Y'a de l'Arrageois ! (3)
Une nouvelle journée marathon marquée par l'émotion belge, l'intensité slovène, l'agressivité allemande et l'originalité bulgare.
Lola vers la mer, Laurent Micheli, Belgique, sortie le 11 décembre
Un film belge sur une adolescente transgenre et ses relations avec son père, oui, bien sûr, c'est Girl ! Désormais, c'est aussi Lola vers la mer, de Laurent Micheli, qui offre un traitement totalement différent à un thème qui se prête à de nombreuses variations pour peu que l'écriture du scénario soit à la hauteur. Lola vers la mer est constamment surprenant, désamorçant toutes les figures attendues dans un road movie où l'affrontement entre un père et son fils en voie de devenir fille nous fait peu à peu grimper haut sur l'échelle des émotions. L'histoire est également captivante par les choix de mise en scène qui ne cessent de surprendre, dans le bon sens du terme. La dramaturgie est forte, avec deux points de vue (et de vie) a priori irréconciliables mais le film est réalisé de manière tellement lumineuse et avec une grande maîtrise (voir l'utilisation de la musique) qu'il est tout sauf pesant et montre une tendresse particulière pour tous ses personnages y compris celui que l'on aurait plutôt tendance à rejeter pour son manque de compréhension et d'empathie (le père, évidemment). Mya Bollaers, qui incarne l'adolescente rebelle, est proprement stupéfiante et rivalise avec un Benoît Magimel dont le jeu se bonifie avec les années. En fin de compte, Lola vers la mer ne ressemble en rien à Girl, hormis pour sa comparable grande qualité.
Erased (Izbrisana), Miha Mazzini, Slovénie
C'est un thème bien connu en Slovénie, et toujours d'actualité, qui nourrit Erased, le film de l'écrivaine et scénariste Miha Mazzini. L'histoire individuelle qui est racontée dans le long-métrage est symbolique de très nombreux cas en Slovénie (et dans d'autres pays). Elle est celle d'une femme qui, du jour au lendemain, alors que la guerre fait rage en ex-Yougoslavie, se trouve privée de toute identité sous prétexte qu'elle est native de Serbie. Commence alors un récit ubuesque et kafkaïen dont l'héroïne est victime, rayée des fichiers des ordinateurs de l'administration de son pays où elle vit et enseigne depuis des années. Désormais, légalement, elle n'existe pas. Erased vaut principalement par la force de son sujet, le film ne brillant pas particulièrement par sa mise en scène. Il est remarquablement interprété par Judita Frankovic, sobre dans la retenue émotionnelle et la détermination.
Parking, Tudor Giurgiu, Roumanie
Tudor Giurgiu n'est pas n'importe qui en Roumanie, il est entre autres président de la chaîne de télévision nationale. Et en plus, il tourne, adaptant avec Parking un best-seller roumain. Le récit ne se passe pas dans son pays mais du côté de Cordoue, en Espagne, ce qui permet d'évoquer la qualité d'émigré, ce "coupable de profession." Et en effet, le héros du film, qui a l'ambition de faire son trou dans la littérature, se retrouve plus prosaïquement à veiller sur un vaste parking et à participer aux affaires douteuses de son patron. Il y a aussi dans Parking une histoire d'amour assez originale au moins par la personnalité de ses deux protagonistes mais le film, dénué de rythme et peu inspiré dans sa réalisation, a bien du mal à nous passionner pour cette romance que l'on a même du mal à trouver crédible. Et tout se termine d'ailleurs dans une grande confusion où Giurgiu tente maladroitement de faire se raccorder les thèmes disparates de son récit.
Benni (Systemspringer), Nora Fingscheidt, Allemagne, Sortie le 4 mars 2020
Benni va bientôt avoir 10 ans. C'est une enfant agressive, irascible et incontrôlable qui peut passer en un instant de la plus grande sérénité à un état de furie absolue. Le film de Nora Fingscheidt, qui a obtenu plusieurs prix à Berlin et représente l'Allemagne aux Oscars, est honnête dans sa radicalité : il ne minimise jamais l'état de Benni et son incapacité à s'intégrer dans une quelconque structure (école, famille d'adoption, foyer ...). Les crises de la fillette sont terribles et ne sont pas loin, pour les plus violentes d'entre elles, d'être insoutenables. La question de son insertion dans la société y est posée avec acuité, rendant hommage au passage à tous les travailleurs sociaux qui tentent de résoudre des problèmes insolubles. Pas de concession, pas d'apitoiement : le film va jusqu'au bout de son propos, quitte à choquer par sa violence extrême. Ce cinéma-là, en rien divertissant et qui suscite un certain malaise, a certainement sa place. Il montre des situations qui existent et interroge le spectateur tout en testant sa résistance. Ce n'est pas de tout repos mais force est de constater que son efficacité est redoutable.
Cuban Network, Olivier Assayas, sortie le 22 janvier 2020.
Cuban Network est un film d'espionnage mais n'a pas grand chose à voir avec ce qu'on a l'habitude de voir dans ce genre codifié par les anglo-saxons, principalement. Pourtant quelque chose cloche dans le film d'Olivier Assayas, un certain manque de crédibilité dans l'enchaînement des circonstances, sans doute, alors même que le film se base sur des faits réels qui ne remontent guère qu'à une vingtaine d'années. Malgré un rythme alerte et une limpidité des situations, nonobstant quelques coups de théâtre, il y a quelque chose d'un peu factice dans Cuban Network, à l'instar des accents cubains que l'on sent très travaillés, mais faux, chez Penélope Cruz, Edgar Ramirez et Gael Garcia Bernal qui font leur possible pour faire exister leurs personnages mais sans y réussir totalement (plus convaincante est l'interprétation d'Ana de Armas qui, elle, est vraiment cubaine). Fort divertissant néanmoins, Cuban Network a par ailleurs un grave talon d'Achille : ses dialogues, d'une assez consternante banalité. Assayas n'a pas voulu ou pas su jouer sa partition sur un mode satirique, il aurait peut-être dû.
Irina, Nadejda Koseva, Bulgarie
Le premier film de Nadejda Koseva commence par une soirée passablement agitée pour son héroïne, Irina : en quelques heures, elle est licenciée de son travail, surprend les ébats de sa soeur avec son mari et enfin voit ce dernier gravement accidenté en allant chercher du charbon (il en perd ses deux jambes et pas mal de sa joie de vivre). Après cette entame tragique, le film ne va cesser d'évoluer entre la comédie façon Affreux, sales et méchants, mâtinée d'humour absurde très bulgare, et la chronique sociale avec l'écart abyssal entre les plus riches et les plus démunis. Désormais centré sur une Irina mère porteuse (d'espoir ?), le métrage part sans arrêt dans des directions inattendues, préférant la fantaisie au réalisme et à la psychologie la plus élémentaire. C'est parfois déstabilisant mais assez souvent jubilatoire car subtilement réalisé, en évitant soigneusement les scènes attendues. On retrouve là une veine contemporaine bulgare qui ne manque pas d'attrait comme dans Glory ou Taxi Sofia, par exemple.
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