Sorties 2025
Effets divers (Rapaces)
Né il y a près de 100 ans, le magazine de faits divers Détective a au ses heures de gloire au début de son histoire quand certains de ses collaborateurs s"appelaient Georges Simenon, André Gide ou François Mauriac. Aujourd'hui, le titre est de ceux dont on on préfère se pincer le nez devant les accroches sordides. Drôle d'idée, donc, d'héroïser ses journalistes, puisque c'est de cela qu'il s'agit, dans Rapaces, qui suit le perturbant Vaurien, dans la filmographie de Peter Dourountzis. S'il a des faiblesses dans son intrigue et surtout ses à-côtés, sentimentaux ou pas, le film se révèle assez souvent efficace, inspiré par une véritable histoire de féminicide. La seule scène du restaurant réussit à elle seule à faire monter la pression et la tension, avec une véritable dextérité, digne des grands anciens du polar à la française. L'incursion dans le monde des cibistes ne manque pas non plus de sel et fait facilement oublier les quelques incohérences du récit, presque inhérentes à ce type de cinéma, sinon ce serait un documentaire. Sami Bouajila, dans un personnage pas si aimable, démontre son talent habituel, et, comme souvent, rehausse le niveau de ses partenaires, à commencer par Mallory Wanecke, cependant encore un peu tendre.
Le réalisateur :
Peter Dourountzis est né en 1979 à Paris. Il a réalisé Vaurien.
Caca et pastèque (L'Aventura)
L'Aventura rappelle t-il de près ou de loin la célèbre chanson de Stone et Charden ou le film d'Antonioni ? Ni l'un ni l'autre, évidemment, puisqu'il s'agit de retranscrire à l'écran le périple sarde de la réalisatrice, effectué quelques années plus tôt, après le premier volet d'une trilogie en cours, Voyage en Italie. La mise en abyme fonctionne mal, avec le choc des temporalités, pour décrire la banalité de vacances en famille, qui délaissent la carte postale pour le réalisme agité des mille et un tracas d'un voyage désorganisé. Entre caca récurrent du petit dernier, dégustation de pastèque et de pizza et discussions inaudibles où personne n'écoute personne, le film devient aussi peu palpitant que possible, très répétitif et surtout agaçant. Pourtant, il en émane un certain charme, du moins à certains moments, plus introspectifs et méditatifs, qui sont autant de pauses bienvenues au milieu de l'effervescence et de la nervosité, quasi constantes. En revanche, l'aspect comique de l'ensemble, si tant est qu'il était recherché, ne fonctionne guère, Philippe Katerine, notamment, semble le plus souvent absent. On observe cette petite tribu en mouvement avec un a priori sympathique mais bon, c'est comme les soirées diapositives d'antan, la patience a ses limites devant ce qui est peut être à la fois considéré comme nombriliste et, hélas, universel.
La réalisatrice :
Sophie Letourneur est née en 1978. Elle a réalisé 6 films dont La vie au ranch et Voyage en Italie.
Le condor est passé (I Love Peru)
On a beau aimer Raphaël Quenard et le vent de fraîcheur qu'il a apporté au cinéma français, il y a de quoi rester dubitatif après la projection de I Love Peru, coréalisé par Hugo David. Exercice d'ego surdimensionné ou auto-dérision ? Les deux sans doute dans cet objet parfois embarrassant qui se veut provocateur et nous faire accroire que le Quenard de l'écran est le même individu que le Quenard du quotidien. Voire. Très (trop) médiatisé depuis son rôle dans Chien de la casse, l'acteur semble déterminer à montrer ses côtés excentriques et exubérants mais l'exercice tourne rapidement à vide, malgré la présence de Guest-stars et une seconde partie, péruvienne donc, jamais drôle et souvent gênante. Le condor est passé (il a même sonné à la porte du comédien) mais ces scènes qui s'éloignent un temps de l'autofiction frisent tout de même le ridicule. De quoi être circonspect sur l'intérêt général du film, qui a la politesse de la brièveté, alors même que le Raphaël Quenard auteur a déboulé dans les librairies avec un premier roman, comme s'il fallait absolument occuper le terrain. Qu'il revienne à ce qu'il sait le mieux faire, seulement devant la caméra et, à ce propos, son incarnation prochaine de Johnny permettra de savoir s'il est vraiment capable de briller dans un rôle de composition majuscule.
Les réalisateurs :
Raphaël Quenard est né le 16 ami 1991 à Echirolles. Hugo David a réalisé un court-métrage.
Un Portugais ensablé (Le rire et le couteau)
Plus de 7 ans après son très long L'usine de rien, qui a toutefois ses amateurs, Pedro Pinho récidive, avec un sujet très différent, quoique, qui dépasse largement les 3 heures d'horloge. Il vient avec son rire et son couteau (non, ce n'est pas une expression portugaise) nous conter l'histoire d'un ingénieur plongé dans la réalité de la Guinée-Bissau, pays assez peu fréquenté par le cinéma. Il y a plusieurs strates dans le film, dont celle de la démonstration que le colonialisme est toujours vivant, même s'il sh'abille de vêtements nouveaux et s'exerce avec moins de sang versé mais avec davantage d'argent et un mépris constant pour les populations locales. Il arrive que Le rire et le couteau insiste lourdement sur le sujet par les mots, alors que le long métrage est bien plus efficace quand il se contente des images et des situations. Un autre aspect est documentaire, notamment sur la fin, mais l'on préférera retenir le vertige romanesque du scénario, qui renvoie à l'autre grand cinéaste lusitanien, Miguel Gomes, avec une errance de son héros, Portugais ensablé, marquée par des rencontres et une sensualité qui s'épanouit. Pinho ne mène pas tous fils narratifs jusqu'au bout mais, contrairement à son opus précédent, l'ennui n'est pas présent, remplacé par la curiosité de découvrir un cheminement particulier et personnel, qui n'a rien de linéaire mais humaniste et sensoriel.
Le réalisateur :
Pedro Pinho est né au 1977 au Portugal. Il a réalisé 5 films dont L'usine de rien.
Contester ou tricher (Arnon - un élève modèle)
Inspiré pour une grande part par le récent mouvement "Bad Student", qui contestait les méthodes d'enseignement des lycées thaïlandais et surtout l'autoritarisme qui y régnait, y compris avec des châtiments corporels, Arnold is a model student pourrait être considéré comme un documentaire sur le malaise de la jeunesse, si le réalisateur, Sorayos Prapapan n'y avait pas injecté une bonne dose d'ironie. En parallèle, il s'occupe du cas du dénommé Arnon, élève modèle car il a des résultats brillants et a étudié en partie à l'étranger. Toutefois, le jeune homme ne se sent pas à l'aise dans le système éducatif de son pays et accepte une offre d'aide à la tricherie pour des garçons préparant un examen d'entrée dans une école militaire. Ce qu'il ressort de tout cela, sous des dehors souvent légers, est la corruption générale qui gangrène l'ensemble de la société thaïlandaise, et le désir d'une partie de la jeunesse de ne pas plier sous les injonctions de leurs aînés. D'un point de vue purement cinématographique, le film a du mal à développer son double récit, le rendant plus disloqué encore avec des images réelles de manifestations. Présenté à Locarno, Arnold is a model student sera t-il diffusé en Thailande ? Pas certain, mais le public jeune concerné n'aura pas de mal à le voir par des manières détournées.
Le réalisateur :
Sorayos Prapapan est né en Thaïlande. Il a réalisé 10 courts-métrages.
Noir de Chine (Des feux dans la plaine)
Les autorités chinoises ont mis du temps pour accorder le visa d'exploitation à Des feux dans la plaine, qui n'est pas un remake du classique de Kon Ichikawa, en dépit de la presque similitude de titre. Il est certain que l'image de la Chine, convoyée par le film, n'est pas très valorisante, montrant le nord-est du pays, en décrépitude industrielle, et sa jeune génération perdue, fantasmant sur l'eldorado du sud. Noir c'est noir et il n'y a guère d'espoir dans ce faux polar où les meurtres intéressent moins le réalisateur, Zhang Ji, dont c'est le premier long métrage, que l'atmosphère oppressante qu'il réussit à créer par sa mise en scène plutôt inspiré. Scindé en deux parties, séparées de 8 ans, Des feux de la plaine reste moins convaincant dans son scénario, aussi torturé que ses personnages, dont la psychologie apparaît parfois bien opaque. Si le contexte social prend une grande place, avec bonheur, l'histoire d'amour entre deux de ses jeunes protagonistes, aurait mérité un plus ample développement, pour nous toucher davantage. Globalement, d'ailleurs, le film ne cherche pas à insuffler une quelconque empathie, s'en remettant même, parfois, à des éclairs de violence qui paraissent aussi cathartiques que inutiles, pour montrer la déréliction des êtres et des paysages.
Le réalisateur :
Zhang Ji est né en Chine.
Parfois avec ses filles (In the Summers)
Las Cruces, Nouveau-Mexique. Là, vit un homme divorcé qui, l'été, retrouve la garde de ses deux filles. Avec beaucoup de délicatesse et un certain nombre de non-dits, le premier long métrage de Alessandra Lacorazza, qui a suivi l'itinéraire balisé du cinéma américain indépendant (Sundance, Deauville) entreprend de nous raconter, en 4 chapitres, la relation d'un père aimant et maladroit et surtout soumis à une forte addiction, avec sa progéniture. Au fil des étés, les rapports évoluent, les fillettes deviennent adolescentes puis jeunes adultes et leur regard passe par plusieurs phases, entre compréhension et rejet. In the Summers ne s'éloigne jamais de sa volonté d'expliquer peu, préférant installer une atmosphère émolliente d'où jaillissent parfois des éclairs de violence et des morceaux de tendresse, sur lesquels la réalisatrice, fidèle à son modus operandi, s'attarde peu, avant une ellipse temporelle. Ainsi, sans trop céder à l'émotion, hormis en son dénouement, le film suit sa route, avec bienveillance pour ses personnages, tous vulnérables. On y retient, au-delà de son ambiance, qui compense l'absence de scènes saillantes, la qualité globale de l'interprétation, dans le passage du temps et des sentiments.
La réalisatrice :
Alessandra Lacorazza est née aux Etats-Unis. Elle a téalisé un court-métrage.
Sur l'orbite du désir (Les amants astronautes)
L'un est gay, l'autre non, mais cela n'empêche pas de passer du temps à discuter et de se rapprocher, peut-être. Les amants astronautes rappelle quelque peu les prémices de Plan B, du même Marco Berger. Pas de conflits à l'horizon, y compris dans leur environnement proche, ces deux garçons peuvent s'adonner à un jeu de séduction, dont ils verront bien où il les mène, dans la douceur d'un été argentin, non loin de la plage. Le caractère ludique et romantique du film a quelque chose de rohmérien, avec un dialogue presque ininterrompu des deux protagonistes, composé de plaisanteries, de défis et d'allusions sexuelles directes qui font office de tendres provocations, qui ne portent pas à conséquence, puisque les deux partenaires s'amusent à faire semblant. A moins que non. Il y a certes un côté répétitif dans le long métrage, qui en fait parfois le charme singulier mais impose aussi ses limites. Il est facile de déceler la gravité sous la légèreté mais le cinéaste fait durer le suspense, mais y en a t-il vraiment un, dans la tête du spectateur, ni même, sans doute dans celui de ces astronautes de l'amour, sur l'orbite du désir ? L'alchimie entre les deux acteurs principaux fonctionne en tous cas à plein et la mise en scène, sans artifices, saisit parfaitement le climat de cette histoire, sans tension inutile, avec des enjeux extrêmement clairs.
Le réalisateur :
Marco Berger est né le 8 décembre 1977 à Buenos Aires. Il a réalisé 12 films dont Absent et Le Colocataire.
Quelque chose de pourri au royaume (The Ugly Stepsister)
La Convocation, Loveable, Valeur sentimentale, La trilogie d'Oslo : le cinéma norvégien s'impose en force, ces derniers mois, et dans des registres divers, quoique chacun des titres semble receler une part commune de satire sociale. C'est le cas aussi dans The Ugly Stepsister, premier long métrage d’Emilie Blichfeldt, qui n'est autre qu'une réécriture de la Cendrillon des frères Grimm, fidèle à sa manière, mais vue à travers le filtre de la méchante belle-sœur. Il y a un esprit sardonique plutôt réjouissant dans ce conte quand même éprouvant par ses scènes "d'horreurs corporelles" mais jubilatoire par la vision du prince charmant conventionnel, notamment, qui est traitée au lance-flammes, parce qu'il ne mérite guère mieux, eu égard aux dommages collatéraux qu'il provoque depuis des lustres. Il est simplement un peu dommage que la mise en scène ne soit que peu souvent au niveau de son ambition et que le scénario ne montre pas davantage à quel point il y a quelque chose de pourri dans ce royaume; au bout du conte. Reste que l'interprétation se situe à un niveau très élevé et qu'on a parfois l'impression d'y voir le côté pile d'une tendance dans l'air du temps, dont le côté face serait à l'évidence The Substance, lequel, soit dit en passant, alliait avec davantage d'audace mais peut-être aussi de maniérisme, la forme à son fond.
La réalisatrice :
Emilie Blichfeldt est née le 20 mai 1991 en Norvège. Elle a réalisé 5 courts-métrages.
Tricot et sensualité (La trilogie d'Oslo/Rêves)
Le premier volet d'une trilogie, telle que celle filmée par Dag Johan Haugerud, doit naturellement donner envie de découvrir les deux épisodes suivants, sans pour autant atteindre un niveau trop élevé, faisant craindre que les autres segments ne soient pas à la hauteur. De ce point de vue, Rêves, qui aurait pu aussi bien s'intituler Amour ou Désir, accomplit parfaitement sa mission, comme une mise en bouche prometteuse. Cette histoire d'une lycéenne amoureuse de sa professeure obéit au classicisme des récits d'apprentissage mais son côté littéraire, voire cérébral, renforcé par une voix off très présente et des dialogues abondants, lui octroie d'emblée un aspect singulier, assez proche de certains films français des années 60 ou 70. Il y a trop de mots posés sur des émotions, sans doute (Haugerud est aussi romancier), et la mise en scène peut sembler parfois trop timide, mais la structure du film est intelligente et la discussion que Rêves entame entre trois générations de femmes, d'une même famille (où sont passé les hommes ?) ne manque ni de sel, ni de piment. Accessoirement, le long métrage démontre que l'art du tricot et la sensualité ne sont pas incompatibles et les promenades dans la capitale norvégienne valent elles aussi le détour. Si on y ajoute une qualité d'interprétation indéniable, le démarrage de cette Trilogie d'Oslo est aux petits oignons, sans tutoyer les sommets : captivante dans ses ambiguïtés et sa liberté de ton et, surtout, augurant d'une montée en puissance dans les films qui vont lui succéder.
Le réalisateur :
Dag Johan Haugerud est né le 30 décembre 1964 à Eidsberg (Norvège). Il a réalisé 9 films.