Un casse d'école (L'ultime braquage)
Que L'ultime braquage soit inspiré de faits réels, survenus au Danemark, en 2008, n'exonère pas le film d'approfondir quelque peu les préparatifs du grand casse qui a choqué le Royaume et de donner un peu de densité à ses protagonistes principaux. Sur les deux aspects, le long métrage de Frederik Louis Hvild est loin d'être une réussite, en tous cas à mille lieux de la célèbre Ultime Razzia de Kubrick, puisque le titre choisi pour l'exploitation française semble y faire référence. Quoiqu'il en soit, passé une première scène glaçante et impressionnante, mais somme toute hors sujet, le restant du film n'innove en aucun point dans ce genre balisé, ce qu'on ne lui demandait pas nécessairement, mais se révèle surtout confus dans ses scènes d'action et morne dès qu'il s'agit de placer l'attention sur des personnages précis qui ne possèdent guère d'étoffe psychologique. Reda Kateb, déjà habitué de ce genre de rôles virils, ne démérite pas mais n'a guère à forcer son talent tandis que la principale touche féminine du casting ne semble avoir été ajoutée que pour ne pas être taxé de film de mâles, ce qu'il est cependant, indubitablement. L'ultime braquage séduira peut-être les amateurs du genre, mais avec une satisfaction limitée, eu égard à son manque de caractère spécifique, au moins, ou d'humour, ce qui l'aurait rendu un peu plus personnel et excitant. Mieux qu'un casse d'école, en tous cas.
Le réalisateur :
Frederik Louis Hviid est né le 25 juin 1988 à Copenhague. Il a réalisé Shorta.
Le désir et le chagrin (La forme et la couleur des sons)
A la fin de la splendide dernière nouvelle de La forme et la couleur des sons, impossible de résister à l'envie de relire le tout premier récit du recueil de Ben Shattuck, qui en est comme le prolongement, à un siècle de distance. Les 12 histoires qui composent le livre racontent une intrigue spécifique mais chacune d'entre elles résonne (raisonne) avec une autre, de manière indirecte et subtile, comme une résurgence du passé entre le XVIIe siècle et aujourd'hui, la plupart du temps dans la région de la Nouvelle-Angleterre. Ainsi, le désir et le chagrin, les secrets et les coïncidences se marient, bercés par la sensuelle et sensorielle écriture de l'écrivain américain qui nous enchante dans chacun de ces fragments de vie qui disent, parfois avec ironie, souvent avec mélancolie, les mystères de la destinée, sa tristesse et sa beauté, aussi. Outre la toute première nouvelle, dont on attendra avec impatience, en janvier prochain, l'adaptation au cinéma par Oliver Hermanus (l'auteur du joli remake du Vivre de Kurosawa), comment choisir son récit préféré parmi cette constellation de petites merveilles ? Cela pourrait être Le grand pingouin, hommage à une espèce disparue mais aussi évocation d'une manipulation touchante, ou encore le terrifiant Les enfants du nouvel Eden, à moins que ce ne soit Le journal de Thomas Thurber, avec sa communauté de bûcherons isolés. Bref, c'est du nanan, tout du long, le genre d'ouvrage polyphonique qui laisse à penser que Ben Shattuck n'en est qu'à l'aube d'une œuvre remarquable à coup sûr marquée par l'intime humain et la splendeur de la nature.
L'auteur :
Ben Shattuck est né en 1984 dans le Massachusetts.
Deuil en beige et bleu (Another End)
Les avancées technologiques des prochaines années rendront-ils la mort des êtres aimés plus supportables et, partant, le deuil moins douloureux, surtout en cas de décès accidentel ? Le point de départ de Another End est fascinant, parfait pour un récit légèrement dystopique où l'humain semble être l'essentiel, bien plus que la représentation d'un monde nouveau, lequel, en l'occurrence, semble composé de deux seules couleurs : le bleu et le beige. Mais d'emblée, le film entretient une certaine confusion et l'approfondissement du sujet évoqué plus haut ne semble pas préoccuper plus que cela le réalisateur, Piero Massina, qui mise trop sur son esthétique et sur un prolongement aseptisé des bases de son scénario. Et que dire du twist final, censé nous faire sursauter, dans une mauvaise imitation de Shyamalan ou de Amenabar, ? La construction narrative, déjà fragile, s'écroule sous ce dernier effet de style qui confirme l'artificialité de l'ensemble. Gael Garcia Bernal et Bérénice Béjo ne sont pas à blâmer, réussissant tout de même à nous intéresser mollement au récit filandreux. L'actrice norvégienne Renate Reinsve se distingue bien davantage mais son rôle aurait mérité d'être étoffé et même mis au premier plan.
Le réalisateur :
Piero Massina est né le 30 avril 1981 à Caltagirone (Italie). Il a réalisé L'Attente.
Un abri et un refuge (Jeunes mères)
Pathos ? Misérabilisme ? Les mots ont un sens et leur définition ne recouvre pas vraiment ce que filment inlassablement les frères Dardenne. Pour Jeunes mères, dans lequel on entre sans préliminaires, parlons plutôt de détresse, d'avenir bouché, de précarité mais pas de refus d'espérer pour des jeunes filles qui viennent d'accoucher et ont trouvé un refuge dans une maison maternelle de Liège. Les cinéastes belges ont choisi de les mettre sur un pied d'égalité, avec des situations différentes selon les cas, avec ou non des petits amis, des mères, une sœur, plus ou moins fiables et aimants. Étonnamment, ces jeunes femmes ont assez peu de scènes communes et on les voit très peu dialoguer ou "fraterniser" alors qu'elles ont le même toit pour les abriter, temporairement. L'aspect choral du film est un peu déstabilisant, au moins au début, et il peut être un temps difficile de distinguer qui est qui et qui fait quoi. Mais la confusion ne dure pas et l'énergie et la volonté de s'en sortir de ces adolescentes ne peut que prendre aux tropes. Pas de jugement moral chez les Dardenne mais des existences prises sur le vif, avec une empathie indéniable, jouées par des apprenties actrices parfois maladroites mais toujours touchantes. Comme des sœurs, pas si lointaines, d'une certaine Rosetta, qui révéla la magnifique et regrettée Émilie Dequenne au monde entier.
Les réalisateurs :
Jean-Pierre Dardenne est né le 21 avril 1951 à Engis et Luc Dardenne le 10 mars 1954 aux Awirs (Belgique). Ils ont réalisé 13 films dont Rosetta, Le silence de Lorna et Le gamin au vélo.
Nantes sur Croisette (4)
L'agent secret de Kleber Mendonça Filho
Walter Salles avait placé la barre très haut avec son excellent Je suis toujours là mais pour élire le prix fictif du meilleur film latino-américain de l'année, à parvenir sur nos écrans, il sera permis d'hésiter avec l'opus nouveau de Kleber Mendonça Filho, à savoir ce merveilleux Agent secret. Ample, profond et riche en sédiments variés, le film évoque la dictature militaire brésilienne, sans avoir besoin de la nommer, dans un récit qui s'autorise un beau suspense mais ne s'interdit aucun genre pas même dans les registres du fantastique ou de l'absurde. Par quelle magie est-ce que tout fonctionne à plein dans L'agent secret, y compris une fantaisie temporelle qui ajoute encore une couche d'intérêt ? La qualité de son écriture, évidemment, et l'agilité de sa mise en scène, pour sûr, tellement visible dans une première scène au milieu de nulle part et qui permet de se dire, d'emblée, c'est donc cela un grand film ! On y ajoutera le casting, à commencer par l'immense Wagner Moura, épatant, magnifiquement entouré par une galerie de "gueules" qui apportent un parfum d'authenticité supplémentaire au Recife des années 70, dans lequel une salle de cinéma joue un rôle primordial. Pour connaître le sort réservé aujourd'hui à ce temple du 7ème art, un peu de patience, la révélation figure dans les derniers instants de ce film de 160 minutes qui semble en durer trois fois moins.
Un simple accident de Jafar Panahi
On peut être passionné depuis bien longtemps par le cinéma iranien et saluer le courage de ses réalisateurs qui réussissent à tourner, même sous la contrainte ou sans autorisation, et trouver que Un simple accident n'avait pas l'étoffe d'une Palme d'Or, si ce n'est politique, ce qui peut s'entendre. Jafar Panahi semble avoir voulu lâcher toute sa rage et celle du peuple iranien, comme s'il n'avait plus rien à perdre, dans une attaque en règle sans concession d'une dictature religieuse dont on attend toujours vainement la chute. Pourquoi émettre des réserves, alors, dans ce scénario qui évoque la vengeance des humbles et des meurtris contre les laquais du régime, ceux qui torturent et sacrifient des vies ? Pour la mise en scène, surtout, car Panahi a été nettement plus inspiré par le passé, mais aussi pour son scénario, aux lourdes tendances démonstratives et qui réduit un peu ses personnages à des stéréotypes, dans une suite de scènes un tantinet redondantes tendant à démontrer que les bourreaux meurent aussi. En somme, si l'on ne peut que soutenir Panahi, comme cela a été le cas avec Roustaee ou Rassoulof, auparavant, pour ne citer que deux autres réalisateurs, il doit être permis de ne pas se sentir totalement convaincu, cinématographiquement parlant, par Un simple accident. Dans la même compétition cannoise, Woman and Child, malgré quelques excès mélodramatiques, montrait davantage de brio au service d'un scénario implacable, rythmé comme un thriller.
Dossier 137 de Dominik Moll
En passant du 12 (La nuit du) au 137 (Dossier), Dominik Moll s'attaque à une autre paire de manches, très sensible, en revenant sur la crise des gilets jaunes et tout ce qui tourne autour, à commencer par l'action de la police jusqu'à la gestion de la période par le gouvernement français. Inspiré de faits réels, Dossier 137 se caractérise par la solidité de son scénario, dès lors qu'il s'agit de suivre une enquête menée par l'IGPN, lente, difficile et soumise à des pressions. Avec sa manière fluide et proche d'un documentaire, toute cette partie du film se révèle particulièrement convaincante, au moins jusqu'aux dernières scènes, qu'il est permis de trouver trop démonstratives, voire même, osons le mot, démagogiques, mais cela se discute, très certainement. Dans le même temps, le film tente d'humaniser son personnage principal de policière, dont le travail délicat est d'estimer si certains de ses collègues ont fauté. Seulement, le récit est nettement moins équilibré dès lors que la vie privée de cette femme vient se mêler à son expertise professionnelle. Léa Drucker est cependant impeccable, sur tout les registres, et n'est pas loin de parvenir, presque à elle seule, à rendre moins fragile l'édifice narratif. A chaque jour suffit son IGPN mais évoquer son activité est sans doute plus facile dans un polar pur et dur que sur un registre plus social.
Valeur sentimentale de Joachim Trier
La Valeur sentimentale, dans le film de Joachim Trier, c'est celle accordée à la magnifique maison familiale, mais l'expression peut à coup sûr s'étendre aux relations difficiles entre un père cinéaste, plus souvent absent qu'à son tour, et ses deux filles qui ont suivi des voies professionnelles différentes. L'une joue, l'autre pas, l'une semble équilibrée, l'autre moins, mais ces deux sœurs ont beaucoup en commun, à commencer par leur enfance. Il manque une sœur pour se retrouver chez Tchekhov, mais l'atmosphère est bien dans ce registre-là, à moins de préférer parler de climat Bergmanien; ce qui n'est pas faux, non plus. Mais au-delà des influences éventuelles, ce qui séduit dans Valeur sentimentale, c'est son humanité, souvent blessée, et l'intensité douce de scènes qui se succèdent, sans que l'on sache jamais quel personnage va être privilégié dans la prochaine séquence, chacun à leur tour, isolément ou ensemble. Des portraits croisés, en somme, plus complexes qu'il n'y paraît, et un rappel des générations précédentes dont les drames ont nourri l'histoire familiale et celle de la maison qui l'a abritée. Valeur sentimentale est un ouvrage à la musicalité et à la poésie certaines, admirablement servies par l'élégance de la mise en scène de Joachim Trier et la qualité de ses interprètes, de l'illustre Stellan Skarsgård à la désormais indispensable Renate Reinsve (sa prestation est à mille lieux de celle de La Convocation), en passant par l'inconnue Inga Ibsdotter Lilleaas. Ils contribuent tous à ce que ces instants norvégiens deviennent inoubliables.
La semaine d'un cinéphile (411)
Lundi 19 mai 2025
En attendant d'arpenter la Croisette de Nantes, j'ai quelques sorties prochaines à voir, par anticipation.
Mardi 20 mai
Poursuite de mon cycle cinéma yougoslave. Cette fois, je suis quelque peu resté sur ma faim.
Mercredi 21 mai
Des sorties mercredi, jeudi et vendredi, Cannes oblige. Il sera temps de juger le niveau général de cette semaine, dans quelques jours.
Jeudi 22 mai
Me revoici à Nantes. 15 films cannois à voir d'ici lundi matin. Et je commence avec le dernier Klapisch.
Vendredi 22 mai
Ma journée cannoise à Nantes va comporter 3 films français et un roumain. J'avoue que je suis curieux de l'adaptation de Connemara.
Samedi 24 mai
Les aigles de la République, Fuori, Vie privée, La petite dernière : pas mal pour un samedi, non ?
Dimanche 25 mai
5 films au programme. Dont Valeur sentimentale et L'agent secret. J'ai intérêt à être en grande forme.
Nantes sur Croisette (3)
Vie privée de Rebecca Zlotowski
Vie privée, le dernier long métrage de Rebecca Zlotowski était hors compétition à Cannes et cela lui sied parfaitement au teint, tellement le cinéma de la réalisatrice aime à emprunter des sentiers tortueux plutôt que balisés. Cela pourrait ressembler à une sorte d'Anatomie d'un suicide mais ce serait mal connaître la cinéaste que de la voir renoncer à la fantaisie qui caractérise son œuvre, jusqu'au loufoque, parfois, même si son sujet semble des plus sérieux, au départ. En l'occurrence, tout va de mal en psy pour une thérapeute un brin coincée et qui va nécessairement s'ouvrir à de nouveaux sentiments, à mesure que son enquête sur sa cliente décédée devient quelque peu baroque mais aussi impliquante dans sa propre existence. Jodie Foster est comme attendu absolument remarquable, avec plusieurs couches de nuances, mais elle est extrêmement bien entourée, de Vincent Lacoste, notamment, mais surtout d'un Daniel Auteuil impérial et chaleureux. On en accepte d'autant mieux les circonvolutions d'un scénario qui semble parfois, pas trop souvent mais quand même, s'empêtrer dans son propre délire. Mais Rebecca Zlotowski s'autorise à peu près tout ce que son imagination lui suggère et elle sait qu'avec de tels interprètes, tout passera, ou presque, comme une lettre à la poste.
Les aigles de la République de Tarik Saleh
C'est un fait : Les aigles de la République est moins spectaculaire et bien moins prenant que La conspiration du Caire et ses dernières séquences, certes brillantes mais démonstratives, laissent sur une impression un tantinet mitigée. Autre déception : le rôle trop maigre confié à Lyna Khoudri, dont le talent méritait mieux. Mais voilà, Les aigles de la République est un film d'hommes, puisqu'il montre les coulisses du pouvoir d'un régime égyptien aux allures de dictature, que le prisme fictif du plus grand acteur du pays, véritable pharaon de l'écran, permet de cerner avec une efficacité implacable. Le réalisateur, Tarik Saleh, lâche ses coups avec brio, dans cet univers corrompu où certaines offres ne se refusent pas, même quand on est une star adulée. Le film tourne en ridicule cette pantomime et l'on en rit bien volontiers car le récit est très malin et cinglant, même si la situation est des plus désespérantes, pour ne pas dire plus. La dénonciation politique est criante de vérité et le film s'en éloigne parfois avec des scènes plus sentimentales qui ne sont cependant pas les plus probantes. Mais Fares Fares reste toujours aussi charismatique, dans un rôle pas si simple à jouer, auquel il apporte toute l’ambiguïté nécessaire, ne craignant même pas les moments comiques où le pharaon semble plus proche d'un citoyen servile et pas loin d'être grotesque.
The Chronology of Water de Kristen Stewart
A première vue et dès ses images inaugurales, The Chronology of Water semble épouser in extenso, ou presque, toutes les caractéristiques du premier long métrage à visées auteuristes, tendance doloriste. Un récit fragmenté, un maelström d'images parfois subliminales, une voix off, de lourds traumas d'enfance, des abus de substances diverses : n'en jetez plus, l'arrière-cour est pleine. Et en tant que vecteur commun, l'eau fait parfaitement l'affaire, symbole parfait pour laver dans des profondeurs chlorées un mal-être qui s'écoule comme une plaie d'hémophile. D'accord, mais derrière ce maniérisme évident, l'on éprouve pourtant une certaine fascination pour la paradoxale recherche d'authenticité qui finit par s'imposer, peu ou prou, dans cet ensemble narratif pourtant bien peu étanche. L'envie d'exprimer une rage de filmer transparaît dans la mise en scène qui se veut radicale de Kristen Stewart, à la fois provocante et pudique, et ne demandez pas comment elle y parvient, de temps à autre. Si le flot du film avait été quelque peu régulé, voire domestiqué, il est certain que le résultat n'aurait pas été aussi marquant, en dépit des défauts ou plutôt des tics déjà énoncés. Dans ce bain à remous, Imogen Poots fait mieux que surnager, sa performance est presque de l'ordre du miracle.
Nantes sur Croisette (2)
Le roi soleil de Vincent Maël Cardona
Une fois posé le fait que le préambule et la conclusion du film sont quelque peu hors sujet, hormis le fait qu'ils se déroulent au château de Versailles, il faut bien accorder au deuxième long métrage de Vincent Maël Cardona un certain savoir faire pour nous entraîner dans son sillage ludique, où toute histoire possède des versions dissemblables, quitte à rejouer les scènes dans un espace-temps qui balbutie. Et vices et Versailles, donc, dans ce huis-clos à l'intérieur d'un bar-tabac de la cité royale. Certains cinéphiles se souviendront peut-être du délicieux Antoine et Antoinette de Jacques Becker où un billet de loterie jouait un rôle d'importance mais Le Roi Soleil n'en est pas le remake, évidemment, plutôt une farce noire avec des cadavres pas toujours exquis à comptabiliser. La maîtrise n'est pas totale, c'est certain, dans cette histoire à tiroirs mais aucun ennui ne s'en dégage non plus, alors qu'il s'agit bien d'un exercice de style dans lequel d'ailleurs aucun rôle n'est véritablement mis en avant. On y trouve un Pio Marmaï plutôt sobre et une Maria de Medeiros très drôle, entre autres, dans cet exercice collectif où chacun a sa minute de gloire, si l'on ose dire. Pas mal, mais aurait pu mieux faire a t-on envie de pérorer, en regrettant peut-être qu'il n'y ait pas eu davantage d'audace dans l'écriture du scénario.
Fuori de Mario Martone
Goliarda Sapienza, un nom d'autrice très célèbre désormais en Italie mais dont le livre majeur, L'art de la joie, ne fut édité que des années après sa mort. Fuori est l'occasion de découvrir qui était cette femme, par le biais d'un film impressionniste, qui ne prend en compte que deux périodes de son existence, en prison puis libre, avec les contacts qu'elle avait gardé avec d'autres taulardes. Ces dernières années, si ce n'est pas Bellocchio ou Moretti, c'est Mario Martone qui représente l'Italie, en compétition à Cannes et son dernier film, qui ressemble un peu à un puzzle, ne fait rien pour se faire aimer, même s'il s'agit du premier biopic de l'écrivaine, si tant est qu'il en ait les caractéristiques. Sapienza est une héroïne insaisissable, elle qui figura en tant qu'actrice de second plan dans le Senso de Visconti, entre autres, avant de se consacrer à la littérature, avec l'insuccès que l'on sait, jusqu'à la gloire posthume. Valeria Golino joue avec la classe qui lui est coutumière cette voleuse, de bijoux, une fois, mais surtout des mots des autres, en prise directe avec l'Italie des années 70 et 80 et la période des attentats. Fuori est un film indolent, qui se mérite, et sans doute que Marco Bellocchio, encore lui, en aurait fait quelque chose de plus prenant. Mais le travail de Martone reste plus qu'estimable, à la rencontre d'une grande dame, anti-conformiste, qui ignorait elle-même ce que la postérité lui réserverait.
La petite dernière de Hafsia Herzi
La petite dernière est sans conteste le meilleur film réalisé par Hafsia Herzi et il semble plus que probable qu'elle fera encore mieux dans le futur, sachant qu'elle a autant de courage que de talent. Le secret de Fatima, qui conditionne tout son film, marque par la volonté de la cinéaste de signer un film apaisé même si le sujet pourrait indiquer le contraire et si l'héroïne du film n'avait pas à mentir à ses proches, quant à son choix de vivre selon sa véritable nature. Hafsia Herzi filme au plus près de ses personnages, à commencer par Fatima, dans des gros plans continuels qui sont le contraire de l'impudeur, en tant que recherche d'une géographie des sentiments, qui met en lumière, plus particulièrement, l'ensemble de ses actrices, toutes formidables, dans le sillage de Nadia Melliti, impressionnante de retenue expressive, si l'on ose dire. Rappelons que le film est l'adaptation d'un monologue du registre de l'autofiction, signé de Fatima Daas. Le long métrage réussit à lui garder son caractère réaliste tout en affirmant une singularité romanesque, qui dépasse largement la moyenne des récits d'apprentissage qui alimentent constamment le cinéma. Émouvant sans mièvrerie et tranquille dans son audace, La petite dernière transcende son sujet et lui confère une vérité sans fard.
Nantes sur Croisette (1)
Connemara de Alex Lutz
Difficile de ne pas voir une convergence thématique évidente entre Partir un jour et Connemara. Le second prend appui sur le roman de Nicolas Mathieu mais il est peu probable que ses lecteurs se satisferont de son adaptation, dans un film qui aborde le sujet social, encore heureux, mais en l'immergeantt dans une romance qui tend à prendre toute la place. Alex Lutz, dans ce bilan de la quarantaine, de la jeunesse enfuie, de la dépression, de la vie de province et des retours de flamme, use et abuse de dialogues en décalage avec les images, des flous artistiques et, pour être succinct, d'un maniérisme qui ôte une grand part de sa fraîcheur à une intrigue qui apparaît, au demeurant, assez pauvre. Le couple formé par Mélanie Thierry et Bastien Bouillon (encore lui !), fonctionne plus que correctement, dans ses hésitations et son alchimie, mais les autres personnages sont quant à eux négligés et réduits à quelques gros traits de plume (Gamblin et Célarié). A la décharge du réalisateur, l'univers du romancier semble difficile à réinventer à l'écran, non pas à cause de ses thèmes mais de son style, même si les frères Boukherma, dans Leurs enfants après eux, ont été plus proches d'en capter l'essence, quitte à le trahir un peu, mais en ne cherchant pas une écriture plus emberlificotée, écueil dans lequel Lutz est hélas tombé.
Woman and Child de Saeed Roustaee
Comment rendre l'air d'un récit irrespirable, simplement pat ses dialogues et de quelques ellipses bien senties ? Il suffit de demander au cinéma iranien, en général, et à Saeed Roustae, en particulier, dont le Woman and Child représente un thriller émotionnel à haute tension, qui 'n'en finit pas d'aller crescendo au risque de susciter quelque apnée chez ses spectateurs. Il s'agit bel et bien d'un mélodrame, d'une traversée de l'enfer pour son héroïne principale, que d'aucuns jugeront peut-être un peu trop riche en péripéties dramatiques et éventuellement trop féministe, aussi ? Soyons sérieux, s'il pousse le bouchon très loin et joue avec nos nerfs, au point d'envisager pire encore que les situations décrites, c'est parce qu'il y a une qualité et une maîtrise de l'écriture confondante et une mise en scène aussi efficace et charnue qu'un Scorsese ou un Schatzberg des années 70. D'une intensité constante, Woman and Child est interprété notamment par des actrices de 3 générations successives, avec Parinaz Izadyar, sublime d'humanité et de cruauté, dans le rôle principal. Dans ses meilleurs moments, le film rappelle indéniablement le cinéma d'Asghar Farhadi, mais en plus âpre et en plus machiavélique, si tant est que cela puisse être possible.
La femme la plus riche du monde de Thierry Klifa
Franchement, on s'attendait plutôt à un récit satirique pour évoquer une affaire célèbre d'autant plus sujet à fantasmes qu'elle concernait La femme la plus riche du monde, française qui plus est. Sans doute que notre vision a pu être polluée par la version délirante qu'en a livré, il y a quelques semaines, un Jérôme Commandeur déchaîné. Eh bien, étant donné le CV du réalisateur, Thierry Klifa, il ne fallait pas s'attendre à rire grassement d'une histoire bête en cours, a priori, mais plutôt à une reconstitution, sans doute assez fidèle à ses différentes composantes, à partir de l'ennui d'une dame dans sa cour de sujets respectueux et qui nécessitait son fou de la reine, pour pimenter son quotidien. Si le personnage du supposé "escroc" est joué de manière croquignolette par Laurent Lafitte, c'est finalement l'histoire familiale, avec ses secrets inavouables et sa collusion avec le monde politique de l'époque d'un président rosé, qui suscite le plus d'intérêt. Que dire d'Isabelle Huppert, si ce n'est qu'elle plus que parfaite, mais qu'on aurait davantage vu une actrice plus âgée correspondre au rôle ? Moins drôle et moins méchant qu'attendu, le film pâtit en outre d'une réalisation guère flamboyante qui rendrait cette histoire presque banale, ce qui est tout de même un comble.
Le temps du romanesque (La venue de l'avenir)
Jusqu'à maintenant, les projets les plus ambitieux de Cédric Klapisch, Peut-être et Paris, étaient ceux qui affichaient les résultats artistiques les moins probants, même si la part de subjectivité, dans l'avis que l'on professe, reste importante. Tout ce préambule pour manifester un certain enthousiasme à la vue de La venue de l'avenir, ce qui n'était pas gagné d'emblée, eu égard à un sujet propice à s'échouer dans le ridicule, voire dans le grotesque. Oui, mais,, le film est bien écrit et la mise en scène d'une grande fluidité, pour passer d'une époque à une autre, de 1895 à 2025, avec un fil ténu et original pour les relier, ce qui ne pose pas de problème majeur, à partir du moment où l'on accepte que le vent du romanesque nous emporte, puisque chaque vie mérite d'être contée, avec ses douleurs et ses épiphanies. La venue de l'avenir parle non pas du futur mais d'un passé qui nous touche, celui des impressionnistes, et d'un présent qui nous interroge (désespère ?), celui des créateurs de contenu. Ces derniers termes auraient fait gausser les Monet, Nadar, Hugo et les autres et tant pis si l'on accuse Klapisch et son excellent coscénariste, Santiago Amigorena, de passéisme, ou peut-être de démagogie, en sous-entendant que les véritables talents sont désormais absents de notre époque, remplacés par une médiocrité consensuelle. Admirable directeur d'acteurs, l'auteur de l'Auberge espagnole a trouvé en Suzanne Lindon une interprète vibrante et intemporelle et le reste du casting est on ne peut plus solide, avec notamment Vincent Macaigne, Julie Platon et Zinedine Soualem. La venue de l'avenir va plaire à tous les férus de généalogie, de plus en plus nombreux, mais aussi à ceux qui n'oublient pas d'où ils viennent, alors même que l'avenir rend sceptique ou effraie. Il y a un côté doudou dans le film auquel on peut s'abandonner sans culpabiliser une seule seconde.
Le réalisateur :
Cédric Klapisch est né le 4 septembre 1961 à Neuilly-sur-Seine. Il a réalisé 15 films dont Chacun cherche son chat, L'auberge espagnole et En Corps.