Cinéphile m'était conté ...

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Europe du Nord


Créatures sauvages (Les filles du chasseur d'ours)

Les filles du chasseur d'ours, un nouvel avatar du genre de Nature Writing, très à la mode, ces temps-ci ? Pas vraiment, car ce récit d'émancipation féroce en dynamite les piliers, montrant un environnement hostile et la difficulté de vivre ensemble au sein d'un petit groupe, loin de la civilisation, fût-il composé de sept sœurs, héritières d'un père qui leur a appris à se méfier de la société. Le livre de la Suédoise Anneli Jordahl ne fait pas dans la dentelle avec ces jeunes femmes livrées à elles-mêmes, au sein d'une hiérarchie imposée qui encourage la rébellion de certaines, eu égard aux caractères très dissemblables de ces héroïnes. L'autrice ressuscite au passage le souvenir du regretté Arto Paasilinna, qui nous a enchanté durant de nombreuses années. Mais la manière de Anneli Jordahl est bien plus corsée, la vulgarité ne lui pas peur, alors que l'humour, robuste, emplit des pages où l'on s'ennuie jamais des moments passés auprès de ces rebelles qui boivent, fument et éructent, au nez et à la barbe des bêtes de la forêt primitive finlandaise, non loin de la frontière suédoise, à 150 km des premiers voisins. Chacun tirera les enseignements de ce retour à la nature forcené, avec une dernière partie de roman moins ébouriffante mais toujours passionnante, où la domestication de ces sauvageonnes emprunte des chemins évidemment pas orthodoxes. Anneli Jordahl a écrit bien d'autres romans, pas encore traduits en français, qui le seront peut-être à l'avenir , pour permettre de découvrir si Les filles du chasseur d'ours, à la santé tonitruante, marque une exception dans l’œuvre de l'écrivaine ou, au contraire, trace une continuité dans le peu politiquement correct. A suivre, espérons-le.

 

 

L'auteure :

 

Anneli Jordahl est née le 28 juin 1960 à Östersund (Suède). Elle a publié une quinzaine de livres.

 


19/03/2024
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Noir comme le passé (Les Parias)

Faut-il encore utiliser le terme de polar pour évoquer Les Parias, d'Arnaldur Indriðason ? Oui, parce qu'il y a bien des meurtres du passé, sans coupable encore identifié, à élucider, à commencer par celui qui hante le héros du roman, à savoir celui de son père. Une obsession qui a parcouru les livres précédents consacrés à Konrad, policier à la retraite, et qui pourrait enfin trouver son dénouement ici, ou peut-être pas. Mais plus que de polar, il serait juste de parler de roman noir, ou glauque si vous préférez, avec une atmosphère à couper à la scie. Le livre est moins facile d'accès et fluide que d'autres de l'auteur, qui n'hésite pas à basculer à moult reprises dans des flashbacks datant des années 70 en Islande, une époque plutôt rude pour certaines populations défavorisées alors même que les trafics se multipliaient, en lien avec la présence de la base américaine (un sujet que Indriðason a largement documenté dans ses livres précédents). Dans ce dialogue permanent et cependant brumeux entre présent et passé, l'auteur aborde entre autres la vie clandestine des homosexuels au siècle passé et d'innommables actes pédophiles. Dans ce climat sordide, Konrad, obnubilé par l'assassinat de son infâme géniteur, ne prend pas de gants avec les rares témoins d'une époque révolue et s'obstine pour parvenir à une (des) vérité (s) ensevelie(s) par le passage du temps. Le savoir-faire de l'écrivain est indéniable mais sa tendance à l'exploration des ténèbres de l'âme humaine a quelque chose d'inquiétant. Heureusement, que de temps à autre, il se permet des escapades plus légères, comme dans le récent et merveilleux Le roi et l'horloger.

 

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Métailié.

 

 

L'auteur :

 

Arnaldur Indriðason est né le 28 janvier 1961 à Reykjavik. Il a publié 26 romans dont La cité des jarres, Hiver arctique, Passage des ombres et Le roi et l'horloger.

 

 

 


20/01/2024
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Au train où vont les choses (Prochain arrêt)

Après Les Survivants, une histoire de fratrie, dans une veine située entre Tchekhov et Bergman, Prochain arrêt, le deuxième roman de Alex Schulman, raconte à nouveau l'histoire d'une famille, se rapprochant encore davantage de son compatriote et cinéaste suédois. Comme dans son premier livre, l'auteur a singulièrement complexifié sa forme, avec des personnages qui prennent le train pour la même destination, à savoir Malma, une petite ville éloignée de Stockholm, mais pas à la même époque. Ils ont tous cependant un lien entre eux, que l'on découvre assez vite, et une existence marquée par la perte et une certaine angoisse de la solitude. Les couples, qui se sont promis de s'aimer toujours, se séparent, et l'enfant, qui croit en la permanence du lien maternel ou paternel, est déçu(e), inéluctablement. La tonalité est mélancolique mais ne manque pas d'une certaine beauté, comme la pluie qui cingle les vitres d'un wagon. Avec sa construction volontairement complexe, le récit recèle un certain nombre de mystères et oblige sans cesse à faire l'effort de se souvenir qui est qui. Ce n'est pas désagréable, comme dans Les Survivants, d'ailleurs, mais un poil artificiel tout de même, avec un nombre imposant de retours en arrière . Qu'aurait donné le même livre s'il nous avait été proposé dans sa stricte chronologie ? Il aurait perdu de son aspect thriller psychologique mais aurait peut-être gagné en densité émotionnelle. Et son pessimisme sur les relations humaines en aurait été encore renforcé. Mais Alex Schulman a préféré son rythme à lui, au train où vont les choses, et le voyage, somme toute, laissera plutôt de bons souvenirs.

 

 

L'auteur :

 

Alex Schulman est né le 17 février 1976 à Skåne (Suède). Il a publié Les Survivants.

 


15/01/2024
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Une Trabant dans un parc (Mon sous-marin jaune)

Jón Kalman Stefánsson est un auteur singulier et son roman autobiographique, Mon sous-marin jaune, ne pouvait être banal, à commencer par sa construction, tout sauf linéaire. Ce voyage dans le temps, notamment celui de l'enfance, est donc chaotique et cahoteuse, comme une balade en Trabant, la voiture du père, en cette Islande de la fin des années 60, au moment où la mère du narrateur s'éteint. C'est l'événement majeur du livre, celui qui induit le passage entre plusieurs strates de réalité, l'une réelle, si l'on ose dire, et les autres imaginaires et fantasmées. Outre l'Islande, entre Reykjavik, Keflavik et la province des Strandir, à partir des années 70, le roman nous transporte sans crier gare jusqu'au Moyen-Orient en l'an 33 ou même, plus loin encore dans le temps, en Mésopotamie. Le talent de l'auteur fait que l'on est parfois déboussolé mais jamais perdu tout à fait, même quand Dieu le père, lui même, à moins que ce ne soit le Démon, intervient comme personnage secondaire, buveur et colérique, à côté d'autres figures inattendues comme Johnny Cash, par exemple. Une mère disparaît et les Beatles se séparent : les deux drames se produisent à quelques mois d'intervalle et perturbent la vie d'un garçon islandais. Incapable de trouver une consolation auprès d'un père qui ne s'intéresse pas à lui, étonnez-vous que notre jeune héros se réfugie dans la chaleur du foyer d'un vieux couple et surtout dans des conversations hautes en couleurs avec des défunts ! Tissé de noir mais traversé de belles plages de tendresse, voire d'humour irrésistible, Mon sous-marin jaune est le livre d'un écrivain qui approche de la soixantaine, jamais remis d'un traumatisme d'enfance, mais qui a finalement trouvé l'équilibre et la sérénité. Au début du livre, de nos jours, le narrateur aperçoit Paul McCartney, son idole, dans un parc londonien. Il aurait bien quelques mots à lui dire mais ce ne sera pas avant 400 pages d'une aventure triste et extravagante à la fois, et qui s'appelle la vie.

 

 

L'auteur :

 

Jón Kalman Stefánsson est né le 17 décembre 1963 à Reykjavik. Il a publié 14 romans dont Entre ciel et terre et Ton absence n'est que ténèbres.

 

 

 


14/01/2024
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La mère des acariens (La femme qui a reconstitué le monde)

Qui connaît Marie Hammer, née Jørgensen à Copenhague, en 1907, hormis les spécialistes en zoologie et entomologie ? Wikipédia, version française, ignore cette scientifique et aventurière qui, dans son domaine bien spécifique et avec son goût de l'exploration, mériterait une place équivalente à celle occupée par Isabelle Eberhardt ou d'Alexandra David-Néel. Danoise, elle aussi, Eva Tind raconte dans La femme qui a reconstitué le monde les grandes lignes d'une existence marquée par des recherches sur 5 continents, pour collecter les acariens de mousse, ces "bestioles" invisibles à l’œil nu et dont les caractéristiques communes, au Groenland, en Bolivie ou en Nouvelle-Zélande, l'ont amené à prouver la théorie de la dérive des continents, émise par le physicien-météorologue Alfred Wegener, encore controversée au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le livre s'appuie sur les carnets de Marie Hammer et sur plusieurs interviews, faisant davantage appel à la fiction pour la vie de famille de la chercheuse, avec un mari et 4 enfants pour lesquels elle a été souvent absente, pour une mission au bout du monde. A travers sa destinée, c'est aussi la place des femmes dans la communauté scientifique qui est contée, semée d'embûches, de sarcasmes, de difficultés financières et matérielles, et parfois, heureusement, d'appui et de reconnaissance (tardive). Celle qui était surnommée "la mère des acariens" valait bien d'être l'héroïne d'un ouvrage entre la biographie et le roman, qui est obligé de réaliser quelques ellipses parfois frustrantes car il est difficile de faire autrement pour documenter la vie d'une femme aussi étonnante et qui a vécu 95 ans, dont 47 passés à sillonner le monde, le plus souvent seule et dans des conditions plus ou moins précaires.

 

 

L'auteure :

 

Eva Tind est née le 18 février 1974 à Pusan (Corée du Sud).

 


27/12/2023
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La peau du chagrin (Les monologues d'un hippocampe)

Après Le pays des phrases courtes qui a été bien accueilli en France, il était logique que son (excellent) éditeur, Le bruit du monde, complète notre connaissance de l’œuvre de l'autrice danoise Stine Pilgaard avec la traduction de son tout premier roman, publié en 2012 dans son pays, Les monologues d'un hippocampe. Le roman ressemble à une autofiction, centrée sur une jeune femme qui ne se remet pas d'un chagrin d'amour. Mais c'est avec un humour constant, et une certaine philosophie de l'existence, que le quotidien du personnage nous est conté, au contact d'un certain nombre de proches, plus ou moins compatissants à son désespoir. Ils sont tous plutôt pittoresques : le père, la mère, la meilleure amie et le médecin, et leur portrait ne manque pas de pimenter un livre agréable, qui ne prétend pas à une ambition démesurée, tout en analysant avec verve un spleen existentiel et un désir d'être aimé(e) par chacun(e) partagé. Un monologue, cependant, reste un exercice risqué et Stine Pilgaard a beau essayer de donner du rythme à son récit, ce dernier n'échappe pas à certaines redites qui rendent sa lecture moins fluide qu'espéré.

 

 

L'auteure :

 

Stine Pilgaard est née le 27 mars 1984 à Aarhus (Danemark). Elle a publié Le pays des phrases courtes.

 


14/11/2023
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Jeux de mots (Eden)

L'idéal, pour goûter toute la saveur des jeux sur les mots d’Éden, serait de lire le dernier roman de Auður Ava Ólafsdóttir en Islandais. Faute de quoi, un peu de la poésie du livre s'évade forcément, mais point trop quand même, grâce à 'excellente traduction de Eric Boury, pour autant que l'on puisse en juger. En tous cas, pas de mauvaise surprise à l'horizon quand on a apprécie l'autrice depuis Rosa Candida dont la fantaisie, pas déconnectée du monde pour autant, fait toujours autant merveille. L'héroïne de Éden, Alba, linguiste de son état, s'est résolue à changer de vie, à la campagne, et ses réflexions, autour de son environnement et du monde tel qu'il va mais aussi des mille et une subtilités de la langue islandaise, s'inscrivent dans un vagabondage narratif d'où l'humour n'est jamais absent, pour notre plus grand plaisir. D'écologie et de réfugiés, il y est notamment question, mais non pas sur un ton comminatoire mais au contraire sur un mode tolérant et curieux, y compris lorsqu'il s'agit de documenter l'absurdité de nos existences. Avec cette chère Auður Ava, c'est le gai savoir et le respect des différences qui mènent la danse. Le monde est tragique, peut-être, mais ce n'est pas une raison pour perdre le moral et notre capacité à nous réinventer, tout comme Alba.

 

 

L'auteure :

 

Auður Ava Ólafsdóttir est née en 1958 à Reykjavik. Elle a publié 8 romans dont Rosa Candida, Miss Islande et La vérité sur la lumière.

 


23/10/2023
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Une dynastie de croque-morts (Une fin heureuse)

A l'évidence, la Danoise Maren Uthaug n'a peur de rien et semble se réjouir de jouer avec un certain nombre de tabous liés à la mort, y compris la nécrophilie. Il ne faut pas le cacher, certains aspects de Une fin heureuse mettent mal à l'aise, même avec une belle pincée d'humour noir pour faire passer l'outrage. En racontant la dynastie des croque-morts d'une famille danoise à travers les siècles, jusqu'au dernier, pas le moins dérangé, c'est à une saga haute en couleurs que la romancière convie ses lecteurs, dans la découverte de personnages qui exercent tous leur métier avec une certaine singularité, pour ne pas dire excentricité. Un livre constamment passionnant parce qu'il prend le pouls de chaque époque traversée, avec une abondance de détails sur l'évolution de la société, des mœurs et des rites funéraires au fil du temps, et en abordant sans défaillir les différentes épidémies qui surgissent ou encore la sombre période de l'occupation allemande. L'autrice n'y va pas de main morte, c'est le cas de le dire, quand il s'agit de narrer les relations entre les membres de cette caste aux manies, vertus et vices évoqués en grandes pompes (funèbres). Et pour notre plus grand bonheur, l'alternance des tonalités côtoie les extrêmes, de la poésie (le croquemort qui dialogue avec les défunts) au sordide. Une lecture pleine de vitalité et de sensations pour les heureux mortels que nous sommes.

 

 

L'auteure :

 

Maren Uthaug est née en 1972 à Kautokeino (Norvège). Elle a publié Et voilà tout et Là où sont les oiseaux.

 


24/05/2023
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Avis de dépression (Déperdition de la chaleur humaine)

Sauf erreur, Déperdition de la chaleur humaine (quel titre !) est le septième roman de l'Islandais Bergsveinn Birgisson, également auteur de recueils de poèsie. Mais il n'a été traduit en français qu'à trois reprises, avec le meilleur pour débuter, sa sublime Lettre à Helga. Pour Déperdition de la chaleur humaine (sacré titre), le road-trip à travers l'Islande que nous propose l'écrivain se joue à trois personnages : le narrateur, son meilleur ami souffrant de dépression, interné en établissement psychiatrique, et l'infirmière de ce dernier, rapidement surnommée la Mère Fouettard par les deux larrons, pour son caractère acariâtre. Entre nous soit dit, lequel des trois est le plus proche de la démence, reste une question pertinente. Quoi qu'il en soit, le récit se préserve de tout réalisme et s'évade vers des contrées indéterminées entre onirisme et loufoquerie, tout en accumulant les réflexions philosophiques autour de notre monde moderne gouverné par les algorithmes. Sans oublier moult références aux sagas nordiques (merci les notes de bas de page) et un humour sardonique. Oserait-on dire qu'il émane également de l'ensemble une certaine part de misogynie ? Oui, osons. Dans cette dérive existentielle qui constitue l'essentiel du livre, tout n'est cependant pas à jeter, loin de là. C'est un roman rythmé, souvent amusant et imprévisible, qui assume son côté surréaliste qui est sans doute synonyme de parabole quant au rapport qu'entretient Birgisson avec la fiction. Cela n'empêche pas de trouver que face à La lettre à Helga, Déperdition de la chaleur humaine (un titre pas si bête, finalement) ne joue vraiment pas dans la même cour.

 

 

L'auteur :

 

Bergsveinn Birgisson est né le 30 août 1971 à Reykjavik. Il a publié 7 romans dont La lettre à Helga.

 


19/02/2023
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Une Islandaise à New York (Un coup de tête)

A deux semaines d'intervalles, les éditions Métailié publient deux romans historiques islandais. Une coïncidence amusante pour deux livres qui n'ont cependant que peu en commun, outre l'époque qui n'est pas la même. Là où Le roi et l'horloger d'Arnaldur Arnaldur Indriðason se révèle captivant et admirablement agencé, Un coup de tête de Sigrún Pálsdóttir se montre agréable à lire, tout en ressemblant parfois à un pastiche plutôt qu'à une œuvre réaliste. L'action se situe à Reykjavík, à la fin du XIXe siècle, avant de basculer rapidement à New York, aux basques d'une jeune fille, Sigurlina, qui, comme le titre du roman l'indique, est partie sans crier gare, en abandonnant son vieux père dont elle était une aide précieuse dans ses recherches archéologiques. Sur fond de querelle autour de la découverte de l'Amérique (Christophe Colomb ou les Vikings ?), Sigurlina, experte par ailleurs en broderie, va tenter de survivre, avec pour seul viatique une broche ancienne issue comme elle d'Islande. Les péripéties s'enchaînent à vive allure et l'on retient avant tout le tempérament volontaire de son héroïne plutôt que les hasards et coïncidences qui rythment le récit de manière plus ou moins vraisemblables. Au fond, cela aurait pu être une histoire sérieuse d'émancipation et de choc des cultures mais la romancière a souhaité la traiter de façon plutôt primesautière et ironique. C'est un choix assumé qui sort des sentiers battus et donne de l'originalité mais qui enlève peut-être un peu de profondeur et d'authenticité au contexte.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Métailié.

 

 

L'auteure :

 

Sigrún Pálsdóttir est née à Reykjavik en 1967.

 

 

 


20/01/2023
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