Cinéma
Laure et/ou Michaël (Tomboy)
Après une Naissance des pieuvres riche de promesses, Tomboy c'est l'aisance d'une preuve, celle que Céline Sciamma est bien partie pour occuper une place de choix dans le cinéma français. L'idéal serait de ne rien savoir du sujet avant la projection, d'arriver vierge et de se laisser surprendre par LA révélation, au bout d'une quinzaine de minutes. Laure est une fille, pour ses parents et sa petite soeur, elle devient Michaël, un garçon, au sein de la bande qui l'a adopté(e), au coeur d'un été ensoleillé. La question a beau être celle de l'identité sexuelle, pour un enfant de 11 ans, elle n'est jamais traitée comme un traumatisme ou même une douleur. Le talent de la réalisatrice est de rendre limpide et naturelle des situations qui, chez d'autres, prendraient des allures de drame. Non que Laure/Michaël ne se pose pas de questions, mais s'il y a trouble, il est feutré et hors caméra, le plus souvent. Et commenter le film est un peu lui faire injure, car il a cette qualité de laisser le champ libre au spectateur, de ne pas lui imposer une vérité ou de lui infliger un message lourd de sens. On retient plutôt les jeux innocents de l'enfance, pour les extérieurs, et la tendre complicité de Laure/Michaël avec sa soeur cadette, qui nous valent les plus belles scènes, pour les intérieurs. Pas de clichés non plus dans les rapports entre les parents et leur garçon manqué. Il y a une telle simplicité de ton pour aborder une complexité de relations ! Tomboy est un film de vacances, finalement, avec de petits moments de grâce et des éclats de gravité. Un film libre, magnifique et baigné de lumière.
Sexe, solidarité et punk rock (All that i love)
All that i love (Wszystko, co kocham, en polonais, ça a plus de gueule, non ?) est une chronique adolescente comme on en a vu des tonnes. Mais ce passage à l'âge adulte, via le punk rock, intervient dans un contexte bien particulier et hausse d'un cran ce qui ne serait sinon qu'un film de plus sur la rébellion à l'âge ingrat et les premiers émois amoureux. Le film de Jacek Brocuch (son premier) se déroule dans la banlieue de Gdansk, au printemps 81, alors que, suite aux grèves déclenchées par le syndicat Solidarnosc, la loi martiale vient d'être décrétée. Un simple concert de rock peut alors être assimilé à un acte de sédition. Hymne à la résistance et à la liberté, filmé dans des couleurs chaudes et lumineuses, All that i love est une oeuvre attachante, sans être révolutionnaire. De petites histoires qui se mêlent à la Grande, dans un mélange roboratif de sexe, solidarité et rock n' roll. Avec un belle photographie, une musique réjouissante (pas excessivement punk, que les âmes sensibles se rassurent, hé, hé) et une interprétation convaincante, dominée par Mateusz Kosciukiewicz, qui finira bien par décoller cette étiquette gênante de James Dean polonais.
Sublime mère courage (L'étrangère)
Un choc. Violent, éprouvant, et tant pis si certains trouvent le film trop démonstratif. Il l'aurait pu l'être bien davantage si la réalisatrice, Feo Aladag, avait oublié de nuancer son propos alors que chacun, dans L'étrangère, a des raisons d'agir, selon des principes, un code d'honneur, sur lequel on ne transige pas. L'étrangère a représenté l'Allemagne à l'Oscar du meilleur film étranger et, s'il avait eu, ce n'aurait pas été un scandale. Mère célibataire, femme émancipée, pourtant attachée aux valeurs de sa communauté, Umay se bat de toutes ses forces contre des pratiques barbares qui la dépassent. Elle n'est pas la seule, ceux qui la condamnent, père ou frère, l'aiment et connaissent la douleur du devoir qu'ils n'ont d'autre choix que d'accomplir. L'étrangère n'est pas un réquisitoire contre la religion ou contre la communauté turque, c'est une histoire hélas commune (nombre de faits divers identiques ont eu lieu en Allemagne) délivrée avec une puissance qui elle, n'est pas commune. Le film est dominé par la figure de cette mère courage, un petit bout de femme à l'énergie incroyable, qui ne veut qu'être libre, sans blesser quiconque. L'actrice Sibel Kekilli livre une performance invraisemblable, d'une justesse pathétique que l'on n'oubliera pas. Elle est sublime.
Yvette Lebon (1910)
Née le 14 août 1910 à Paris, Yvette (Simone de son vrai prénom) Lebon est la doyenne des actrices françaises, Paulette Dubost étant son aînée de 2 mois. Après des cours de danse et de peinture, elle débute au cinéma en faisant de la figuration dans des opérettes filmées. Rive gauche (Korda) est son premier film en 1931 et, 3 ans plus tard, elle joue dans Zouzou (Allégret) dont la vedette est Joséphine Baker. Elle est ensuite engagée dans Divine (Ophüls) avant de côtoyer Tino Rossi dans Marinella, immense succès commercial. Les films se succèdent, avant et pendant la guerre : Abus de confiance (Decoin), Gibraltar (Ozep), Romance de Paris (avec Charles Trenet), Le destin fabuleux de Désirée Clary (Guitry) ... A la Libération, Yvette, qui a fréquenté les soirées du Tout Paris sous l'Occupation, se fait discrète. Elle recommence à tourner dans des productions italiennes dont Milady et les mousquetaires et Le prince au masque rouge (Cottafavi) avant de se perdre dans des grosses productions cosmopolites sans grand intérêt : Les nuits de Raspoutine (Chenal), La vallée des pharaons, Ulysse contre Hercule. Au début des années 70, elle fréquente la Jet Set et apparait dans trois derniers films : Cannabis (avec Serge Gainsbourg), La cavale, Je, tu, elles. En août dernier, elle a fêté ses 100 ans.
Récolte de vieux films (Avril/4)
Ce n'est pas un péché (Belle of the Nineties, Leo McCarey, 1934)
Entre autres grands burlesques, McCarey a dirigé Laurel et Hardy, les Marx, Langdon, Fields, Lloyd ... Avec Mae West, il a signé cette bande sans grand intérêt où l'actrice pousse la chansonnette à plusieurs reprises. Mais ce ne sont pas ses courbes généreuses qui peuvent sauver ce film d'une platitude absolue et qui n'arrache pas un sourire. La West, elle-même, semble éteinte et ailleurs. On oublie.
Toute la ville danse (The Great Waltz, Julien Duvivier, 1938)
Première incursion américaine de Duvivier qui se glisse parfaitement dans le système hollywoodien. Cette bio de Johann Strauss est endiablée, romantique, jubilatoire et mise en scène avec le brio requis. Un excellent Fernand Gravey et une Luise Rainer davantage en retrait, dans un rôle ingrat. Elle fera bien mieux plus tard.
Night after Night (Archie Mayo, 1932)
Mae West n'a qu'un petit rôle dans ce faux film de gangsters où George Raft compose un subtil personnage de demi-sel de la pègre décidé à changer de vie et à acquérir de la respectabilité. Une comédie dont les dialogues, plus que les mitraillettes, crépitent, avec d'excellents seconds rôles (Constance Cummings, Louis Calhern).
Je veux être une lady (Goin' to town, Alexander Hall, 1934)
Mae West dans son élément, en fille de l'ouest pas très raffinée, qui s'en va ridiculiser la bonne société. Bons mots (lui : "Je suis de la dynamite" ; elle : "Je veux bien être l'allumette"), sous-étendus égrillards, rythme trépidant et, surtout, critique acerbe de l'hypocrisie des gens biens nés, la comédie a du chien et se révèle fort délectable.
Visages d'Orient (The good earth, Sidney Franklin, 1937)
Qui lit encore aujourd'hui Pearl Buck, prix Nobel 1938 ? Cette adaptation de l'un de ses romans est un film parmi les plus ambitieux et novateurs de son époque eu égard à son sujet : la vie de paysans chinois confrontés à la sécheresse, à la famine, aux nuages de sauterelles. Une véritable saga qui apparait bien kitsch à nos yeux avec une hollywoodisation du sujet qui prête à sourire (en gros, l'aspiration à s'enrichir), sans oublier le maquillage ridicule des deux acteurs principaux, Paul Muni et Luise Rainer, difficiles à prendre pour de vrais chinois. Malgré tout, le film a du souffle et de grands moments épiques et on comprend que le film ait fait forte impression à sa sortie. Il valut même un Oscar de la meilleure actrice à Luise Rainer qui doubla donc la mise après sa statuette remportée l'année précédente pour Le grand Ziegfeld.
Un verger pour Eden (Women without Men)
Connue dans le monde entier pour son travail de photographe et de vidéaste, l'iranienne Shirin Neshat, qui a quitté son pays en 1979, se lance pour la première fois dans le long-métrage de fiction avec Women without Men, Lion d'argent au dernier Festival de Venise. Situé au moment du coup d'état militaire de 1953, le film aborde le thème de la condition féminine dans la société iranienne, sujet plus que jamais d'actualité aujourd'hui. Ce n'est pas pour autant une oeuvre politique, la recherche plastique de la réalisatrice édulcorant cet aspect dans une vision onirique et poétique, symbolisée par un verger qui ressemble à un Eden fantasmé. Sur le plan formel, Women without Men est d'une beauté à couper le souffle, accompagné par la partition musicale éthérée de Ruychi Sakamoto. Les portraits des quatre femmes censées symboliser les différentes générations et classes sociales iraniennes restent malheureusement à l'état d'ébauche et leurs rapports de solidarité face à l'autorité patriarcale n'ont qu'une dimension théorique qui se nourrit d'artifices visuels. Le film est avant tout un voyage pour esthètes, sa volonté d'être une oeuvre engagée est largement moins convaincante.
Pétard mouillé (Mr. Nice)
Avec un bon metteur en scène, l'adaptation de l'autobiographie de Howard Marks, alias Mr. Nice, soit le plus grand dealer de son époque, aurait pu donner un résultat ébouriffant. Ses aventures sont bien plus cinématographiques que celle du créateur du Facebook (au hasard) et pourtant, au final, Mr. Nice n'a rien d'hallucinant. Le réalisateur, Bernard Rose, réussit à rendre peu crédible une histoire réelle, ce qui, en soit, est une forme d'exploit. S'il n'y a rien à dire sur l'ambiance Seventies, bien présente, ni sur l'interprétation de Rhys Ifans, cool de chez cool, on déplore le manque de substance du rôle de la pauvre Chloë Sevigny, sacrifiée, alors que l'inénarrable David Thewlis, le seul à réveiller la pellicule, n'a que trop peu de temps de jeu. Le film ne convainc décidément pas en comédie décontractée, faute de rythme et de nerf. C'est assez brouillon dans l'ensemble et carrément à côté de la plaque assez souvent, comme si toute l'équipe de tournage avait un peu trop forcé sur la fumette. On devine en sous-main le plaidoyer pour la légalisation des drogues douces, mais il est réalisé avec une désinvolture et une paresse phénoménales. Ok, ce n'est pas un film à message, mais on se demande bien alors de quoi il s'agit. D'un pétard mouillé ?
Récolte de vieux films (Avril/3)
After tomorrow (Frank Borzage, 1932)
Une adaptation théâtrale qui manque un peu d'air et qu'on peut ranger dans les "petits" Borzage. Ceci dit, la patte du cinéaste est visible, avec cet incroyable talent à tirer l'essence d'une petite comédie familiale et à la rendre universelle. Et ce thème rémanent chez lui : la force de l'amour contre la cruauté du monde.

La chevauchée des bannis (Day of the Outlaw, André de Toth, 1958)
Dernier western de de Toth et avant-dernier film de son auteur aux Etats-Unis. Un western dont le héros se prénomme Blaise ne peut être mauvais, non ?. Sérieusement, La chevauchée des bannis peut être considéré comme l'un des 20 meilleurs westerns jamais tournés. Bien sûr, il y le décor, la neige et la boue d'un village isolé du Wyoming. Et puis le huis-clos, la tension entre les hors-la-loi et la petite communauté qui est elle-même divisée. Robert Ryan y joue un personnage qui est tout sauf monolithique. Et le chef des bandits a aussi ses failles. Ces deux-là sont là pour canaliser la violence qui ne demande qu'à éclater. La scène de bal improvisé est incroyable, elle ressemble à un viol. Quant à la chevauchée dans la neige, elle est dantesque. Un western séminal, qui transgresse quelque peu les lois du genre, comme une sorte de chaînon manquant entre Johnny Guitar et la Horde sauvage. Mais sans flamboyance, tout en latence. Le genre de films où même les chevaux ont un vrai talent d'acteurs !
Le temps de la colère (Between Heaven and Hell, Richard Fleischer, 1956)
Bon film de guerre, original dans son traitement, basé sur un faux rythme haché par une violence éruptive et sèche. Le portrait psychologique du jeune patron sudiste qui s'humanise au fil des combats (Robert Wagner, bien) est un peu moins convaincant. Un ton en dessous d'un Fuller ou d'un Mann, mais cela reste d'excellente facture.
Les tsiganes montent au ciel (Tabor ukhodit v nebo, Emil Lotianu, 1976)
Moldave, avant d'être soviétique, Emil Lotianu (ou Loteanu) adapte ici une nouvelle de Gorki. Cette histoire, censée se dérouler au début du XXème siècle en Bessarabie, alors sous contrôle de l'empire austro-hongrois, ne cherche pas le réalisme. Le scénario est plutôt un prétexte à la danse et aux chansons, sur fond de tragédie et d'amour entre deux êtres qui privilégient leur liberté. Il y a un côté Carmen dans ce conte bigarré qui part un peu dans tous les sens, tout en faisant l'apologie (des sens).
Je ne suis pas un ange (I'm no angel, Wesley Ruggles, 1933)
Le couple Cary Grant/Mae West, c'est un peu l'alliance de la carpe et du lapin. Et pourtant, cela fonctionne plutôt bien, la West perdant un peu de sa vulgarité au contact du gentleman. Par ailleurs, le film se distingue par ses dialogues brillants, souvent lourds de sous-entendus coquins, pour ne pas dire graveleux. Un des rares films où Mae West est supportable, c'est dire.
Récolte de vieux films (Avril/2)
Deux êtres (Tva Människor, Carl Th. Dreyer, 1945)
Tourné en Suède. Enorme échec public. Dreyer a ensuite renié le film qui ne circule plus guère. Il s'agit d'un huis-clos à deux personnages, quasiment en temps réel. Un scientifique, accusé de plagiat, entend à la radio que son rival a été assassiné. Avec son épouse, il attend la police. Ce n'est pas un chef d'oeuvre, sinon ça se saurait, mais un film étonnant, théâtral, qui passe de l'insouciance au drame, de l'enquête policière au romantisme morbide, au fil des révélations. Mise en scène parfaite qui préfigure les mouvements de caméra d'Ordet. Interprétation moins convaincante, Dreyer n'ayant pas eu les acteurs qu'il souhaitait.
Nazi Agent (Jules Dassin, 1942)
Premier long-métrage de Dassin qui signe une oeuvre de propagande d'une belle efficacité. A condition d'oublier les hasards et coïncidences du genre, guère crédibles, mais on s'en fiche. L'intrigue est sans temps mort et le message doit passer, dans l'Amérique de 42. Conrad Veidt est impressionnant dans un double rôle, aussi bon en nazi qu'en modeste libraire.
Les vicissitudes de la vie (Kafuku zempen/Kafuku Kôhen, Mikio Naruse, 1937)
Un film en deux parties d'une heure 15 chacune, tiré d'un roman de Kikuchi Kan, auteur très populaire à l'époque et très conservateur. Naruse montre qu'il est visiblement peu inspiré par ce scénario de drame bourgeois, sans pour autant laisser de côté son sens de la narration, sa science du découpage et son art de l'ellipse. Les portraits de femmes sont subtils, compréhensifs, alors que l'homme de l'histoire, celui par qui le malheur arrive, est un lâche à peine capable d'assumer ses erreurs. On y voit longuement le Tokyo de 1937, sa partie moderne, avec les dancings, les magasins de luxe de Ginza, le mode de vie occidental ... Dans un Naruse, même moyen, il y a toujours une foule de détails passionnants !
Go west, young man (Henry Hathaway, 1936)
Un Hathaway franchement tarte. Et pas seulement parce que Mae West y est vulgaire, mauvaise actrice et aussi sensuelle qu'un tourteau au saut du lit. L'histoire de cette actrice lunatique perdu au milieu de péquenots, pour cause de panne de voiture, est ridicule. Il est vrai que le scénario est signé ... Mae West !
Le sillage de la violence (Baby, the rain must fall, Robert Mulligan, 1965)
Mulligan, cinéaste de la pudeur, n'était peut-être pas le meilleur choix pour cette histoire à la Tennessee Williams, dans le climat émollient du sud. Steve McQueen y joue un rebelle sans cause, mi-ange, mi-démon, traumatisé par une enfance désolée. La véritable héroïne est Lee Remick, sublime dans un rôle de jeune mère courageuse. Pas un mauvais film, mais loin de la qualité d'Une certaine rencontre, tourné deux ans plus tôt par le même Mulligan avec le couple poignant McQueen/Natalie Wood.
Angela Lansbury (1925)
Angela (Brigid) Lansbury est née le 16 octobre 1925 à Londres. Elle s'installe aux Etats-Unis avec sa mère en 1942 et débute au cinéma dans Hantise (Cukor), deux ans plus tard, qui lui vaut une nomination aux Oscars. Sa carrière est lancée : Le portrait de Dorian Gray (Lewin), Les demoiselles Harvey et Les trois mousquetaires (Sidney), L'enjeu (Capra), Samson et Dalila (de Mille), Mutinerie à bord (Dmytryk). A partir de 1950, elle est plus présente à la télévision et se consacre en priorité à sa vie familiale. Elle tourne néanmoins dans Les feux de l'été (Ritt), Qu'est-ce que maman comprend à l'amour ? (Minnelli), Un scandale à la cour (Curtiz), Un crime dans la tête (Frankenheimer)... Dans les années 60, elle alterne théâtre et cinéma jusqu'à La plus grande histoire jamais contée (Stevens). En 1966, elle obtient un énorme succès sur les planches avec la comédie musicale Mame, qui reste près de 4 ans à l'affiche. En 1970, elle quitte les Etats-Unis pour l'Irlande et ses apparitions cinématographiques se font plus rares : L'apprentie sorcière, Mort sur le Nil, Le miroir se brisa, La compagnie des loups (Jordan), Nanny McPhee. Au milieu des années 80, elle débute à la télévision dans la série Arabesque, une aventure qui va l'occuper pendant une douzaine d'années. Début 2010, à 84 ans, on l'a encore vue sur scène dans A little night music.