Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Y'a de l'Arrageois ! (6)

 

5 films à nouveau aujourd'hui, à mi-parcours du festival. Du très attendu avec Guédiguian et Sorogoyen et des productions venues de Serbie, d'Italie et de Turquie. Je continue à penser que cette édition est d'un excellent niveau.

 

Gloria Mundi, Robert Guédiguian, sortie le 27 novembre

 

 

Gloria Mundi est sans nul doute l'un des films les plus sombres et les moins porteurs d'espoir de Guédiguian. On y voit même le personnage le plus antipathique de toute sa filmographie, incarné avec un talent certain et convaincant par Grégoire Leprince-Ringuet. Nous sommes bien en terrain connu, dans la bonne ville de Marseille, mais l'heure n'est guère à l'optimisme en cette époque cruelle où les valeurs de solidarité et d'entraide, si présentes dans le cinéma de Guédiguian, volent en éclat, notamment pour la nouvelle génération, comme laminées par l'égoïsme et l'arrivisme forcené du modèle libéral. Le cinéaste surfe sur les vagues de l'amer dans un film qui raconte comme toujours la société via une famille cette fois-ci très disparate dans les comportements. Au sein celle-ci sur laquelle se concentre Gloria Mundi, tous les membres ressortent pétris d'une grande ambigüité, les plus anciens semblant désabusés et peu enclins au militantisme d'hier, à l'exception de celui qui sort de prison, amateur de haïkus, innocent à l'opposé des autres et qui a l'air d'un ange immaculé. Un film noir comme le désespoir mais tout aussi passionnant et remarquablement construit que la quasi totalité des longs-métrages de Guédiguian.

 

Madre, Rodrigo Sorogoyen, sortie le 22 avril 2020

 

 

 

Après son court-métrage Madre, montré en 2017, Rodrigo Sorogoyen a souhaité lui donner une suite, au titre éponyme. Le long-métrage, qui inclut le court, est très différent de ses deux premiers films : Que Dios nos perdone et El Reino avec l'abandon du genre thriller pour un récit dramatique et psychologique, cependant sous-tendu par des ressorts dignes d'un bon suspense. Le portrait féminin de cette mère, que l'on retrouve 10 ans après les faits évoqués dans le court-métrage, laisse planer un certain mystère quant à ses motivations et même son équilibre mental, dans sa relation équivoque avec un adolescent qui constitue la trame principal du film. Cette femme traumatisée et endeuillée, est jouée à la perfection par la frêle Marta Nieto, bien entouré par un casting en majeur partie français puisque l'action est située dans les Landes. Le spectateur, pour une fois, en sait moins que les principaux personnages de l'intrigue qui connaissent tous cette femme surnommée "la folle de la plage." Cela donne une atmosphère étrange à Madre, qui s'apparente parfois à de la frustration voire à de l'agacement, avec un certain sentiment de répétition dans la narration du film. Qui reste cependant fascinant par l'élégance de sa mise en scène (l'Atlantique est magnifiquement filmé), ses dialogues subtils et ses passages fluides entre le français et l'espagnol. Madre n'est pas une déception, juste un nouvel aspect de la virtuosité de Rodrigo Sorogoyen, sans doute le talent le plus pur qui ait émergé d'Espagne ces dernières années.

 

Ajvar, Ana Maria Rossi, Serbie

 

 

Ajvar : purée de poivron et d'aubergine qui est très populaire dans les pays des Balkans et se trouve communément dans les valises des Serbes qui vivent à l’étranger. Le titre du premier film d'Ana Maria Rossi symbolise par ce terme culinaire le mal du pays, qui est l'un des thèmes du long-métrage, le plus léger en opposition avec l'autre thème, davantage empreint de mélancolie et de dureté, qui est celui de l'usure du couple pour des quadragénaires à la réussite sociale avérée. Les différents personnages de Ajvar sont loin d'être inintéressants, notamment le couple central, mais ils sont traités en surface sans que ne ressortent autre chose qu'une grande amertume et lassitude. La mise en scène de la réalisatrice serbe n'est pas non plus très dynamique et elle ne s'est pas facilitée la tâche en multipliant les scènes de repas qui donnent parfois des dialogues enlevés mais restent dans l'ensemble plutôt statiques. L'ambiance est assez théckhovienne, euphémisme pour dire qu'elle est à la lisière de l'ennui, alors que quelques embardées vers la comédie corrosive prouvent que le film aurait pu largement gagner en intérêt avec davantage d'audace pour montrer des individus assez imbus d'eux-mêmes et presque obligés par la société qui les entoure qu'ils ont "réussi" dans la vie.

 

Un'avventura, Marco Danieli, Italie

 

 

Pour ceux qui ont pu voir son premier long-métrage, L'affranchie (La ragazza del mondo), la découverte du deuxième film de Marco Danieli, Un'avventura, est une vraie surprise avec un changement radical de registre. Après le drame intimiste place à la comédie musicale ultra romantique, dans un film articulé autour de 12 chansons de Lucio Battisti qui rythment l'histoire d'amour mouvementée, sur plusieurs années, entre un garçon et une fille des Pouilles, bien faits de leur personne et sous tous rapports. Rien de novateur dans le récit qui est finalement digne d'un roman-photos avec promesses, mariage, adultère, séparation ... mais une belle énergie et une certaine classe dans les scènes chorégraphiées et chantées. Situé dans l'Italie des années 70, le film évoque de façon épisodique le mouvement hippie et le féminisme mais sans trop insister, le thème majeur étant l'amour dans toutes ses composantes. Un'avventura ne manque pas de charme, surtout grâce à son interprète féminine, Laura Chiatti, à condition de laisser libre cours au côté fleur bleue de chacun.

 

Passed by censor (Görülmüstür), Serhat Karaaslan, Turquie

 

 

Zakir travaille au service de contrôle du courrier à la prison d'Istanbul. En parallèle, il suit des cours d'écriture. Pour un esprit romanesque comme le sien, le télescopage des deux activités pourrait bien déboucher sur une quête obsessionnelle, au demeurant excitante si l'épouse d'un prisonnier en était la cause. Avec ce postulat intrigant, le premier film de Serhat Karaaslat part sur d'excellentes bases et se développe sur un tempo moderato vers un dénouement que l'on pressent dramatique. Ce qui ne sera pas le cas mais qu'importe. Plus qu'une radiographie des prisons turques, malgré quelques allusions discrètes aux exactions qui s'y commettent, le film est aussi obstiné que son héros, le suivant pas à pas, dans ses relations soumises avec ses collègues ou dans ses conflits incessants avec sa mère. Le portrait de ce solitaire qui s'évade (c'est le cas de le dire) via son imagination foisonnante et dangereuse ne manque pas de sel mais peut-être un peu de piment pour être totalement réussi.

 



13/11/2019
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