Sorties 2025
Epidémie érotique (La rivière des sens)
La ville de Yanjiao n'est séparée de Beijing que par une rivière. Durant la crise sanitaire, interdiction était faite aux habitants de cette cité-dortoir de se rendre dans la capitale où la plupart travaillait. L'héroïne du film de Ma Xue, Yang Fan, est, quant à elle, une ménagère parfaite dont la vie va être bouleversée, à cette période si particulière de l'histoire du XXIe siècle. C'est tout du moins l'une des seules choses que l'on comprend dans La rivière des sens, très chiche en dialogues et en explications, qui passe parfois sous un format d'image de smartphone, sans raison apparente, sans compter un monologue en anglais, poétique, cela va sans dire, récité par une fillette qui pourrait être ..., à moins que non. Pour le reste, c'est une répétition presque ininterrompue d'extases sexuelles, en solo, en duo et, peut-être, si vous êtes sage, en trio. Pourquoi ce désir si brûlant enflamme t-il Yang Fan et ses partenaires ? Peut-être une réponse épidermique aux injonctions des autorités, diffusées par hauts parleurs, de rester chez soi et de ne surtout pas tenter de se rendre à Beijing. L'épidémie érotique qui prend son essor sous nos yeux hagards ne suscite hélas aucune espèce d'émotion, à partir du moment où le film, qui ressemble souvent à un essai expérimental redondant au bout d'une dizaine de minutes, n'a rien à offrir d'autre, ou presque, qu'une histoire qui ne cesse de se mordre la queue, si l'on osait cette périphrase douteuse. D'ailleurs, c'est fait.
La réalisatrice :
Ma Xue est née le 29 mai 1980 en Chine. Elle a réalisé 2 films.
Admirations et souvenirs (Spectateurs !)
Mais c'est quoi donc, Spectateurs! ? Une déclaration d'amour au cinéma et aux salles qui le célèbrent, oui, assurément. Mais c'est surtout un objet hybride où il est question de ceux qui le font et que Arnaud Desplechin admire : Bergman, Rossellini, Ford, Truffaut, etc, et de ceux qui le regardent, vous, moi, lui, spectateurs de films d'auteur mais aussi de blockbusters. C'est un fourre-tout, un objet hybride, aussi bien un documentaire qu'une fiction, avec quelques saynètes décrivant Paul Dédalus, le double de Desplechin, à l'enfance, l'adolescence et la jeunesse, avant de passer derrière la caméra. Comme Carax, récemment, le réalisateur de Rois et reine égrène, sème et se souvient. Certains passages sont plus marquants que d'autres, ceux où il évoque longuement Jacques Lanzmann et son monumental documentaire Shoah, en particulier. Pas d'ennui véritable à signaler dans Spectateurs! car tout s'enchaîne sinon naturellement, du moins avec un certain rythme, même si le commentaire pontifie parfois en voix off. L'enthousiasme et la générosité de Desplechin sont palpables mais prennent-ils vraiment une forme susceptible de susciter une adhésion immédiate ? Disons qu'on a le droit de rester quelque peu circonspect, comme on a pu l'être, il y a quelques années, devant un essai cinématographique de Jean-Luc Godard.
Le réalisateur :
Arnaud Desplechin est né le 31 octobre 1960 à Roubaix. Il a réalisé 14 films dont Esther Kahn, Rois et reine et Trois souvenirs de ma jeunesse.
Ni prude ni soumise (Babygirl)
La vie est dure pour les actrices de plus de 50 ans, c'est un fait avéré, et peu nombreuses sont les Isabelle Huppert ou Meryl Streep (il y en a quelques autres) à pouvoir résister dans un cinéma qui a toujours consommé la chair la plus fraîche et la jeter quand elle l'est moins. Mais les temps changent, un peu, sous l'impulsion de réalisatrices, essentiellement, décidées à bousculer la norme. Après la résurrection de Demi Moore, dans The Substance, voici sa cadette de 5 ans, Nicole Kidman, dans un rôle "je n'ai pas froid aux yeux", pour Babygirl. Un thriller érotique produit par le très (trop ?) en vogue Studio A24, qui se propose de revisiter un genre qui a fait florès au milieu des années 80, jusqu'au début des années 90. La nouveauté, dans Babygirl, réside donc dans le regard féminin, avec une intrigue assez simple et prétendument sulfureuse de rapport domination/soumission, où la notion de thriller a disparu, quand l'érotisme se niche moins dans des images "scandaleuses" que dans la psychologie de son héroïne, PDG en contrôle total de son existence, en surface, mais rongé par ses fantasmes souterrains. L'idée est intéressante dès lors qu'elle chahute les conventions et les jugements genrés mais elle ne va pas si loin que cela, sans profondeur réelle et percutée au final par un puritanisme bien commode. Ni prude ni soumise (pas réellement), le personnage interprété par une Nicole Kidman exceptionnelle, il faut bien le reconnaître, reste fascinant de par son ambiguïté, même si la part de ludique dans les jeux charnels s'efface devant un sérieux bien figé des situations. L'actrice est l'atout premier d'un film qui traite mal ses protagonistes secondaires et dont les dialogues frisent parfois le grotesque.
La réalisatrice :
Halina Reijn est née le 10 novembre 1975 à Amsterdam. Elle a réalisé 3 films.
Une famille sous l'eau (Par amour)
Jouer et trouver l'équilibre, si possible, entre le surnaturel, voire le mystique, et le réalisme, telle est la tâche à laquelle s'attelle Élise Otzenberger dans Par amour, un titre un peu fade pour une telle histoire, sans doute, mais quel autre imaginer ? Une famille sous l'eau ? Quoi qu'il en soit, le film soumet à rude épreuve la crédulité du spectateur, qui acceptera, ou non, les comportements de ses personnages, à commencer par celui de la mère, qui devient progressivement central et sur lequel les questions ne manquent pas. L'ouverture du film fait déjà planer un certain mystère et, à partir de là, tout s'enclenche, mais il est possible qu'on nous mène en bateau, ce sera à chacun d'expliquer les recoins opaques de Par amour. Sans doute aurait-il fallu une mise en scène plus forte pour nous conduire aux lisières du fantastique ou sur d'autres rivages, également envisageables. Si l'on reste à moitié convaincu par le traitement de cette histoire singulière, l'on a, au moins, l'occasion de découvrir une Cécile de France largement à la hauteur de ses prestations passées, dans un rôle parmi les plus difficiles qu'elle ait eu affronter durant sa carrière et qu'elle interprète avec l’ambiguïté et la tension nécessaires.
La réalisatrice :
Elise Otzenberger a réalisé Lune de miel.
La ligne de démarcation (Le quatrième mur)
Aucun lecteur du Quatrième mur de Sorj Chalandon n'a oublié ce roman situé dans le Liban en guerre de 1982. En l'adaptant, près de 10 ans plus tard, David Oelhoffen l'a simplifié, si l'on peut dire, en se focalisant sur cette utopie qu'était de monter Antigone, à Beyrouth, sur la ligne de démarcation, avec un casting constitué de comédiens de toutes les confessions. Comme si l'art pouvait sauver le monde ou, au moins, instaurer une trêve en plein cœur d'un conflit meurtrier. Le film, on le pressentait, ne pourrait pas être à la hauteur du livre, en dépit de la qualité globale de la réalisation, avec quelques scènes terribles à la clé et surtout avec l'interprétation impressionnante de Laurent Lafitte et celle au diapason de Simon Abkarian, auxquels il faut ajouter l'ensemble d'une troupe qui a vécu un tournage difficile, sur place au Liban, ce qui représentait un véritable défi, même si le pays connaissait un apaisement relatif. Qu'est-ce qui manque alors au film de David Oelhoffen pour toucher davantage ? Peut-être le resserrement de l'intrigue ou la noirceur quasi intégrale du long- métrage ? Un sentiment subjectif, évidemment, qui ne sera pas nécessairement partagé, en particulier par ceux qui n'ont pas lu Chalandon.
Le réalisateur :
David Oelhoffen est né en 1968 à Ferrol (Espagne). Il a réalisé 5 films dont Frères ennemis et Les derniers hommes.
Le faux du vrai (Le dossier Maldoror)
Le malaise est une constante des films de Fabrice du Welz et il atteint une sorte d'acmé dans Le dossier Maldoror (qu'en aurait pensé Lautréamont ?) qui évoque de manière très peu confortable une affaire qui a traumatisé la Belgique : l'affaire Dutroux, pour ne pas la nommer. Le film n'est pas centré sur la personnalité du monstre mais sur celui d'un policier (fictif) qui représente une sorte de conscience de même que le fantasme d'un homme qui avait tout compris avant tout le monde et devient justicier solitaire. L’ambiguïté du métrage vient du mélange du faux et de l'avéré, dans un maelström de scènes, certaines à la limite du crapoteux, qui montrent la virtuosité du cinéaste mais aussi un certain goût pour une forme de perversité dont on est en droit de se demander quelles sont les véritables visées. L'une d'entre elles, évidente, est de faire état de la concurrence entre les trois corps policiers qui ont participé, peu ou prou, à l'enquête, tout en la ralentissant. Au-delà de l'affaire elle-même et de ses mises en cause jusqu'à des individus haut placés, le film s'intéresse particulièrement au caractère obsessionnel qu'il peut revêtir, dans le cas d'un flic intègre mais capable de passer outre les limites de sa fonction. Dans ce rôle; Anthony Bajon est époustouflant, phagocytant le film et laissant des miettes à des acteurs sous-employés et parfois moyennement crédibles dans leurs personnages, à l'instar de Sergi Lopez, Laurent Lucas ou Béatrice Dalle. Reste au final une œuvre puissante, trouble et équivoque, au sein d'une histoire bien glauque.
Le réalisateur :
Fabrice du Welz est né le 21 octobre 1972 à Bruxelles. Il a réalisé 9 films dont Calvaire, Adoration et Inexorable.
Un seul être vous manque (Je suis toujours là)
La semaine d'un cinéphile (393)
Lundi 6 janvier 2025
4 Golden Globes pour Emilia Perez. La moisson ne fait que commencer et je m'en réjouis.
Mardi 6 janvier
Le prochain Bong Joon-ho sur les écrans, c'est pour le 5 mars. J'ai hâte.
Mercredi 8 janvier
Qu'importent les intempéries : je suis en route pour Poitiers. Le nouvel Almodovar (et un autre film) va enfin s'offrir à moi.
Jeudi 9 janvier
Retour à ce cher cinéma japonais et à des découvertes des années 60. Mon premier film de Teruo Ishii.
Vendredi 10 janvier
Des films qui m'intéressent, en janvier, mais oui, il en reste quelques-uns. Dont l'un est issu du Kenya, par exemple.
Samedi 11 janvier
Je laisse le Japon de côté, pour un temps, avec un cycle de vieux films espagnols.
Dimanche 12 janvier
Parfois, l'on se sent comme le titre du film de Claude Sautet. Le soleil a cependant remplacé la pluie, ce qui ramène un peu à la vie.
Sous le vernis de la normalité (La fille d'un grand amour)
Les tribulations d'une Chinoise (Les feux sauvages)
Que dirait-on d'un cinéaste français qui réaliserait son dernier film en utilisant des rushes tournés par ses soins, depuis le début du siècle, en y ajoutant quelques plans-séquences de ses précédents longs métrages et, également, quand même, une poignée de nouvelles scènes ? Peut-être pas que du bien mais concernant Jia Zhangke, l'enjeu est forcément différent, puisqu'au delà de ses aspects fictionnels, ses films documentent sans relâche l'évolution de la société chinoise. Ceux qui ne connaissent pas le cinéma de Jia risquent de rester perplexes mais il n'est pas dit que les autres soient très enthousiastes non plus car il y a un côté expérimental dans Les feux sauvages, qui engloutit les velléités romanesques (une histoire d'amour qui semble vouée à l'échec), avec les tribulations d'une Chinoise dans un pays qui perd son âme au fil du temps. Il y a quelques coups d'éclat dans le récit et les changements de format de l'image sont impressionnants mais la déception est au rendez-vous, dans le sens où le cinéaste ne nous dit rien de bien nouveau, par rapport à ses œuvres antérieures, même s'il reste toujours un des grands cinéastes de notre temps et qu'il a la bonne idée de faire de son épouse et sa muse, Zhao Tao, le fil rouge de son film, sans avoir besoin de lui faire prononcer un mot, tellement son visage peut exprimer tous les sentiments du monde.
Le réalisateur :
Jia Zhangke est né le 24 mai 1970 à Fenyang (Chine). Il a réalisé 14 films dont Plaisirs inconnus, Still Life et A Touch of Sin.