Journal de La Rochelle (6)
Miroirs n°3 de Christian Petzold
Les amateurs de la petite musique petzoldienne en conviendront sans doute, pour la majorité d'entre eux. Miroirs N°3 n'est pas le meilleur film du cinéaste allemand. Mais il n'est pas décevant non plus, dès lors que l'on a pris l'habitude d'attendre avec impatience ses récits épurés, qui en disent et en montrent peu mais qui utilisent des détails a priori insignifiants (les caprices d'un lave-vaisselle) pour évoquer la difficulté de communiquer et de s'aimer. Oui, c'est un film sur le deuil, avec deux histoires en miroir, évidemment, mais c'est bien davantage, un voyage tranquille dans les ressorts de l'âme humaine, avec ses mystères, sans une recherche absolue de l'émotion, celle-ci venant comme par effraction, avec une bienveillance du film pour ses différents personnages, tous plus ou moins touchés par les aléas de la vie. On ressort de là avec plein de points d'interrogation sur la suite de l'intrigue et on est heureux d'avoir passé près de 90 minutes avec la merveilleuse Paula Beer. Ne pas négliger non plus l'humour sous-jacent de plusieurs scènes, qui confinent presque au burlesque, avec chutes et défaillances mécaniques. Et puis il y a ce romanesque qui ne se pare pas de couleurs chatoyantes mais s'insinue dans des moments d'échanges, de regards ou de silences. A bien y réfléchir, Miroirs n°3 n'est pas un film aussi anodin qu'il y paraît et en plus, il fait du bien.
Sirât d'Oliver Laxe
Après les étincelles de Viendra le feu, son précédent long métrage, l'attente était grande devant Sirât, avec une expérience sensorielle ultime espérée. C'est bien là que se situe la surprise (et la déception) du film, dans son incapacité à nous embarquer dans un véritable trip dans le désert, même avec une musique de rave plutôt excitante en fond sonore. Quel dommage que les personnages manquent autant de profondeur et que, soudainement, les péripéties s'enchaînent, inutilement cruelles, d'ailleurs, dans un pile ou face censé être explosif mais qui ne peut être considéré comme autrement que gratuit. L'objet radical promis n'est vraiment pas au rendez-vous et l'on se contentera d'une sort de mix aléatoire entre Enter the Void et Le salaire de la peur, soit une aventure qui ne manque pas de sable mais certainement de sel. Attention, l'ennui ne plane pas au-dessus de Sirât, qui se suit sans déplaisir aucun car le sud marocain est éblouissant et Oliver Laxe sait parfaitement le filmer, quand il délaisse les corps en transe dans des scènes déjà vues mille fois. Ce bon Sergi López est lui relativement neutre, dans un film que l'on nous promettait extrême et féroce. Ce qu'il n'est pas vraiment, cheminant vers on ne sait quel horizon, et finissant presque par s’ auto-détruire. C'est peut-être ce que l'on appelle prêcher dans le désert.
Kika de Alexe Poukine
Alexe Poukine vient du documentaire et cela se voit, assez souvent pour le meilleur, dans son premier long métrage de fiction, Kika, qui n'a bien sûr rien à voir avec l’œuvre éponyme d'un certain cinéaste espagnol. Durant plus de la moitié du film, la réalisatrice nous enchante avec le portrait d'une assistante sociale dévouée qui va devoir encaisser les coups du destin, sans que le récit ne perde de sa fraîcheur ni de son humour toujours bien placé. Dans la deuxième partie de Kika, l'aspect documentaire tend cependant à s'imposer, au détriment du "romanesque", en explorant le monde trouble du BDSM, certes montré sans excès de voyeurisme mais sur un mode un peu répétitif. Le portrait de femme, si juste et palpitant auparavant, se dilue alors dans une succession de vignettes qui ne font pas dérailler le film mais l'orientent dans une autre direction, pas forcément celle qu'on attendait. Reste un métrage globalement attachant, entre réalisme pur et dur et pittoresque jamais malaisant, porté une actrice d'exception, Manon Clavel, dont la découverte d'un univers nouveau se fait avec un mélange de candeur, d'étonnement et de détermination, qui permet à tout un chacun, de s'identifier à elle, avec le recul et la bienveillance nécessaires, devant des pratiques qui sont, pour la majorité d'entre nous, peu familières. Ou quand le social est en souffrance, dans l'acception multiple du terme.
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