Cinéphile m'était conté ...

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Afrique


Partir un jour (Le sens de la fuite)

On pourrai être tenté d'appliquer au Sens de la fuite, le deuxième roman de Hajar Azell, le célèbre proverbe "qui trop embrasse mal étreint" mais ce serait quelque peu injuste, eu égard aux qualités du livre de la native de Rabat. Il est vrai cependant que le personnage central d'Alice, jeune femme intrépide, apprentie reporter qui se déplace de Beyrouth au Caire (au moment de la Révolution de 2011) puis d'Alep à Alger et à Oran, semblait un personnage suffisamment fort pour occuper presque à elle seule la totalité du récit. Mais sans crier gare, vers le milieu de l'ouvrage, c'est une autre histoire familiale que la sienne, qui va occuper le premier plan, confirmant le sens du titre du roman, puisqu'il y est question de deux départs d'Algérie, concernant successivement un fils puis sa mère. Certes, l'autrice mêle parfaitement Alice à cette nouvelle intrigue mais l'impression qu'il s'agit presque de morceaux d'un autre livre persiste. Malgré ce sentiment, Le sens de la fuite séduit par son style direct, ses phrases courtes, son émotion contenue (Hajar Azell n'écrit pas les scènes attendues et mélodramatiques de fin) et sa compréhension des enjeux politiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Sans compter, une fois encore, la personnalité d'Alice, une belle figure féminine moderne, que l'on apprend à connaître et à visualiser, presque aussi sûrement que si elle apparaissait sur un écran de cinéma.

 

 

L'auteure

 

Hajar Azell est née en 1992 à Rabat. Elle a publié L'envers de l'été.

 


26/06/2025
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Musique sans frontières (Les Kamanga Kings)

De 1998 à 2007, les éditions Actes Sud ont publié successivement 6 romans de Jamal Mahjoub. Également auteur de romans policiers, sous le nom de Parker Bilal, l'écrivain, né d'un père soudanais et d'une mère britannique, qui a grandi à Khartoum, est enfin de retour dans la maison fondée à Arles, avec Les Kamanga Kings (The Fugitives en V.O), dans une veine qu'on ne lui connaissait pas encore, à savoir celle du roman d'aventures. Ses personnages de fiction sont les membres d'un groupe de musique qui a eu son heure de gloire en Afrique, bien des années plus tôt, et qui va se reformer, avec ses survivants et de nouvelles recrues, pour répondre à l'appel d'un festival américain. Ceci est le point de départ d'une odyssée invraisemblable mais jubilatoire, au pays de l'oncle Sam, lors du premier mandat de Trump, au moment où les étrangers sont plus que suspects, surtout lorsqu'ils viennent d'un pays, le Soudan, supposé fabriquer des terroristes. Il y a quelques concerts mémorables dans Les Kamanga Kings mais surtout une course-poursuite effrénée pour échapper aux griffes du FBI; dans une cascade de péripéties qui souderont un orchestre composé de personnalités d'âges et de convictions très diverses. Au passage, Mahjoub s'amuse à comparer la vie dans un pays autocratique où la musique est alors devenue taboue pour des raisons religieuses et une soi-disant grande démocratie où le racisme s'étale pourtant au grand jour, sous le règne d'un président aux cheveux oranges. Malgré quelques répétitions et de nombreuses situations invraisemblables, le roman se lit comme du petit lait, gorgé d'humour et de flamboyance, tout proche d'un conte satirique.

 

 

L'auteur

 

Jamal Mahjoub est né en 1965 à Londres. Il a publié 18 livres dont Le train des sables, Le télescope de Rachid et Nubian Indigo.

 


20/06/2025
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Lagos commission (Tout va bien se passer)

Fut un temps où Lagos était considérée comme la ville la plus dangereuse du monde. Elle a certes été dépassée, ces dernières années, par Caracas mais reste tout de même une "référence" mondiale pour son insécurité. Ajoutons une autre plaie endémique au Nigeria, à savoir la corruption et le cadre est posé idéalement pour un roman très noir, plein de bruit, d'embouteillages inextricables et de fureur. Pas fou; Leye Adenle réside désormais à Londres mais il n'en oublie pas de revenir à son pays natal dans des livres denses et intenses, dont deux seulement ont suffi pour asseoir sa réputation : Lagos Lady et Feu pour feu. Et voici le troisième tome des aventures de l'avocate des femmes, Amanka, qui va devoir secourir l'une des ouailles, une escort-girl qui a eu la mauvaise idée de prendre comme amant un pasteur dont l'assassinat n'a rien d'évangélique. L'héroïne du roman se retrouve au milieu d'un bel imbroglio avec pas mal de millions de dollars introuvables pour aiguiser l'appétit des différentes strates d'une mafia systémique : État, police, Église et autres mercenaires n'ont d'autre morale que celle de la cupidité, avides de toucher Lagos commission. C'est du brutal, comme dirait l'autre, le récit mené sur un rythme trépidant, avec visions parallèles de l'action, au gré des initiatives plus ou moins heureuses des différents protagonistes. On aurait bien pris quelques pauses dans ce chaos mais Adenle privilégie le suspense et les rebondissements, ajoutant, fort opportunément, de larges rasades d'humour, assez épicées, comme de bien entendu. Dans le genre, à lui seul, l'auteur contribue à mettre le Nigeria sur la carte du roman noir, au côté de l'Afrique du Sud de Deon Meyer, pour ne citer qu'un autre écrivain du continent, au moins aussi puissant.

 

 

L'auteur

 

Leye Adenle est né en 1975 au Nigeria. Il a publié Lagos Lady et Feu pour feu.

 


09/06/2025
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Un mauvais immigrant (Made in Nigeria)

Dans ce printemps où abondent les nouveaux romans d'auteurs nigérians (Obioma, Adichie, Adenle), il semble bien que le livre de Sefi Atta, Made in Nigeria, passe quelque peu inaperçu, alors qu'il est sans doute l'un des deux meilleurs de cette floraison, avec L'inventaire des rêves, dont il se rapproche d'ailleurs par certains côtés. Sefi Atta, après notamment des ouvrages aussi remarquables que Avale et Le meilleur reste à venir, n'avait rien publié depuis plus 10 ans mais elle n'a rien perdu de la finesse de son style, de sa fluidité, de sa vivacité, ni de son talent à créer des personnages attachants, qu'elle traite souvent avec une ironie dévastatrice. Son roman, qui s'intitule The Bad Immigrant en V.O, est écrit à la première personne qui est, en l'occurrence, un père de famille, et ce n'est pas la moindre performance de l'autrice que d'avoir su se glisser avec une crédibilité incontestable dans le costume et la tête d'un homme. Dans sa famille expatriée volontaire aux États-Unis, au tournant du XXIe siècle, aux côtés de son épouse et de son fils et de sa fille, adolescents, le dénommé Lukmon est celui qui a le plus de mal à s'adapter à sa nouvelle vie américaine, incapable, dans un premier temps, de trouver un emploi à sa hauteur, au contraire de sa femme, ou de nouer des amitiés, à l'inverse de ses enfants. Sefi Atta fait montre de beaucoup d'humour pour décrire les actes et les pensées de cet homme instruit qui se croit tolérant alors qu'il est lesté de préjugés et de contradictions, en ce qui concerne la race, le genre, le mariage, l'éducation des enfants, les différences entre les Africains et les Afro-américains, voire même les cheveux des femmes. La romancière manie à part égale la causticité, la fantaisie et la gravité pour dépeindre avec acuité et réalisme l'immigration et l'assimilation, sans jamais verser dans une quelconque caricature.

 

 

L'auteure :

 

Sefi Atta est née en 1964 à Lagos (Nigéria). Elle a publié Le meilleur reste à venir, Avale, Nouvelles du pays et L'ombre d'une différence.

 


05/05/2025
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Une guerre picrocholine (Un goût de thé amer)

Belle découverte de l'année 2024 avec Du pain sur la table de l'oncle Milad, Mohammed Alnaas confirme son talent dans Un goût de thé amer, dont l'action se déroule dans un petit village libyen, en 1990, au temps de la toute-puissance du "Guide" du pays, ce triste sire répondant au nom de Kadhafi. L'ouvrage, plus satirique et loufoque que son précédent, décrit une guerre de pouvoir picrocholine, bardé d'une nuée de personnages tous plus pittoresques les uns que les autres, à commencer par le hadj censé arbitrer le conflit et qui cherche surtout à satisfaire son addiction au thé. Ceci dit, en dépit de l'absurdité des affrontements, décrits avec jubilation par l'auteur, le livre en dit beaucoup sur l'état de la nation à cette époque, notamment sur le plan économique, avec ses pénuries régulières de denrées alimentaires dans la coopérative chargée de ravitailler la population. Plus largement, cette comédie humaine évoque aussi la difficulté de vivre en communauté, d'autant plus quand deux camps s'affrontent jusqu'au sang. Écrit autrement, le récit aurait pu verser dans la tragédie, avec quelques morts violentes au bilan, mais Alnaas a préféré l'ironie grinçante, dans un livre où il ne cesse de se moquer de tout le monde, de ses protagonistes, d'abord, mais aussi du lecteur, souvent pris à partie et de lui-même, le narrateur, pour faire bonne mesure.

 

 

L'auteur :

 

Mohammed Alnaas est né le 31 mars 1991 à Tadjourah (Libye). Il a publié Du pain sur la table de l'oncle Milad.

 


02/05/2025
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Ce que les femmes désirent (L'inventaire des rêves)

L'inventaire des rêves est-il le meilleur roman de Chimamanda Ngozi Adichie ? Sans doute pas, puisque Americanah semble indépassable (Autour du cou vient juste après) mais peu importe car elle est celle dont on a le plus envie de découvrir le livre, au milieu d'une floraison nigériane printanière abondante : Obioma, Adenle, Atta sont aussi présents au rendez-vous des librairies. L'inventaire des rêves présente successivement le portrait de 4 femmes dont 3 nigérianes, qui vivent ou ont vécu aux États-Unis. Pour ces trois là, c'est leur personnalité indépendante que l'on retient en premier lieu car elles ont de l'argent et un métier et affichent un caractère bien trempé. Avec une certaine fragilité aussi, dans le sens où leurs relations sentimentales ne durent pas, à cause d'hommes bien peu fiables mais peut-être y a t-il d'autres raisons à ces échecs ? On les adore ces héroïnes d'aujourd'hui, avec leurs désirs et leurs défauts et on apprécie surtout leurs échanges et leur manière de se définir comme femmes, noires, nigérianes, avec les libertés de penser et d'agir qu'elles s'octroient dans leur existence, même si c'est au prix d'erreurs ou d'insatisfactions. La quatrième femme est autre, Guinéenne travaillant dans un hôtel de Washington, et victime d'une agression sexuelle dont nul ne peut ignorer à quelle affaire elle se réfère. L'irruption de la "réalité" dans cet ouvrage de fiction ajoute de la gravité à un livre qui ne s'interdit pas la légèreté, y compris dans des thématiques plus lourdes, avec des dialogues finement ciselés et assez souvent drôles. Après une longue absence dans le domaine romanesque, Chimamanda Ngozi Adichie prouve en 650 pages denses mais lues avec gourmandise qu'elle se situe toujours au sommet des écrivaines contemporaines.

 

 

L'auteure :

 

Chimamanda Ngozi Adichie est née le 15 septembre 1977 à Enugu (Nigeria). Elle a publié 10 livres dont L'hibiscus pourpre, Autour de ton cou et Americanah.

 


21/04/2025
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Aux portes du désert (La fin du Sahara)

A priori, La fin du Sahara est un polar. Puisque crime il y a, la victime jouissant d'une certaine notoriété, eu égard à sa profession de chanteuse dans un hôtel du sud de l'Algérie, aux portes du désert, et nommé ... le Sahara. Saïd Khatibi situe l'action en 1988 et en profite pour brosser un portrait provincial de l'Algérie, acerbe et piquant, où l'on trouve trafics en tous genres, pénuries et pauvreté, corruption, sans oublier le poids de la religion et de la tradition. Un portrait social sous forme de mosaïque avec beaucoup de personnages, trop peut-être, qui prennent à tour de rôle la parole et tous concernés, peu ou prou, par le meurtre qui vient d'avoir lieu. L'auteur cherche moins le pittoresque qu'un certain cachet d'authenticité pour décrire l'époque, pendant laquelle des manifestations importantes ont lieu dans le pays, les mœurs et les comportements de ses protagonistes, qu'ils soient gérant d'un magasin vidéo, hôtelier, flic, avocate ou mère de famille. L'enquête n'avance qu'à petits pas mais ce n'est pas l'essentiel, l'écriture est déliée et efficace, et l'ambiance est bien celle d'un roman noir, où Los Angeles, par exemple, aurait été remplacée par une bourgade dans laquelle ses habitants ont peu de perspectives d'avenir.

 

 

L'auteur :

 

Saïd Khatibi est né le 29 décembre 1984 à Bou Saada (Algérie). Il a publié 6 livres.

 


15/04/2025
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Le cauchemar biafrais (La route qui mène au pays)

Son premier roman était une pure merveille et son deuxième presque aussi remarquable. Après Les Pêcheurs et La prière des oiseaux, l'écrivain nigérian Chigozie Obioma revient avec La route qui mène au pays, un récit qui nous plonge dans une guerre atroce, celle du Biafra, de juillet 1967 à Janvier 1970. Le héros du livre est un jeune soldat engagé dans les forces sécessionnistes malgré lui et qui va découvrir l'horreur mais aussi l'amitié et l'amour, dans un long parcours où il tentera à plusieurs reprises de s'enfuir et frôlera plus d'une fois la mort. Le livre est dur, décrivant les ravages des massacres et de la famine, sans en rajouter, mais avec suffisamment de précision pour comprendre l'étendue du désastre, sachant que le nombre de victimes civiles dépasse largement les pertes militaires. Le personnage principal est attachant mais la répétition des combats se révèle assez fastidieuse et le sentiment d'étouffement presque continuel. Le travail de la traductrice, Mona de Pracontal, peut-être qualifié de monumental, eu égard aux différentes langues pratiquées par les protagonistes, mais la lecture des dialogues, en particulier, reste difficile, malgré le copieux glossaire qui figure en fin d'ouvrage. C'est un livre important mais dont on peut regretter que la densité et l'intensité s'exercent au détriment d'une intrigue qui ne s'avère jamais fluide mais au contraire pesante comme un cauchemar dont on désespère de ne jamais pouvoir sortir.

 

 

L'auteur :

 

Chigozie Obioma est né en 1986 à Akure (Nigeria). Il a publié Les Pêcheurs et La prière des oiseaux.

 


12/04/2025
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Dérives à Port-au-Prince (Nation cannibale)

7 ans après La belle de Casa, Nation cannibale marque le retour de In Koli Jean Bofane, l'un des plus grands auteurs africains des dernières décennies, avec notamment Mathématiques congolaises et Congo Inc. Un nouveau livre qui permet de retrouver le style inimitable de l'auteur, que le seul qualificatif de truculent ne suffit pas à caractériser complètement. Pour ausculter l'état du monde, en général, et des relations humaines, en particulier, Bofane n'a peur de rien, usant de la bouffonnerie et de l'ironie vacharde, de même que d'une pointe de surnaturel, pour stigmatiser la folie ambiante. Plusieurs lignes narratives se croisent et les personnages abondent, un peu trop, sans doute, pour ne pas regretter que le chaos soit un peu trop présent, au détriment de la pugnacité d'un récit qui se partage entre Haïti et la République démocratique du Congo. L'écrivain fictif, dont le roman décrit les débordements charnels et abusifs, avec un côté DSK très marqué, aurait mérité que davantage de pages lui soient consacrés, alors que d'autres protagonistes, moins flamboyants, ont aussi droit à de longs passages. Bofane reste cependant toujours aussi caustique et fait participer avec jubilation plusieurs de ses collègues écrivains aux intrigues de Port-au-Prince, de Mabanckou à Trouillot, en passant par Laferrière, évidemment. Et son évocation de la mort, des dérèglements climatiques et des clivages sociaux confirment qu'il reste un citoyen lucide et engagé, derrière son camouflage d'amuseur, amateur de grotesque, et de sorcier, pas dupe de sociétés aux dérives incontrôlables.

 

 

L'auteur :

 

In Koli Jean Bofane est né le 24 octobre 1954 à Mbandaka (République démocratique du Congo). Il a publié 6 livres dont Mathématiques congolaises et Congo Inc.

 

 


02/04/2025
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Du mouvement en Casamance (Etincelles rebelles)

Le polar africain, dites-vous ? Oui, bien sûr, Deon Meyer, en Afrique du Sud, Leye Adenle, au Nigeria, d'autres encore... Et francophone ? Euh, attendez, on me souffle Janis Otsiemi et Moussa Konaté, mais bon, il faut avouer que leur renommée peine à dépasser celle d'un cercle de lecteurs relativement restreint. Avec Macodou Attolodé, un nouveau nom surgit, du Sénégal, précisément, et ma foi, son coup d'essai ne manque pas d'ingrédients bien pimentés. Un roman noir, en tous cas, livré comme une radiographie sans concession d'un pays qui subit, comme beaucoup d'autres sur le continent, hélas, la corruption de la police et de ses hauts dirigeants, ainsi que la présence de plus en plus prégnante de narco-trafiquants, avec les appétits et la violence qui en ruissellent. L'auteur a placé judicieusement l'action de son livre dans la région fort instable de Casamance, ce qui lui permet de donner davantage d'intensité à son intrigue, entre rebelles, francs-tireurs et forces gouvernementales. Le héros du roman, policier intègre s'il en est, est peut-être un peu trop lisse mais ceux qui l'entourent dans ses combats ne le sont point et l'on apprécie, de toute manière, les aspects politiques et sociaux d'un livre qui n'hésite pas à décrire les maux endémiques d'un pays où les inégalités perdurent à grande échelle. A noter qu'un soupçon de surnaturel, vient ajouter un peu d'épices à un récit mouvementé qui ne manquait déjà pas de sel.

 

 

L'auteur :

 

Macodou Attolodé est né en 1991 à Dakar.

 

 


01/03/2025
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