Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

France


Devant la meute hurlante (Un Arabe)

Haletant, Un Arabe l'est assurément, mais ce n'est pas le suspense proprement dit qui intéresse l'auteur du roman, Oscar Coop-Phane, à partir du moment où le dénouement ne pourra être que tragique. Non, ce qui le fait raconter cette poursuite échevelée, c'est le pourquoi du drame, surtout, et le comment, accessoirement. Le livre, transposé aux États-Unis, deviendrait une traque raciste, organisée par le Ku Klux Klan, mais dans le sud de la France, de nos jours, les protagonistes de cette chasse à l'homme n'ont pas besoin de cagoules, ce sont des gens "ordinaires", victimes de leurs préjugés et d'une colère enfouie en eux, parce qu'ils ont plus ou moins raté leur vie, qu'ils se sentent plus forts en groupe, dans une meute hurlante qui cherche l'hallali et l'alcool n'est pas suffisant pour expliquer ce comportement grégaire et haineux. En quelques phrases, l'auteur décortique chacune de ces existences médiocres, au risque parfois de tomber dans la caricature. Mais quand il montre comment ces individus, des hommes exclusivement, de faux mâles alpha, définitivement be(ê)ta, deviennent une horde qui ne réfléchit plus et se croit détentrice d'une justice immanente, la plume de l'écrivain se fait convaincante et symbolise tout ce qu'une foule aveugle et haineuse peut perpétrer, comme si la barbarie et le désir de lyncher n'étaient rien d'autre que la résurgence de pulsions de violence et de défoulement, comme une revanche sur l'ingratitude de la vie. Et qui mieux que "l'Autre", celui qui a le tort d'être différent et de venir d'ailleurs, pour jouer le rôle de suspect idéal, de bouc émissaire de toutes les rancœurs ingurgitées ? Que se passera t-il après le dénouement du livre ? Pas grand chose, évidemment, un fait divers, évoqué dans les journaux, avec une bande d'individus qui pourront se rejeter mutuellement la faute et dont les regrets ne seront, vraisemblablement, pas à la hauteur de cette espèce d'euphorie qu'ils ont ressentie, sûrs de leur bon droit et ivres de leurs instincts primaires.

 

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset.

 

 

L'auteur :

 

Oscar Coop-Phane est né le 15 décembre 1988 à Lyon. Il a publié 9 livres dont Le procès du cochon et Rose nuit.

 


14/01/2025
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Un caillou dans la chaussure (Frapper l'épopée)

Alice Zeniter n'a pas vécu en Nouvelle-Calédonie, elle y a séjourné à deux reprises et s'est beaucoup documentée sur le présent, tumultueux, de l'île, et sur son passé, qui ne l'est pas moins. Est-ce que cela lui donne le droit d'écrire sur le sujet ? Évidemment, oui, si l'on considère qu'il s'agit de sa vision à elle, alimentée à de nombreuses sources, et que c'est un roman, avant tout, même si l'autrice s'en extrait, au moins à une reprise, comme lorsqu'un film montre volontairement la caméra qui tourne. Cela dit, Frapper l'épopée est loin de valoir L'art de perdre mais reste un ouvrage agréable, quoique parfois déconcertant, avec ses deux intrigues qui se rejoignent et un point de basculement inattendu, où le surnaturel vient remplacer le réalisme. Cela dit (bis), le roman se fait aussi récit historique et ceux qui connaissent mal Le Caillou et son passé y apprendront un certain nombre de choses tout à fait passionnantes. Ce caillou dans la chaussure qu'est la Calédonie pour la France coloniale est portraituré avec toutes ses composantes, les Kanaks, ses habitants originels, en premier lieu. La plume vive d'Alice Zeniter fait passer le côté composite du livre, de même qu'un humour et une ironie assez emballants. Cela dit (ter), savoir comment le roman a été accueilli par les Calédoniens eux-mêmes est une question qui se pose forcément.

 

 

L'auteure :

 

Alice Zeniter est née le 7 septembre 1986 à Clamart. Elle a publié 8 romans dont L'art de perdre, Juste avant l'oubli et Comme un empire dans un empire.

 

 


11/10/2024
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Un cri pour la liberté (Badjens)

Le 18 septembre prochain, Les graines du figuier sauvage sortira dans toutes les bonne salles de cinéma, en France. Un film puissant et terrible, qui prend les grandes manifestations de 2022, en Iran, comme toile de fond pour décrire une famille divisée entre un père fidèle au pouvoir, ses filles rebelles, et une mère qui penche vers ces dernières, tout en essayant de maintenir la paix dans son ménage. Cette femme ressemble beaucoup à celle de Zahra, l'adolescente de Badjens, dont on suit le parcours depuis sa naissance et jusqu'aux événements évoqués plus haut, lesquels n'ont pas réussi, hélas, à faire chuter le régime des mollahs. Nourri par ses contacts avec de jeunes iraniennes, le livre de Delphine Minoui va à l'essentiel pour brosser un portrait accablant d'un pays où une génération entière s'est révoltée, aux cris de "Femme, Vie, Liberté." Le tableau de la condition féminine en Iran a beau être connu, l'autrice lui donne une grande vérité et acuité dans un texte rageur, au style concis et rythmé, fait de phrases courtes et tranchantes. De nos jours, les livres voyagent vite et nul doute que Badjens contribuera, à sa manière, à ce que la lutte continue contre l'ignominie.

 

 

L'auteure :

 

Delphine Minoui est née en 1974, en France. Elle a publié 8 livres.

 


24/08/2024
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Il ne se passe jamais rien ici (Les âmes féroces)

Marie Vingtras n'est pas la première à être fascinée par le mode de vie américain, notamment dans une petite ville un peu morne "où il ne se passe jamais rien", sauf, qu'évidemment, un drame advient dès les premières pages de Les âmes féroces. Si enquête policière il y a, avec révélation du (de la ?) coupable du meurtre d'une adolescente, c'est l'atmosphère qui intéresse au premier chef la romancière, ainsi que le portrait psychologique de plusieurs habitants de la localité. Et si tout cela s'était passé dans le Lot ou dans les Vosges, est-ce que cela aurait changé quelque chose au ton du livre et à son déroulement ? Un peu sans doute, mais pas en profondeur, puisqu'ailleurs ou ici, les âmes sont tout aussi féroces, dans une communauté où tout le monde, ou presque, se connaît, et a une opinion sur ses voisins, plus ou moins éloignés. A défaut de faire montre d'un style éblouissant, Marie Vingtras possède un savoir-faire évident pour faire monter la pression, distiller des informations nouvelles au fur et à mesure et ménager le suspense. Elle a construit habilement son récit entre 4 parties, comme autant de saisons, avec des narrateurs différents, qui font avancer l'intrigue, grâce ç une belle maîtrise des couches temporelles, sans que jamais le procédé ne paraisse lourd ou systématique. Chacun ou chacune aura sans doute un témoignage "préféré", le troisième, celui de la meilleure amie de la victime, étant peut-être le plus marquant. En se servant de stéréotypes, mais en les accommodant pour les rendre originaux, voire atypiques, l'autrice réussit à nous tenir en haleine, tout en épinglant, non sans bienveillance,et avec justesse, tout ce qui caractérise notre (in)humanité.

 

 

L'auteure :

 

Marie Vingtras est née en 1972 à Rennes. Elle a publié Blizzard.

 


23/08/2024
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Ne jamais oublier (Jacaranda)

Le syndrome du deuxième roman, cap difficile à passer, surtout après un premier aussi réussi et prenant que Petit pays, allait-il frapper Gaël Faye ? Déjà, il ne s'est pas précipité, laissant du temps passer (8 ans), et s'il aborde de nouveau le sujet du génocide rwandais, il le fait de manière différente, en prenant un personnage principal qui n'est pas impliqué directement dans l'atrocité des événements et qui va nous servir de guide, au gré de ses rencontres et de ses recherches, dans l'exploration du passé, avec ses stigmates et la renaissance d'un pays partagé entre la volonté d'aller de l'avant et la nécessité de ne jamais oublier. Le style fluide de l'auteur fait merveille, laissant une large place au romanesque, tout en rappelant l'essentiel des faits advenus il y a un peu plus de 30 ans, en les remettant dans une perspective historique, essentielle pour comprendre la mécanique de l'horreur, sans excès de didactisme, cependant. Le livre est remarquablement construit, captant la manière dont le pays a évolué en 3 décennies, comment les rescapés ont essayé de panser leurs plaies ou cherché à se venger, pourquoi les nouvelles générations ont occulté le traumatisme ou l'ont intégré dans une société nouvelle, où le pardon a sa place, un peu comme pour la société sud-africaine après l'apartheid. Bref, Jacaranda est un roman touffu dans un récit clair qui ne cherche pas à être poignant à tout prix et qui s'attache avant tout à l'humain. Il y a moins de flamboyance dans Jacaranda que dans Petit pays mais tout autant de compassion et de sensibilité et, peut-être, davantage d'espace pour l'espoir et la sérénité. Sans oublier le talent de conteur de Gaël Faye, qui est une évidence.

 

 

L'auteur :

 

Gaël Faye est né le 6 août 1982 à Bujumbura (Burundi). Il a publié Petit pays.

 


21/08/2024
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Tant bien que mal (Il ne se passe jamais rien ici)

Dans son entame, Il ne se passe jamais rien ici pourra déconcerter les fidèles d'Olivier Adam. Par le cadre choisi, d'abord, un petit village au bord du lac d'Annecy et par une intrigue qui a des allures de polar, après un féminicide. Pour un peu, on se croirait chez Djian et les premières pages donnent un aperçu psychologique des personnages qui frôle la caricature, avec un style très direct, qui s'apparente plus à un langage parlé que littéraire. Et puis, la magie agit : les protagonistes sont de plus en plus nombreux et le roman choral apparaît et s'épanouit, portrait d'une communauté où règnent l'hypocrisie, la jalousie, le cynisme et des tonnes de frustration. C'est la comédie humaine qu'évoque le romancier avec son acuité accoutumée, bien que parler de tragédie serait plus adapté. Adam ne se prive pas de donner son avis sur les grandes thématiques sociologiques et l'air du temps : inégalités, consumérisme, racisme, alcoolisme, violences domestiques, réseaux sociaux, etc. Si l'auteur est évidemment du côté des perdants et des cabossés, il ne néglige aucun de ses personnages, même secondaires, car ils ont chacun une expérience de vie à partager, fût-elle plus triste que joyeuse. Autour de l'écrin magnifique que constitue le lac d'Annecy, Olivier Adam tosse savamment la toile des tourments qui agitent les humains et scrute leur comportement. Personne n'est épargné, tous ont leurs raisons, leurs mensonges et leur aveuglement, de l'adolescence à la vieillesse, et chacun poursuit sa route escarpée et survit, tant bien que mal.

 

 

L'auteur :

 

Olivier Adam est né le 12 juillet 1974 à Paris. Il a publié 18 livres dont Des vents contraires, Les Lisières, Une partie de badminton.

 


02/06/2024
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Le miel des aléas (A nos vies imparfaites)

Il existe des romans qui ressemblent plutôt à un assemblage de nouvelles mais l'inverse, Véronique Ovaldé le prouve dans A nos vies imparfaites, est également possible. Sans se répondre tout à fait, les huit nouvelles qui composent le recueil ont parfois des personnages en commun, qui de principal deviennent secondaire et vice-versa. Au début, le livre semble devoir ressembler à La Ronde de Schnitzler mais finalement non, l'autrice préfère les surprises aux scenarii trop prévisibles. Une fois de plus, Véronique Ovaldé démontre que la légèreté et la fantaisie font bon ménage avec la profondeur et la réflexion, combien d'écrivains peuvent se targuer de réussir une telle alchimie ? Les nouvelles sont courtes et plaisantes, toujours centrées sur un personnage attachant, lequel se débrouille tant bien que mal avec son inné et ses acquis, dans une vie imparfaite, laquelle ne l'est pas, mais c'est la sienne. Quelques drames, incidents et regrets surviennent mais de ces aléas et de la mélancolie de l'existence, en général, V.O fait son miel avec l'ironie, l'humour et l'élégance qu'on lui connaît. A nos vies imparfaites ne remplace pas un gros et bon roman de l'écrivaine mais il serait injuste de déprécier cet exercice de style qui pourrait représenter, pour ceux ou celles qui n'ont pas encore découvert son talent, une entrée en matière idéale pour goûter la petite musique d'une autrice qui ne déçoit jamais quand il s'agit de réenchanter la vie.

 

 

L'auteure :

 

Véronique Ovaldé est née le 12 avril 1972 au Perreux-sur-Marne. Elle a publié 17 livres dont Et mon coeur transparent, Ce que je sais de Vera Candida et Des vies d'oiseaux.

 


12/05/2024
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Agence tous risques (D'or et de jungle)

Pas de Aurel, l’inénarrable consul créé par Jean-Christophe Rufin, dans D'or et de jungle et c'est un regret car son personnage aurait pu donner quelques couleurs à un récit qui semble surtout destiné à exposer le concept de "coup d’État clefs en mains." Forte intéressante, d'ailleurs, cette idée et sa mise en œuvre, intelligemment reliées aux aspirations hégémoniques des plus puissantes multinationales des technologies de l'information et de la communication. Le fond est sérieux et très documenté mais l'intrigue qui tourne autour, aussi crédible qu'elle soit, patine un peu et n'offre pas totalement le mélange de fantaisie et de profondeur que tente de concocter l'auteur. Brunei, territoire bien connu des philatélistes, à défaut de l'être par les touristes, est un cadre exotique a priori bien choisi mais qui possède peu de potentiel de diversité, eu égard à sa taille réduite et à son régime autoritaire. Entre les financiers du coup d’État, les cerveaux de l'agence tous risques chargés des opérations et les infiltrés sur place, l'action se déroule sur un faux rythme en attendant l'inévitable twist final. Dans un style peu flamboyant, le roman se lit sans ennui, certes, mais ne côtoie jamais les sommets. Et ses différents protagonistes, assez caricaturaux dans l'ensemble, n'ont vraiment rien d'attachant. Ah, si un certain consul s'était invité dans la danse, le tableau aurait été sans aucun doute plus attrayant, les lecteurs de Rufin n'ignorant point que que Aurel est hardi.

 

 

L'auteur :

 

Jean-Christophe Rufin est né le 28 juin 1952 à Bourges. Il a publié 29 livres dont L'Abyssin, Le parfum d'Adam et Le collier rouge.

 


11/05/2024
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Une espérance à reconstruire (Un monde à refaire)

Au printemps 1945, à Hyères, la majorité des habitants ne veut penser qu'aux lendemains et oublier les sales années de guerre, comme partout en France, alors que la seconde guerre mondiale touche à sa fin. Ce n'est pas le cas de tous, évidemment, et ce sont ces personnes-là qui occupent toute la place dans le premier roman de Claire Deya, Un monde à refaire. Ils ou elles ont combattu dans la résistance, reviennent des camps ou encore, dans le cas des Allemands, sont retenus prisonniers. La romancière s'intéresse au destin de ces hommes et de ces femmes qui ont une espérance à reconstruire mais elle dresse surtout, c'est la principale qualité du livre, un panorama à la fois très documenté, vivant et sensible de ce coin de France où a eu lieu un débarquement moins célèbre que celui de Normandie. Un monde à refaire a une vraie gueule d'atmosphère, entre les héros, les salauds qui se refont une virginité et le gros de la population qui ne s'est pas mal conduit mais qui n'a pas eu non plus de courage pour agir. Et puis il y a les démineurs qui risquent leur vie chaque jour pour "libérer" plages et champs. Ils sont le corps et l'âme du livre, eux dont le travail a rarement été évoqué pour raconter cette période. Moins convaincantes, sans doute, mais cela dépend des goûts de chaque lecteur, sont les intrigues sentimentales, torturées à l'excès, qui concernent les principaux personnages du roman. Avec Ariane, notamment, qui a disparu quand le récit débute et qui sert de fil (bien sûr) à l'histoire qui domine toutes les autres, avec sa dose de mystères qui ne s'éclairciront que dans le dénouement de Un monde à refaire. C'est du classique mais on peut estimer que l'autrice, sur cet aspect-là, aurait pu se montrer moins pesante dans son lacis de hasards, de coïncidences et de révélations. D'où un jugement un brin mitigé sur un roman qui, paradoxalement, s'avère moins éloquent dans sa partie la plus ... romanesque.

 

 

L'auteure :

 

 


03/05/2024
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Drôme de guerre (Le nom sur le mur)

Après le triomphe absolu de L'Anomalie, le champ des possibles s'ouvrait très largement pour Hervé Le Tellier, assuré, quoi qu'il écrive, d'être suivi en nombre. Mais de cet auteur à la reconnaissance tardive, ne fallait-il pas attendre l'inverse de son livre à succès, à savoir un texte dénué de la flamboyance de la fiction mais sur un sujet au cœur de ses préoccupations ? Résister aux idées fascistes et à leur résurgence sournoise est quelque chose qui le meut depuis toujours et s'il n'a découvert l'existence de André Chaix que par hasard, peut-être que ce n'en est pas un et qu'il était destiné à rendre hommage à ce garçon drômois fauché peu après ses 20 ans, un jour de 1944. Le nom sur le mur est un livre hybride : pas une biographie historique ni un essai mais l'évocation d'une vie et d'une époque où choisir l'engagement signifiait mettre sa vie en péril. Hervé Le Tellier dit ce qu'il a appris sur cette brève existence dans une Drôme de guerre, avoue ce qu'il ignore, imagine parfois et contextualise une période qui s'éloigne de plus en plus dans le temps et dont il ne faut pourtant jamais oublier ce qu'elle a été, en guise d'avertissement pour le futur. Le livre en dit beaucoup sur André Chaix, sur la Résistance et sur l'idéologie nauséabonde qu'elle combattait, et un peu sur l'auteur lui-même, de manière humble et pudique. Le nom sur le mur, s'il est ouvert à de nombreuses digressions et à une variété de tonalités, y compris l'humour, ne perd jamais de vue l'essentiel de son propos autour d'un héros qui ne se considérait sans doute pas comme tel, un simple humain dans un monde qui alors ne l'était pas.

 

 

L'auteur :

 

Hervé Le Tellier est né le 21 avril 1957 à Paris. Il a publié 29 livres dont L'Anomalie.

 


30/04/2024
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