Cinéma
Y'a de l'Arrageois ! (6)
5 films à nouveau aujourd'hui, à mi-parcours du festival. Du très attendu avec Guédiguian et Sorogoyen et des productions venues de Serbie, d'Italie et de Turquie. Je continue à penser que cette édition est d'un excellent niveau.
Gloria Mundi, Robert Guédiguian, sortie le 27 novembre
Gloria Mundi est sans nul doute l'un des films les plus sombres et les moins porteurs d'espoir de Guédiguian. On y voit même le personnage le plus antipathique de toute sa filmographie, incarné avec un talent certain et convaincant par Grégoire Leprince-Ringuet. Nous sommes bien en terrain connu, dans la bonne ville de Marseille, mais l'heure n'est guère à l'optimisme en cette époque cruelle où les valeurs de solidarité et d'entraide, si présentes dans le cinéma de Guédiguian, volent en éclat, notamment pour la nouvelle génération, comme laminées par l'égoïsme et l'arrivisme forcené du modèle libéral. Le cinéaste surfe sur les vagues de l'amer dans un film qui raconte comme toujours la société via une famille cette fois-ci très disparate dans les comportements. Au sein celle-ci sur laquelle se concentre Gloria Mundi, tous les membres ressortent pétris d'une grande ambigüité, les plus anciens semblant désabusés et peu enclins au militantisme d'hier, à l'exception de celui qui sort de prison, amateur de haïkus, innocent à l'opposé des autres et qui a l'air d'un ange immaculé. Un film noir comme le désespoir mais tout aussi passionnant et remarquablement construit que la quasi totalité des longs-métrages de Guédiguian.
Madre, Rodrigo Sorogoyen, sortie le 22 avril 2020
Après son court-métrage Madre, montré en 2017, Rodrigo Sorogoyen a souhaité lui donner une suite, au titre éponyme. Le long-métrage, qui inclut le court, est très différent de ses deux premiers films : Que Dios nos perdone et El Reino avec l'abandon du genre thriller pour un récit dramatique et psychologique, cependant sous-tendu par des ressorts dignes d'un bon suspense. Le portrait féminin de cette mère, que l'on retrouve 10 ans après les faits évoqués dans le court-métrage, laisse planer un certain mystère quant à ses motivations et même son équilibre mental, dans sa relation équivoque avec un adolescent qui constitue la trame principal du film. Cette femme traumatisée et endeuillée, est jouée à la perfection par la frêle Marta Nieto, bien entouré par un casting en majeur partie français puisque l'action est située dans les Landes. Le spectateur, pour une fois, en sait moins que les principaux personnages de l'intrigue qui connaissent tous cette femme surnommée "la folle de la plage." Cela donne une atmosphère étrange à Madre, qui s'apparente parfois à de la frustration voire à de l'agacement, avec un certain sentiment de répétition dans la narration du film. Qui reste cependant fascinant par l'élégance de sa mise en scène (l'Atlantique est magnifiquement filmé), ses dialogues subtils et ses passages fluides entre le français et l'espagnol. Madre n'est pas une déception, juste un nouvel aspect de la virtuosité de Rodrigo Sorogoyen, sans doute le talent le plus pur qui ait émergé d'Espagne ces dernières années.
Ajvar, Ana Maria Rossi, Serbie
Ajvar : purée de poivron et d'aubergine qui est très populaire dans les pays des Balkans et se trouve communément dans les valises des Serbes qui vivent à l’étranger. Le titre du premier film d'Ana Maria Rossi symbolise par ce terme culinaire le mal du pays, qui est l'un des thèmes du long-métrage, le plus léger en opposition avec l'autre thème, davantage empreint de mélancolie et de dureté, qui est celui de l'usure du couple pour des quadragénaires à la réussite sociale avérée. Les différents personnages de Ajvar sont loin d'être inintéressants, notamment le couple central, mais ils sont traités en surface sans que ne ressortent autre chose qu'une grande amertume et lassitude. La mise en scène de la réalisatrice serbe n'est pas non plus très dynamique et elle ne s'est pas facilitée la tâche en multipliant les scènes de repas qui donnent parfois des dialogues enlevés mais restent dans l'ensemble plutôt statiques. L'ambiance est assez théckhovienne, euphémisme pour dire qu'elle est à la lisière de l'ennui, alors que quelques embardées vers la comédie corrosive prouvent que le film aurait pu largement gagner en intérêt avec davantage d'audace pour montrer des individus assez imbus d'eux-mêmes et presque obligés par la société qui les entoure qu'ils ont "réussi" dans la vie.
Un'avventura, Marco Danieli, Italie
Pour ceux qui ont pu voir son premier long-métrage, L'affranchie (La ragazza del mondo), la découverte du deuxième film de Marco Danieli, Un'avventura, est une vraie surprise avec un changement radical de registre. Après le drame intimiste place à la comédie musicale ultra romantique, dans un film articulé autour de 12 chansons de Lucio Battisti qui rythment l'histoire d'amour mouvementée, sur plusieurs années, entre un garçon et une fille des Pouilles, bien faits de leur personne et sous tous rapports. Rien de novateur dans le récit qui est finalement digne d'un roman-photos avec promesses, mariage, adultère, séparation ... mais une belle énergie et une certaine classe dans les scènes chorégraphiées et chantées. Situé dans l'Italie des années 70, le film évoque de façon épisodique le mouvement hippie et le féminisme mais sans trop insister, le thème majeur étant l'amour dans toutes ses composantes. Un'avventura ne manque pas de charme, surtout grâce à son interprète féminine, Laura Chiatti, à condition de laisser libre cours au côté fleur bleue de chacun.
Passed by censor (Görülmüstür), Serhat Karaaslan, Turquie
Zakir travaille au service de contrôle du courrier à la prison d'Istanbul. En parallèle, il suit des cours d'écriture. Pour un esprit romanesque comme le sien, le télescopage des deux activités pourrait bien déboucher sur une quête obsessionnelle, au demeurant excitante si l'épouse d'un prisonnier en était la cause. Avec ce postulat intrigant, le premier film de Serhat Karaaslat part sur d'excellentes bases et se développe sur un tempo moderato vers un dénouement que l'on pressent dramatique. Ce qui ne sera pas le cas mais qu'importe. Plus qu'une radiographie des prisons turques, malgré quelques allusions discrètes aux exactions qui s'y commettent, le film est aussi obstiné que son héros, le suivant pas à pas, dans ses relations soumises avec ses collègues ou dans ses conflits incessants avec sa mère. Le portrait de ce solitaire qui s'évade (c'est le cas de le dire) via son imagination foisonnante et dangereuse ne manque pas de sel mais peut-être un peu de piment pour être totalement réussi.
Y'a de l'Arrageois ! (5)
Rythme de croisière : 5 films au menu. Dont un chypriote, ce qui n'est pas commun. Mais mes préférences du jour vont plutôt à des productions néerlandaise et finlandaise.
Aurora, Miia Tervo, Finlande
La comédie romantique s'adapte à toutes les températures, y compris les plus froides, par exemple en Laponie finlandaise. Il ne faut pas croire que ses habitants ne sont pas chauds, revigorés par des alcools forts et la fameuse alternance sauna/eau glacée. Aurora, l'héroïne du premier film de Miia Tervo, native de Rovaniemi, est du genre bourrasque, incapable de se fixer, sentimentalement parlant, et soumise à de brusques dysfonctionnements dues à l'absorption excessive de produits mauvais pour la santé. Elle a bien évidemment à l'opposé du réfugié iranien qu'elle rencontre par hasard et c'est la raison pour laquelle la comédie romantique peut se mettre en branle avec moult obstacles à la clé. Le rythme d'Aurora est endiablé, riche en situations décapantes et en personnages hauts en couleur, avec un humour corrosif pas toujours subtil mais efficace. Le film tourne moins bien quand il s'agit de passer à des scènes mélancoliques voire dramatiques mais ces tunnels ne sont pas très longs et c'est la bonne humeur qui emporte le morceau dans ce feel good movie enneigé.
Maternal, Maura Delpero, Argentine, sortie le 8 avril 2020
Après deux documentaires, pour son premier long-métrage de fiction, l'italienne Maura Delpero a choisi un sujet librement inspiré par son expérience de 4 ans au sein d'un hogar argentin, c'est à dire un couvent pour filles-mères tenu par des bonnes sœurs. Dans ce refuge, les conflits sont latents et tournent autour de la question de cet instinct que l'on appelle maternel et qui existe aussi, sous une forme plus ou moins consciente, chez les nonnes. Il y a beaucoup de subtilité dans Maternal, peut-être trop, et son vrai sujet tarde à apparaître. Le film conserve cependant sa douceur et sa bienveillance tout du long alors qu'il suffirait de peu de choses pour qu'un drame surgisse. Film de femmes, exclusivement, Maternal est principalement joué par des actrices non-professionnelles mais remarquables, ce qui lui donne sans conteste un grand parfum de vérité.
Where is Hendrix ? (Smuggling Hendrix), Marios Piperides, Chypre, 4 mars 2020
Le mur de Berlin est tombé mais celui de Nicosie, toujours pas, séparant les communautés grecque et turque de Chypre (l'Etat auto-proclamé de Chypre du Nord n'est reconnu par aucun pays, hormis la Turquie). Sujet épineux que le cinéaste chypriote Marios Piperides a eu la bonne idée de traiter en comédie politique, prouvant s'il en était besoin l'absurdité d'une situation figée depuis plus de 40 ans. Le film prend prétexte des pérégrinations d'un chien bâtard nommé Jimi pour nous faire cheminer des deux côtés du mur en ajoutant quelques ingrédients assez savoureux pour pimenter son intrigue. Le ton est donc à la légèreté dans un contexte grave et Where is Hendrix a suffisamment de péripéties à raconter pour que le résultat soit des plus plaisants. Il y a bien quelques sautes de rythme de ci, de là, mais le film, dans son ensemble, ne manque pas de chien. Les métrages chypriotes ne courent pas les rues, c'est déjà une bonne raison pour découvrir Where is Hendrix qui a de plus le mérite d'expliquer clairement un problème géopolitique qui semble insoluble.
Fight Girl (Vechtmeisje), Johan Timmers, Pays-Bas
Des jeunes de 12 à 14 ans, dans 55 villes à travers l'Europe et au-delà, ont choisi Fight Girl, le film de Johan Timmers, comme lauréat de l'EFA Young Audience Award. Et la récompense est pleinement mérité pour ce feel good movie néerlandais dont la pensée positive n'est pas sans rappeler The Full Monty ou Billy Eliott, avec un petit côté Rocky en plus, puisqu'il y est question de kickboxing. Les spectateurs plus âgés ont aussi le droit de prendre leur ticket et d'apprécier ce film amusant et émouvant bien qu'il soit cousu de fil blanc depuis le départ. Bien sûr que le dénouement heureux est prévisible mais pourquoi se priver d'une belle leçon de ténacité et de courage autour de son héroïne adolescente remplie de colère à cause d'une situation familiale compliquée ? Le vrai plus est la grande qualité du film quand il s'agit de filmer des combats sur le ring. D'intenses moments où le pugilat est plus que jamais une métaphore des difficultés de la vie. Aussi à l'aise au naturel qu'en combattante, la jeune actrice Aiko Beemsterboer s'incarne en une petite guerrière aussi impressionnante que touchante.
Seules les bêtes, Dominik Moll, sortie le 4 décembre
Ce n'est pas un secret, depuis Harry, un ami qui vous veut du bien, Dominik Moll représente un cinéma qui se caractérise par une mécanique scénaristique bien huilée qui privilégie la montée des tensions jusqu'à l'extrême. Seules les bêtes est dans cette lignée avec une construction très habile qui fait passer d'un personnage à un autre en 5 chapitres et autant d'histoires amoureuses, toutes enchevêtrées, chacune d'entre elles apportant des éléments nouveaux pour que le puzzle soit totalement reconstitué. Malgré la maîtrise technique et narrative de Seules les bêtes, il y a tout de même un bémol majeur : la part importante de coïncidences qui rend possible l'ordonnancement des faits, l'une d'entre elles (la fille qui fait de l'auto-stop) paraissant tout de même énorme même si l'un des personnages du film prétend que le hasard est plus fort que tout. Dans la même optique, le dénouement, en forme de clin d'oeil, est pareillement too much. La vision d'une certaine jeunesse africaine, avec la délinquance numérique, peut poser également un problème qui ne manquera pas d'être relevé, comme étant un regard réducteur et orienté d'un esprit européen. Toutes ces questions de vraisemblance et d'attitude font que la belle mécanique n'est peut-être pas aussi parfaite qu'elle souhaiterait l'être.
Y'a de l'Arrageois ! (4)
Il fallait bien que cela arrive : oui, je n'ai vu que 4 films aujourd'hui et non, ils n'étaient pas au même niveau que ceux des jours précédents. Mais c'était bien quand même !
Made in Bangladesh, Rubaiyat Hossain, Bangladesh, sortie le 4 décembre
L'histoire de Made in Bangladesh a déjà été racontée au cinéma mais c'était dans un autre pays (l'Angleterre, par exemple) et à une époque différente. Il y est question de travailleuses exploitées qui découvrent la solidarité et se heurtent à toutes les difficultés possibles pour défendre leurs droits en se syndiquant. Et ce, dans une société patriarcale où s'exprimer en tant que femme est déjà un crime de lèse-autorité. L'air est connu, oui, mais la chanson prend de nouvelles couleurs dès lors que Made in Bangladesh nous parle d'aujourd'hui, dans un contexte de mondialisation qui donne encore plus de poids au contexte du monde du travail, en particulier dans l'industrie textile, dans un pays symbole du sud-est asiatique. Le fil narratif du film est simple mais très efficace avec une héroïne qui décide de ne plus se laisser faire et qui entraîne les autres autour d'elle. Conditions de travail dans l'atelier, difficultés avec un mari dont le pouvoir est sapé, tracasseries administratives de toutes sortes : le chemin est long et dangereux. Made in Bangladesh, outre le réalisme de son récit, réussit parfaitement à lui donner un caractère romanesque, suscitant l'adhésion sans faille du spectateur. "Nous sommes des femmes. Fichues si l'on est mariée. Fichue si on ne l'est pas.", déclarent-elles ! Oui, mais aussi des combattantes qui veulent changer leur monde. Si seulement le message de Made in Bangladesh pouvait le faire avancer un peu le notre !
La communion (Boze Cialo), Jan Komasa, Pologne, sortie le 5 février 2020
L'histoire est incroyable mais vraie. En Pologne, un garçon de 19 ans, censé travailler dans une menuiserie en guise de réhabilitation après un crime, a remplacé pendant plusieurs semaines un prêtre de campagne y compris lors des offices religieux. Cette affaire d'imposture est racontée dans La communion par Jan Komasa, réalisateur polonais qui s'est imposé en deux films seulement, avec une efficacité remarquable, en mettant l'accent sur le charisme de son personnage interprété avec un réalisme presque inquiétant par le jeune Bartosz Bielenia, sûrement une graine de star. Loin d'être un brûlot contre la religion, La communion s'immisce dans une petite communauté avec subtilité, montrant de quelle manière ce faux homme d'Eglise parvient à se faire accepter voire même à fasciner lors de ses prêches. Plus intéressant encore, le film rend très complexe la psychologie de l'imposteur, partagé entre sa nature violente, son désir de rédemption et son excitation à tenir une population en son pouvoir. Remarquablement rythmé, non dénué d'humour corrosif, La communion est un film hautement recommandable, urbi et orbi.
When the trees fall (Koly padayut dereva), Marysia Nikitiuk, Ukraine
When the trees fall, de l'ukrainienne Marysia Nikitiuk, est le prototype même du premier film où l'auteur(e) souhaite démontrer son talent, quitte à en faire des tonnes pour qu'il n'y ait aucun doute. Faisons l'état des lieux : When the trees fall est assez souvent hystérique, se nimbe d'un onirisme vaporeux dès que possible, ne rechigne pas à être crû en matière de sexe et adopte une narration confuse où plusieures intrigues se mêlent sans que l'une d'entre elles ne prenne la première place. A priori, le film est censé être une histoire d'amour entre une jeune femme rebelle et un jeune ténébreux, très voyou. Quant à l'homme que l'héroïne doit épouser, il est laid, falot et stupide. Mais de digressions en envolées esthétisantes, le film ne parvient jamais à capter l'attention, malgré sa vaine tentative de se référer à Tchekhov, Zviaguintsev et Tarkovski, entre autres références plus ou moins avouées. Le film a été présenté à la Berlinale en 2018 mais n'a fait que relativement peu d'apparitions dans d'autres festivals et il n'est pas sorti ailleurs qu'en Ukraine. Sans vouloir accabler sa réalisatrice, quelqu'un pourrait peut-être lui suggèrer un peu plus de simplicité pour son prochain long-métrage ?
Lillian, Andreas Horvath, Autriche, sortie le 11 décembre
Comme pourraient le dire certains cuistres : Lillian est une singulière proposition cinématographique. L'histoire de Lillian Helling, qui dans les années 1920 a tenté de rentrer en Russie à pied en partant de New York, hantait le réalisateur autrichien Andreas Horvath depuis des années. Le tournage et le montage de son film ont finalement pris plus de 3 ans pour un résultat qui laisse à la fois fasciné et frustré. Le film ne raconte pas le véritable périple de Lillian mais s'en est inspiré pour imaginer un voyage de part en part dans les Etats-Unis d'aujourd'hui d'une autre jeune femme dont on ne saura rien de la vie, si ce n'est qu'elle est russe et ne parle pas anglais, ce qui explique qu'elle ne prononce pas un mot pendant plus de deux heures, hormis lors de la scène d'ouverture. C'est un drôle de pays que traverse Lillian, comme désincarné, une Amérique profonde laissée à l'abandon et désertée. La manière dont la jeune femme survit et se nourrit ne ressort pas d'un réalisme forcené mais a quelque chose de sublime dans son obstination. Patrycja Planik, son interprète, qui est omniprésente, réussit à faire passer le sentiment de l'absence et de l'invisibilité au milieu de paysages parfois grandioses. Reste que le film a parfois des allures de reportage de National Geographic et que ses digressions (la chasse à la baleine) interrogent sur le message que le réalisateur souhaitait faire passer.
Y'a de l'Arrageois ! (3)
Une nouvelle journée marathon marquée par l'émotion belge, l'intensité slovène, l'agressivité allemande et l'originalité bulgare.
Lola vers la mer, Laurent Micheli, Belgique, sortie le 11 décembre
Un film belge sur une adolescente transgenre et ses relations avec son père, oui, bien sûr, c'est Girl ! Désormais, c'est aussi Lola vers la mer, de Laurent Micheli, qui offre un traitement totalement différent à un thème qui se prête à de nombreuses variations pour peu que l'écriture du scénario soit à la hauteur. Lola vers la mer est constamment surprenant, désamorçant toutes les figures attendues dans un road movie où l'affrontement entre un père et son fils en voie de devenir fille nous fait peu à peu grimper haut sur l'échelle des émotions. L'histoire est également captivante par les choix de mise en scène qui ne cessent de surprendre, dans le bon sens du terme. La dramaturgie est forte, avec deux points de vue (et de vie) a priori irréconciliables mais le film est réalisé de manière tellement lumineuse et avec une grande maîtrise (voir l'utilisation de la musique) qu'il est tout sauf pesant et montre une tendresse particulière pour tous ses personnages y compris celui que l'on aurait plutôt tendance à rejeter pour son manque de compréhension et d'empathie (le père, évidemment). Mya Bollaers, qui incarne l'adolescente rebelle, est proprement stupéfiante et rivalise avec un Benoît Magimel dont le jeu se bonifie avec les années. En fin de compte, Lola vers la mer ne ressemble en rien à Girl, hormis pour sa comparable grande qualité.
Erased (Izbrisana), Miha Mazzini, Slovénie
C'est un thème bien connu en Slovénie, et toujours d'actualité, qui nourrit Erased, le film de l'écrivaine et scénariste Miha Mazzini. L'histoire individuelle qui est racontée dans le long-métrage est symbolique de très nombreux cas en Slovénie (et dans d'autres pays). Elle est celle d'une femme qui, du jour au lendemain, alors que la guerre fait rage en ex-Yougoslavie, se trouve privée de toute identité sous prétexte qu'elle est native de Serbie. Commence alors un récit ubuesque et kafkaïen dont l'héroïne est victime, rayée des fichiers des ordinateurs de l'administration de son pays où elle vit et enseigne depuis des années. Désormais, légalement, elle n'existe pas. Erased vaut principalement par la force de son sujet, le film ne brillant pas particulièrement par sa mise en scène. Il est remarquablement interprété par Judita Frankovic, sobre dans la retenue émotionnelle et la détermination.
Parking, Tudor Giurgiu, Roumanie
Tudor Giurgiu n'est pas n'importe qui en Roumanie, il est entre autres président de la chaîne de télévision nationale. Et en plus, il tourne, adaptant avec Parking un best-seller roumain. Le récit ne se passe pas dans son pays mais du côté de Cordoue, en Espagne, ce qui permet d'évoquer la qualité d'émigré, ce "coupable de profession." Et en effet, le héros du film, qui a l'ambition de faire son trou dans la littérature, se retrouve plus prosaïquement à veiller sur un vaste parking et à participer aux affaires douteuses de son patron. Il y a aussi dans Parking une histoire d'amour assez originale au moins par la personnalité de ses deux protagonistes mais le film, dénué de rythme et peu inspiré dans sa réalisation, a bien du mal à nous passionner pour cette romance que l'on a même du mal à trouver crédible. Et tout se termine d'ailleurs dans une grande confusion où Giurgiu tente maladroitement de faire se raccorder les thèmes disparates de son récit.
Benni (Systemspringer), Nora Fingscheidt, Allemagne, Sortie le 4 mars 2020
Benni va bientôt avoir 10 ans. C'est une enfant agressive, irascible et incontrôlable qui peut passer en un instant de la plus grande sérénité à un état de furie absolue. Le film de Nora Fingscheidt, qui a obtenu plusieurs prix à Berlin et représente l'Allemagne aux Oscars, est honnête dans sa radicalité : il ne minimise jamais l'état de Benni et son incapacité à s'intégrer dans une quelconque structure (école, famille d'adoption, foyer ...). Les crises de la fillette sont terribles et ne sont pas loin, pour les plus violentes d'entre elles, d'être insoutenables. La question de son insertion dans la société y est posée avec acuité, rendant hommage au passage à tous les travailleurs sociaux qui tentent de résoudre des problèmes insolubles. Pas de concession, pas d'apitoiement : le film va jusqu'au bout de son propos, quitte à choquer par sa violence extrême. Ce cinéma-là, en rien divertissant et qui suscite un certain malaise, a certainement sa place. Il montre des situations qui existent et interroge le spectateur tout en testant sa résistance. Ce n'est pas de tout repos mais force est de constater que son efficacité est redoutable.
Cuban Network, Olivier Assayas, sortie le 22 janvier 2020.
Cuban Network est un film d'espionnage mais n'a pas grand chose à voir avec ce qu'on a l'habitude de voir dans ce genre codifié par les anglo-saxons, principalement. Pourtant quelque chose cloche dans le film d'Olivier Assayas, un certain manque de crédibilité dans l'enchaînement des circonstances, sans doute, alors même que le film se base sur des faits réels qui ne remontent guère qu'à une vingtaine d'années. Malgré un rythme alerte et une limpidité des situations, nonobstant quelques coups de théâtre, il y a quelque chose d'un peu factice dans Cuban Network, à l'instar des accents cubains que l'on sent très travaillés, mais faux, chez Penélope Cruz, Edgar Ramirez et Gael Garcia Bernal qui font leur possible pour faire exister leurs personnages mais sans y réussir totalement (plus convaincante est l'interprétation d'Ana de Armas qui, elle, est vraiment cubaine). Fort divertissant néanmoins, Cuban Network a par ailleurs un grave talon d'Achille : ses dialogues, d'une assez consternante banalité. Assayas n'a pas voulu ou pas su jouer sa partition sur un mode satirique, il aurait peut-être dû.
Irina, Nadejda Koseva, Bulgarie
Le premier film de Nadejda Koseva commence par une soirée passablement agitée pour son héroïne, Irina : en quelques heures, elle est licenciée de son travail, surprend les ébats de sa soeur avec son mari et enfin voit ce dernier gravement accidenté en allant chercher du charbon (il en perd ses deux jambes et pas mal de sa joie de vivre). Après cette entame tragique, le film ne va cesser d'évoluer entre la comédie façon Affreux, sales et méchants, mâtinée d'humour absurde très bulgare, et la chronique sociale avec l'écart abyssal entre les plus riches et les plus démunis. Désormais centré sur une Irina mère porteuse (d'espoir ?), le métrage part sans arrêt dans des directions inattendues, préférant la fantaisie au réalisme et à la psychologie la plus élémentaire. C'est parfois déstabilisant mais assez souvent jubilatoire car subtilement réalisé, en évitant soigneusement les scènes attendues. On retrouve là une veine contemporaine bulgare qui ne manque pas d'attrait comme dans Glory ou Taxi Sofia, par exemple.
Y'a de l'Arrageois ! (2)
Ma première journée marathon. Dans laquelle, ce n'est pas fréquent à Arras, je ne retiendrai pas les films venus d'ailleurs mais 2 productions françaises, qui sortent d'ailleurs très vite : J'accuse et Proxima. Et juste derrière, l'excellent film tunisien, Noura rêve.
Vivre et chanter (Huo zhe chang zhe), Johnny Ma, Chine, sortie le 20 novembre.
Le film de Johnny Ma est un hommage appuyé à l'opéra de Sichuan, voisin de celui de Pékin, avec davantage de chant. Une tradition culturelle qui perd de plus en plus de terrain et semble vouer à devenir opéra fantôme. Tout ce qui est documentaire dans Vivre et chanter est intéressant à suivre ce qui est moins le cas de l'aspect fictionnel que le réalisateur a tenté de sublimer en donnant quelques couleurs baroques à son intrigue dans une opposition systématique entre la Chine ancienne et la nouvelle qui se construit, si l'on ose dire, par les destructions des vieux bâtiments. On voit bien où veut en venir Ma mais son film a le tort d'arriver après de nombreuses productions chinoises qui ont peu ou prou traité ce sujet de l'éradication d'une culture traditionnelle au profit du tourisme et de valeurs bien plus commerciales. Vivre et chanter n'a pas le souffle des grands films de Jia Zhangke ni la verve poétique de certains autres longs-métrages chinois récents. En esthétisant les destructions d'immeubles, le film court-circuite d'ailleurs maladroitement ses intentions.
Noura rêve, Hinde Boujemaa, Tunisie, sortie le 13 novembre
La loi contre l'adultère, en Tunisie, peut valoir jusqu'à 5 ans d'emprisonnement. Cette épée de Damoclès menace les amants de Noura rêve et sert de fil conducteur à un film qui confirme la bonne santé du cinéma du Maghreb et en particulier tunisien. Ce premier long-métrage de fiction de Hinde Boujemaa se caractérise par une écriture exigeante autour d'une sorte de triangle amoureux qui doit composer avec les mensonges pour essayer de sauver ce qui peut l'être sans tomber sous le coup de la loi. Avec Noura rêve, la réalisatrice trace surtout un sensible portrait de femme active, mère de famille et amoureuse dont la vie se complique avec la sortie de prison de son escroc de mari. Le film commence doucement et orchestre une belle montée en puissance qui culmine avec les scènes de commissariat intenses et stressantes. Ce qui est appréciable dans Noura rêve est son absence de manichéisme et la complexité psychologique de chacun de ses trois personnages principaux, aucun n'étant condamné a priori et chacun se débattant avec ses propres contradictions et raisons personnelles, quitte à blesser les autres au passage.
A Shelter among the Clouds (Straha mes reve), Robert Budina, Albanie
La première chose qui frappe dans A Shelter among the Clouds est la beauté de sa photo, due à un chef opérateur roumain mais aussi à la photogénie naturelle des paysages ruraux albanais. Le film vient d'Albanie, en effet, un pays dont les productions cinématographiques ne sont pas légion et presque jamais montrées en Occident. Ce long-métrage, le deuxième de son auteur, prône largement la tolérance religieuse dans une histoire un peu trop directe quant à son message principal et consciencieusement récité dans des situations et des dialogues qui manquent d'ampleur. Le petit village que décrit le réalisateur a un aspect idyllique un peu trop marqué tandis que son héros, un berger qui semble entretenir une connexion directe avec Dieu, ressemble à une gravure de mode, fruste comme il faut pour séduire une jeune scientifique venue de la ville. Le côté littéral du film, sans nuances majeures, n'est pas loin de disqualifier un film par ailleurs agréable à regarder.
J'accuse, Roman Polanski, sortie le 13 novembre
D'un sujet comme l'affaire Dreyfus, il était prévisible que Roman Polanski allait en faire son miel et ne pas manquer, croyait-on, de faire des parallèles avec ses propres démêlés avec la justice et ceux (une certaine frange de "l'opinion publique" qui ne cessent de le condamner sans autre forme de procès. Mais J'accuse peut heureusement se passer de cette lecture réductrice et être pris pour ce qu'il est : un grand film historique, respectueux des faits, pédagogique et passionnant dans son aspect de thriller intransigeant. Le film prend son temps, monte en régime progressivement, et se concentre sur le personnage de Georges Picquard, un homme honnête dont la quête de la vérité était non seulement courageuse mais aussi contraire aux intérêts de l'Armée et partant, de l'ensemble de la société française, traumatisée par la défaite de 1870 et revancharde. Dans quel autre film français a-t-on pu voir une aussi radicale dénonciation de l'antisémitisme qui prévalait dans une grande partie du pays ? La charge est violente mais fidèle à la réalité de l'époque. Pour ceux qui connaissent parfaitement les tenants et aboutissants de l'affaire Dreyfus, il n'y a pas à proprement parler de révélation dans J'accuse mais une solide reconstitution des faits de cette période où la guerre de 14 se prépare déjà, y compris vis-à-vis de l'opinion. Par ailleurs, on y voit le fonctionnement du contre-espionnage français de manière quasi documentaire, avec une ironie sous-jacente dans la façon dont le film montre ses tâtonnements, son inexpérience et ses erreurs commandités. Sans céder au grandiose, Polanski filme cette histoire avec une virtuosité indéniable et limpide, se surpassant dans la direction d'acteurs. Outre Dujardin, parfait, tous les rôles, y compris les plus minces, sont joués avec conviction par des comédiens renommés ou non, avec un égal talent. Une mention spéciale, tout de même, à Gregory Gadebois, extraordinaire et promis à un César du second rôle s'il y a une justice.
Proxima, Alice WInocour, sortie le 27 novembre
Proxima est un film sur une spationaute qui s'apprête à s'envoler pour la plus grande expérience de son existence mais qui nous touche d'abord par l'attraction terrestre pour sa petite fille qu'elle va quitter pour une très longue période. Alice Winocour, dont le cinéma ne laisse jamais indifférent par le choix de ses sujets et leur traitement original (Augustine, Maryland), réussit dans Proxima la très difficile conjonction entre le réalisme documentaire (l'entraînement des spationautes avant leur mission) et l'émotion pure, symbolisée par la relation fusionnelle entre une fillette et sa mère. Un équilibre qui passe par une scène assez peu crédible vers la fin mais qui touche au plus profond. Fascinée depuis son enfance par la conquête de l'espace, la réalisatrice a choisi de rester les pieds sur terre pour rappeler que l'intensité des sentiments humains valent toujours largement plus que n'importe quels effets spéciaux. Et sa sensibilité la pousse très loin sans pour autant verser dans l'impudeur ou les débordements lacrymaux. C'est peu de dire qu'on n'a jamais vu Eva Green jusqu'alors aussi touchante et mise à nu devant une fillette prodigieuse, Zélie Boulant-Lemesle, qui joue avec un naturel stupéfiant sur toutes les palettes sans jamais s'apparenter à un singe savant. Il serait tentant de parler de Proxima comme d'un film de "femme" mais il serait dommage que les hommes le dédaignent. Ils risquent fort, eux aussi, d'être bouleversés par ce lien, aussi rarement montré de cette façon, qui existe entre une mère et son enfant.
Il campione, Leonardo d'Agostini, Italie.
La comédie italienne n'est pas morte, elle se renouvelle en s'appropriant de nouveaux personnages et des situations qui n'existaient pas il y a 20 ans. Avec Il campione, Leonardo d'Agostini s'attaque aux nouvelles stars du football qui dès leur plus jeune âge deviennent des icônes et empochent des millions d'euros chaque mois sans avoir le moindre gramme de raison (d'intelligence ?) dans la tête. Il campione déroule alors un schéma classique avec le choc des cultures et des personnalités avec l'une de ces idoles confronté à un professeur entre deux âges, loser et ringard, qui n'a jamais mis les pieds dans un stade. Le film est divertissant, souvent amusant mais il entasse les clichés sans répit, grossissant le trait et empruntant surtout une véritable autoroute narrative où l'on peut prévoir à l'avance les coups de théâtre. Accordons tout de même à Il campione une certaine qualité de mise en images, les matches de football étant pour une fois correctement filmés, et une interprétation de bon niveau avec Stefano Accorsi, toujours excellent, et Andrea Carpenzano (vu dans Frères de sang), crédible et charismatique.
La semaine d'un cinéphile (153)
Lundi 4 novembre 2019
La fille aux yeux d'or n'est plus. De la longue filmographie de Marie Laforêt, je retiens subjectivement les films tournés avec son mari, Albicoco, dont le bancal mais original Le rat d'Amérique.
Mardi 5 novembre
René Clair est enfin de retour (articles dans les magazines de cinéma, sorties DVD). Très bien, mais je n'arrive toujours pas à voir le très rare Fausses nouvelles (Break the News) !
Mercredi 6 novembre
Comme attendu, Et puis nous danserons et L'audition ne sont pas disponibles dans ma ville. Je me contenterais donc de Adults in the Room, pour l'instant.
Jeudi 7 novembre
Demain commence l'Arras Film Festival. Parmi mes attentes les plus fortes figure un film chypriote pour découvrir une cinématographie rarissime sur nos écrans.
Et maintenant, place à l'Arras Film Festival. Y'a de l'arrageois !
Y'a de l'Arrageois ! (1)
La 20ème édition de l'Arras Film Festival est lancée. Avant le marathon, qui débute véritablement demain, tout commence, comme de bien entendu, par la séance d'ouverture avec Notre dame de Valérie Donzelli.
Notre dame, Valérie Donzelli, France, sortie le 18 décembre
Il parait que dans la vie, Valérie Donzelli est une vraie bourrasque, une femme moderne qui essaie de concilier les registres professionnel et privé avec une désorganisation parfaite. Notre dame, son cinquième film, est à son image, rapide et surprenant, avec une grande fantaisie qui tente de dissimuler une profonde mélancolie. Le titre du film a à voir avec la cathédrale, pas avec l'incendie qui a eu lieu juste après la fin du tournage, mais "dame", écrit sans majuscule, renvoie aussi à un portrait de femme, incarnée par Valérie Donzelli, avec une énergie et une conviction qui rappelle le genre de rôles dans lesquels excelle une Karine Viard, par exemple. Le film est coscénarisé par Benjamin Charbit, l'un des auteurs d'En liberté! de Salvadori et l'on retrouve cette même vivacité au service d'une histoire qui tient beaucoup du réalisme magique avec quelques scènes proches du fantastique et au moins une autre qui relève du genre musical. Si on y ajoute une voix off qui sort de nulle part et son côté collage, Notre dame ne ressemble à rien d'autre qu'à un film de Valérie Donzelli avec beaucoup d'audace dans sa besace et quelques maladresses narratives pour un peu doucher l'enthousiasme. Le casting est affriolant (Deladonchamps, Scimeca, Lanners, Ledoyen, Katerine) mais la part accordée à chacun est trop chiche pour qu'on ne ressente pas une certaine frustration. Un film imparfait, donc, mais agréable à l'oeil et qui en dit beaucoup sur notre époque, notre rapport à l'art, au couple et à la réussite sociale.
Vertiges du passé (La belle époque)
D'une certaine manière, Nicolas Bedos est un "vieux" cinéaste, alors qu'il n'a que 40 ans et deux longs-métrages à son actif. Oui, vieux sage, si l'on préfère, qui non seulement semble pratiquer la grammaire du cinéma depuis des lustres mais qui porte également un regard d'une lucidité redoutable sur le temps qui passe, l'usure du couple, la nostalgie de la jeunesse, etc. C'était vrai dans l'excellent Monsieur et Madame Adelman et c'est encore le cas dans La belle époque, qui permet à son héros de revivre les plus beaux moments de sa vie, quand celle-ci est encore à écrire et à imaginer. Le goût de Bedos pour le grand romanesque et sa capacité à écrire des dialogues acérés se mêlent à une intrigue vertigineuse, semi-fantastique, mais ironique quant au genre proprement dit et uniquement là au service d'un récit mélancolique d'un temps où les portables, internet et la réalité virtuelle n'existaient pas. Passéiste, Bedos ? Oui, c'est vrai, mais avec style et panache puisque c'était toujours mieux avant. Pour autant, dans les coups d'épingle portées à notre soi-disant modernité, ce n'est pas à The Truman Show qu'il faut se référer mais plutôt à un Bertrand Blier de la meilleure période, dont le sens de l'absurde toujours lié à nos contradictions et errements d'humains roseaux pensants se retrouve dans La belle époque. Tendresse et cruauté du regard et évocation visuelle splendide des années 70, tout est question d'équilibre et d'alchimie et, peut-être à l'exception de l'entame du film, un peu brouillonne, Nicolas Bedos trouve le dosage parfait, comme un vieux (encore !) briscard goguenard. On lui sait gré aussi, et ce n'est pas rien, de nous avoir rendu Daniel Auteuil à son statut d'acteur au talent protéiforme et surtout d'avoir sublimé Fanny Ardant, enfin sortie de ses rôles d'éternelle ténébreuse. Quant à la formidable Doria Tillier, La belle époque est bien évidemment une nouvelle déclaration d'amour à son intention. Mais ceci ne nous regarde pas et l'important est qu'elle n'est pas plus avare de son talent que dans Yves, par exemple, ou Monsieur et Madame Adelman.
Classement 2019 : 39/219
Le réalisateur :
Nicolas Bedos est né le 21 avril 1979 à Neuilly-sur-Seine. Il a réalisé Monsieur et Madame Adelman.
Cuisine grecque (Adults in the Room)
Il était légitime de se demander si le sujet de Adults in the Room possédait un véritable caractère cinématographique, même entre les mains d'un cinéaste aussi talentueux que Costa-Gavras, enfin de retour dans son pays natal. La réponse, sur l'écran, n'est pas totalement convaincante car le film se compose presque uniquement de débats et d'échanges autour de la dette grecque et de la pression insoutenable (le chantage ?) exercée par les instances européennes sur le gouvernement d'un pays au bord du gouffre. C''est une édifiante leçon politique et économique que le film transmet mais elle est souvent austère malgré la qualité de la mise en scène et son côté thriller, rythmé par des airs de sirtaki. Une cuisine grecque à l'étouffée dont la densité et l'intensité subjuguent mais qui n'est pas loin de se révéler indigeste. Reste que le film est l'occasion de pénétrer au plus près du système européen avec ses lignes de force, son pays mâle dominant (l'Allemagne) et les courants qui le traversent, avec ce mépris presque teinté de racisme vis-à-vis d'une contrée comme la Grèce, stigmatisée pour son caractère méditerranéen. Au milieu des arguties et des négociations sans fin, le film est presque sauvé par la prestance et le charisme de l'interprète principal, Christos Loulis. Et, en fin de compte, même si l'on ne maîtrise pas complètement les tenants et aboutissants du MoU, Adults in the Room a des vertus pédagogiques dans cette vision d'une Europe cynique, libérale à tout crin et pressurant les plus faibles de ses membres. De là à attendre avec impatience un prochain film sur la genèse et les conséquences du Brexit, non, quand même pas.
Classement 2019 : 111/218
Le réalisateur :
Costa-Gavras est né le 10 février 1933 à Loutra-Traias (Grèce). Il a réalisé 19 films dont Z, L'aveu, Missing et Amen.
Azincourt morne plaine (Le Roi)
Si la bataille d'Azincourt est aussi célèbre, elle le doit au moins autant, sinon plu,s au théâtre de Shakespeare qu'aux livres d'Histoire. Le dramaturge s'est d'ailleurs permis pas mal d'entorses à la réalité que les adaptations de Laurence Olivier, de Kenneth Branagh, et aujourd'hui de David Michôd, ont repris sans sourciller. Comme par exemple la présence du dauphin de France, ridiculisé dans Le Roi, qui n'était pas présent à Azincourt. Mais au-delà de ces approximations historiques, le film de David Michôd est assez passionnant à suivre, rappelant finalement son tout premier long-métrage, Animal Kingdom, tourné dans son Australie natale, par des thématiques telles que la famille, la communauté ou la violence. Le portrait de Henri V, très idéalisé, est celui de la schizophrénie d'un jeune homme écartelé entre son humanisme et la nécessité de montrer son intransigeance royale. Le deuxième aspect prenant le pas sur le premier dans la morne plaine d'Azincourt. Michôd, qui a écrit le film avec Joel Edgerton (excellent par ailleurs dans le rôle de Falstaff) impressionne à nouveau par la puissance de sa mise en scène qui ne servait pas à grand chose dans son dernier film en date, War Machine. S'il est vrai que la tension retombe quelque peu après la bataille d'Azincourt, Henri V reste tout de même d'une excellente facture avec le regret de ne pouvoir en profiter pleinement sur un grand écran de cinéma. L'interprétation est globalement solide même si Chalamet est plus convaincant en jeune garçon frêle qu'en chef de guerre. Quant à Lily-Rose Depp et surtout Robert Pattinson, mieux vaut passer sous silence leurs prestations.
Classement 2019 : 45/217
Le réalisateur :
David Michôd est né le 30 août 1972 à Sidney. Il a réalisé Animal Kingdom, The Rover et War Machine.