Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Y'a de l'Arrageois ! (2)

 

Ma première journée marathon. Dans laquelle, ce n'est pas fréquent à Arras, je ne retiendrai pas les films venus d'ailleurs mais 2 productions françaises, qui sortent d'ailleurs très vite : J'accuse et Proxima. Et juste derrière, l'excellent film tunisien, Noura rêve.

 

Vivre et chanter (Huo zhe chang zhe), Johnny Ma, Chine, sortie le 20 novembre.

 

 

Le film de Johnny Ma est un hommage appuyé à l'opéra de Sichuan, voisin de celui de Pékin, avec davantage de chant. Une tradition culturelle qui perd de plus en plus de terrain et semble vouer à devenir opéra fantôme. Tout ce qui est documentaire dans Vivre et chanter est intéressant à suivre ce qui est moins le cas de l'aspect fictionnel que le réalisateur a tenté de sublimer en donnant quelques couleurs baroques à son intrigue dans une opposition systématique entre la Chine ancienne et la nouvelle qui se construit, si l'on ose dire, par les destructions des vieux bâtiments. On voit bien où veut en venir Ma mais son film a le tort d'arriver après de nombreuses productions chinoises qui ont peu ou prou traité ce sujet de l'éradication d'une culture traditionnelle au profit du tourisme et de valeurs bien plus commerciales. Vivre et chanter n'a pas le souffle des grands films de Jia Zhangke ni la verve poétique de certains autres longs-métrages chinois récents. En esthétisant les destructions d'immeubles, le film court-circuite d'ailleurs maladroitement ses intentions.

 

Noura rêve, Hinde Boujemaa, Tunisie, sortie le 13 novembre

 

 

La loi contre l'adultère, en Tunisie, peut valoir jusqu'à 5 ans d'emprisonnement. Cette épée de Damoclès menace les amants de Noura rêve et sert de fil conducteur à un film qui confirme la bonne santé du cinéma du Maghreb et en particulier tunisien. Ce premier long-métrage de fiction de Hinde Boujemaa se caractérise par une écriture exigeante autour d'une sorte de triangle amoureux qui doit composer avec les mensonges pour essayer de sauver ce qui peut l'être sans tomber sous le coup de la loi. Avec Noura rêve, la réalisatrice trace surtout un sensible portrait de femme active, mère de famille et amoureuse dont la vie se complique avec la sortie de prison de son escroc de mari. Le film commence doucement et orchestre une belle montée en puissance qui culmine avec les scènes de commissariat intenses et stressantes. Ce qui est appréciable dans Noura rêve est son absence de manichéisme et la complexité psychologique de chacun de ses trois personnages principaux, aucun n'étant condamné a priori et chacun se débattant avec ses propres contradictions et raisons personnelles, quitte à blesser les autres au passage.

 

A Shelter among the Clouds (Straha mes reve), Robert Budina, Albanie

 

 

La première chose qui frappe dans A Shelter among the Clouds est la beauté de sa photo, due à un chef opérateur roumain mais aussi à la photogénie naturelle des paysages ruraux albanais. Le film vient d'Albanie, en effet, un pays dont les productions cinématographiques ne sont pas légion et presque jamais montrées en Occident. Ce long-métrage, le deuxième de son auteur, prône largement la tolérance religieuse dans une histoire un peu trop directe quant à son message principal et consciencieusement récité dans des situations et des dialogues qui manquent d'ampleur. Le petit village que décrit le réalisateur a un aspect idyllique un peu trop marqué tandis que son héros, un berger qui semble entretenir une connexion directe avec Dieu, ressemble à une gravure de mode, fruste comme il faut pour séduire une jeune scientifique venue de la ville. Le côté littéral du film, sans nuances majeures, n'est pas loin de disqualifier un film par ailleurs agréable à regarder.

 

J'accuse, Roman Polanski, sortie le 13 novembre

 

 

 

D'un sujet comme l'affaire Dreyfus, il était prévisible que Roman Polanski allait en faire son miel et ne pas manquer, croyait-on, de faire des parallèles avec ses propres démêlés avec la justice et ceux (une certaine frange de "l'opinion publique" qui ne cessent de le condamner sans autre forme de procès. Mais J'accuse peut heureusement se passer de cette lecture réductrice et être pris pour ce qu'il est : un grand film historique, respectueux des faits, pédagogique et passionnant dans son aspect de thriller intransigeant. Le film prend son temps, monte en régime progressivement, et se concentre sur le personnage de Georges Picquard, un homme honnête dont la quête de la vérité était non seulement courageuse mais aussi contraire aux intérêts de l'Armée et partant, de l'ensemble de la société française, traumatisée par la défaite de 1870 et revancharde. Dans quel autre film français a-t-on pu voir une aussi radicale dénonciation de l'antisémitisme qui prévalait dans une grande partie du pays ? La charge est violente mais fidèle à la réalité de l'époque. Pour ceux qui connaissent parfaitement les tenants et aboutissants de l'affaire Dreyfus, il n'y a pas à proprement parler de révélation dans J'accuse mais une solide reconstitution des faits de cette période où la guerre de 14 se prépare déjà, y compris vis-à-vis de l'opinion. Par ailleurs, on y voit le fonctionnement du contre-espionnage français de manière quasi documentaire, avec une ironie sous-jacente dans la façon dont le film montre ses tâtonnements, son inexpérience et ses erreurs commandités. Sans céder au grandiose, Polanski filme cette histoire avec une virtuosité indéniable et limpide, se surpassant dans la direction d'acteurs. Outre Dujardin, parfait, tous les rôles, y compris les plus minces, sont joués avec conviction par des comédiens renommés ou non, avec un égal talent. Une mention spéciale, tout de même, à Gregory Gadebois, extraordinaire et promis à un César du second rôle s'il y a une justice.

 

Proxima, Alice WInocour, sortie le 27 novembre

 

 

Proxima est un film sur une spationaute qui s'apprête à s'envoler pour la plus grande expérience de son existence mais qui nous touche d'abord par l'attraction terrestre pour sa petite fille qu'elle va quitter pour une très longue période. Alice Winocour, dont le cinéma ne laisse jamais indifférent par le choix de ses sujets et leur traitement original (Augustine, Maryland), réussit dans Proxima la très difficile conjonction entre le réalisme documentaire (l'entraînement des spationautes avant leur mission) et l'émotion pure, symbolisée par la relation fusionnelle entre une fillette et sa mère. Un équilibre qui passe par une scène assez peu crédible vers la fin mais qui touche au plus profond. Fascinée depuis son enfance par la conquête de l'espace, la réalisatrice a choisi de rester les pieds sur terre pour rappeler que l'intensité des sentiments humains valent toujours largement plus que n'importe quels effets spéciaux. Et sa sensibilité la pousse très loin sans pour autant verser dans l'impudeur ou les débordements lacrymaux. C'est peu de dire qu'on n'a jamais vu Eva Green jusqu'alors aussi touchante et mise à nu devant une fillette prodigieuse, Zélie Boulant-Lemesle, qui joue avec un naturel stupéfiant sur toutes les palettes sans jamais s'apparenter à un singe savant. Il serait tentant de parler de Proxima comme d'un film de "femme" mais il serait dommage que les hommes le dédaignent. Ils risquent fort, eux aussi, d'être bouleversés par ce lien, aussi rarement montré de cette façon, qui existe entre une mère et son enfant.

 

Il campione, Leonardo d'Agostini, Italie.

 

 

La comédie italienne n'est pas morte, elle se renouvelle en s'appropriant de nouveaux personnages et des situations qui n'existaient pas il y a 20 ans. Avec Il campione, Leonardo d'Agostini s'attaque aux nouvelles stars du football qui dès leur plus jeune âge deviennent des icônes et empochent des millions d'euros chaque mois sans avoir le moindre gramme de raison (d'intelligence ?) dans la tête. Il campione déroule alors un schéma classique avec le choc des cultures et des personnalités avec l'une de ces idoles confronté à un professeur entre deux âges, loser et ringard, qui n'a jamais mis les pieds dans un stade. Le film est divertissant, souvent amusant mais il entasse les clichés sans répit, grossissant le trait et empruntant surtout une véritable autoroute narrative où l'on peut prévoir à l'avance les coups de théâtre. Accordons tout de même à Il campione une certaine qualité de mise en images, les matches de football étant pour une fois correctement filmés, et une interprétation de bon niveau avec Stefano Accorsi, toujours excellent, et Andrea Carpenzano (vu dans Frères de sang), crédible et charismatique.

 

 



10/11/2019
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