Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Y'a de l'Arrageois ! (9)

 

Un avant-dernier jour consacré à grappiller des films dans différentes sections. J'attendais surtout La vérité de Kore-eda et un peu moins le chinois Le lac aux oies sauvages, deux sorties programmées le 25 décembre. Alors, Noël avant la lettre ? Réponse ci-dessous.

 

Negative Numbers, Uta Beria, Géorgie

 

 

Le premier long-métrage du cinéaste géorgien Uta Beria se passe entièrement dans un centre de détention pour mineurs dont le fonctionnement ne correspond pas vraiment à ce dont on a l'habitude. C'est entre autres ce que tente d'expliquer le film qui se disperse beaucoup entre différentes intrigues dont aucune ne s'impose véritablement, au sein d'un ensemble assez rude et plutôt confus. La mise en scène et le montage ne contribuent pas à rendre le film plus clair alors que certains aspects auraient à coup sûr mérité un développement plus important (la résilience et la solidarité via le rugby, par exemple). Mais le réalisateur s'entête à vouloir traiter plusieurs sujets à la fois, se refusant à mettre en avant un personnage plus qu'un autre. D'où un désintérêt qui ne fait que croître pendant la projection.

 

Le lac aux oies sauvages (Nan fang che zhan de ju hui), Diao Yi'nan, Chine, sortie le 25 décembre

 

 

Repéré avec notamment Train de nuit et l'impressionnant Black Coal, Diao Yi'nan figure parmi les cinéastes les plus prometteurs du moment. Ce que Le lac des oies sauvages ne confirme qu'à moitié tant ce polar nocturne et pluvieux se prend un peu les pieds dans le tapis, dans une stylisation extrême dont les qualités d'atmosphère ne peuvent masquer les défaillances d'un scénario principalement répétitif et contemplatif. Qu'il y règne une certaine opacité dans son récit, ce n'est pas si grave, c'était aussi le cas dans Un grand voyage vers la nuit de Bi Gan mais ce dernier avait pour lui un côté onirique assez fascinant (pas pour tout le monde, évidemment) qu'on ne trouve pas dans Le lac des oies sauvages. L'aspect romanesque, voire romantique du film est sous-jacent mais s'efface devant l'architecture alambiquée et pas si originale que cela de la trame policière, malgré le talent certain du metteur en scène, qui semble d'ailleurs en être un peu trop conscient. La virtuosité du film a quelque chose d'un peu gratuit dans cette chasse à l'homme qui n'est pas loin de tourner en rond et même à vide, loin d'égaler son modèle revendiqué, M le maudit de Fritz Lang.

 

La vérité, Hirokazu Kore-eda, sortie le 25 décembre

 

 

Après Kiyoshi Kurosawa et une expérience désastreuse (Le secret de la chambre noire), au tour du palmé Hirokazu Kore-eda de se lancer dans un tournage français avec notamment Deneuve et Binoche. Sans être son meilleur film, loin de là, La vérité reste typique du cinéaste japonais, plutôt lent au démarrage mais de plus en plus enthousiasmant à mesure du déroulement de l'intrigue, avec quelques jolies scènes sur la fin, toutes empreintes de subtilité et de poésie. Il s'agit une fois encore "d'une affaire de famille" et plus particulièrement d'une relation complexe entre mère et fille, la première, actrice de son état, se caractérisant par une mauvaise foi systématique, un caractère difficile et un égocentrisme forcené. La vérité intègre avec bonheur l'histoire d'un tournage dans le film qui en dit long sur la compétition entre actrices, y compris avec une défunte. Moments traités avec la finesse coutumière de Kore-eda, entre méchanceté et tendresse. Evidemment, dans le rôle de cette comédienne arrogante et un peu fêlée (dans tous les sens du terme), Catherine Deneuve est impériale, jubilant véritablement à jouer ce personnage autoritaire et cinglant. Juliette Binoche apparait comme un peu en retrait et c'est la jeune Manon Clavel, à la voix envoûtante, qui se révèle, encore inconnue mais vraisemblablement plus pour très longtemps.

 

Les éblouis, Sarah Suco, 20 novembre

 

 

Difficile de critiquer Les éblouis, le premier film sincère et largement autobiographique de Sarah Suco. Difficile aussi de ne pas adhérer à cette dénonciation d'un embrigadement tragique d'une famille au sein d'une communauté religieuse à la perversion toxique. Mais il faut bien se placer un tant soit peu du côté cinématographique et là, le film est malheureusement lesté de semelles de plomb qui en limitent singulièrement l'impact. Tout commence pourtant plutôt bien et Les éblouis ne manque pas de subtilité dans sa mise en place en donnant la vision de la fille aînée dans le cheminement progressif de sa famille vers l'obscurantisme, auprès d'un "berger" (Darroussin, étonnant) et de ses ouailles, au pernicieux discours de saint sectaire (qui a le goût d'un fromage moisi). Mais quand le film bascule dans l'horreur quotidienne des techniques d'enrégimentement, il devient pesant et sans plus aucune nuance, démagogique dans sa dénonciation même si la réalisatrice s'en défend en précisant qu'elle a beaucoup "édulcoré les faits." Cette histoire très personnelle ne manque pas de puissance mais elle aurait sans doute gagné à montrer les choses avec davantage de finesse, en suggérant plutôt qu'en utilisant les manières d'un réquisitoire. Cela n'enlève rien cependant à la formidable interprétation de la jeune Céleste Brunnquell qui a obtenu le prix d'interprétation féminine à Sarlat, le film recevant pour sa part la Salamandre d'or.

 



17/11/2019
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