le récit, assez souvent facétieux, quand il décrit les obstacles matériels et humains à la réalisation du rêve du vieil homme et de son jeune assistant, est une histoire d'amitié et de solidarité dans une communauté isolée, en un endroit où il faut grimper sur une colline pour espérer capter du réseau. La magie de l'écran blanc de cinéma et la réunion de toute une population, autour de la célébration du 7ème art, sont les moteurs inaltérables d'un film qui dit la passion des images avec une attachante pureté.

 

Tardes de soledad de Albert Serra

Deux films, adaptés du même roman espagnol, l'un muet et l'autre parlant, portent le titre d'Arènes sanglantes. Cela aurait pu être celui du documentaire d'Albert Serra mais sa connotation aurait été trop évidente pour un métrage qui refuse de trancher entre les pro et les anti, puisque ce n'est pas son propos, dans un film qui suit le jeune mais déjà célèbre torero péruvien Andrés Roca Rey sur son lieu de travail, si l'on ose dire, mais aussi à l'hôtel, avant, et en voiture, après. Aucun commentaire pour distraire l'attention, ni digression d'aucune sorte, mais "l'art" de la tauromachie, dans ce qu'il a de plus pur, de plus brutal ou de plus abject, selon l'opinion que vous en avez. En tous cas, on n'avait jamais vu une telle proximité dans ce combat de l'homme (au regard halluciné) et de l'animal (écumant et sanguinolent). Quelque chose de primitif, de viscéral et d'abominable, toujours au choix, avec une mise en scène éblouissante qui n'édulcore rien, ni de la fascination de la mort chez l'un, ni le courage et l'agonie de l'autre, le tout sans que les spectateurs soient montrés. L'autre grande force du film est de montrer l'environnement du torero, sa quadrille, principalement, dont les mots sont autant de signaux de virilité exacerbée, au-delà des limites admises, insultes comprises à destination du taureau lui-même, quand il est sournois, ou du public, parfois considéré comme ennemi car incapable de reconnaître la valeur du matador. Tardes de soledad n'a pas vocation à convaincre les défenseurs ou les détracteurs de la tauromachie, il se contente de tout montrer de ses rituels avec une maestria telle qu'on lui accordera sans hésiter les deux oreilles, voire davantage, même s'il reste nécessairement un goût de sang dans la bouche, au bout du compte.

 

 

 

 

 


25/03/2025
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