Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Un zeste de Cannes (1)

Banel & Adama de Ramata-Toulaye Sy

Le village et le monde, ou comment le chaos du second vient perturber le premier. A vrai dire, même si cela fait cliché de l'écrire, concernant le cinéma africain, Banel & Adama a tout du conte. Moderne, sans doute, mais éternel aussi, puisque pas si loin des thèmes des tragédies grecques. Ils s'aiment fort, nos deux héros, et veulent vivre pleinement leur passion, égoïstement même, pourrait-on dire, un peu en marge de leur communauté, dont ils n'hésitent pas à contester les règles. Le film de Ramata Toulaye-Sy, son tout premier long-métrage, s'attache surtout à Banel : parce qu'elle est la plus forte, la plus rebelle, et que son influence sur Adama est indéniable. Jusqu'à un certain point, évidemment, et c'est tout l'enjeu d'une histoire située au nord du Sénégal, où la pluie ne vient plus, comme une malédiction dont il faut chercher les coupables. Très maîtrisé sur le plan esthétique, y compris dans son goût pour la théâtralité, avec une pincée de fantastique, Banel & Adama s'enferre tout de même un peu dans un rythme répétitif que ne vient pas alléger un excès de symbolisme, au moment du dénouement. Si le film ne convainc pas totalement, il possède cependant une vraie personnalité et laisse espérer que les promesses d'une nouvelle génération de cinéastes africains ne vont pas rester lettre morte, faute de moyens. Parce que l'envie et le talent, eux, ne font pas défaut.

 

Bonnard, Pierre et Marthe de Martin Provost

On n'a pas toujours sous la main une vie d'artiste aussi étonnante que celle de Séraphine, à raconter. Pierre Bonnard, tout entier dévolu à son art, n'a pas eu vraiment une vie aussi aventureuse et folle que celle du Caravage, pour ne citer qu'un biopic récent d'un grand peintre. Qu'à cela ne tienne, pourquoi ne pas chercher la femme dans l'ombre de Bonnard, et mettre la lumière sur elle ? Le film de Martin Provost est d'un grand classicisme et d'un goût sûr dans les décors et les costumes. On peut lui reprocher un certain manque de prise de risques mais le sujet ne l'imposait pas et ses ellipses temporelles semblent fort appropriées, puisque la vie de Bonnard ne possède pas suffisamment d'aspérités pour le montrer autrement que dans son processus de création et dans le privé, avec tout de même quelques écarts à signaler (un gros, surtout). Le couple Vincent Macaigne/Cécile de France n'était certainement pas une évidence mais leur duo fonctionne parfaitement, dans l'harmonie comme dans les moments de crise. Peindre et faire l'amour, voici de quoi résumer la vie de Bonnard, sans oublier de nous montrer quelques amitiés célèbres, avec Vuillard et Monet, par exemple. Mais il y a Marthe, plus intéressante que son célèbre époux et il est tout naturel que le film penche de son côté, en explorant la complexité de son caractère, qui en fait bien davantage qu'une simple compagne de l'artiste.

 

Club Zero de Jessica Hausner

Ce qui est bien avec Jessica Hausner, c'est qu'elle n'a pas peur de choquer ni de susciter le dégoût, et tant pis si, à l'instar d'un Ruben Östlund, elle passe pour une poseuse et une cynique. Il est probable qu'elle s'en fiche et que cela l'amuse. Elle pousse cependant le bouchon assez loin avec Club Zero, consacré à "l'alimentation consciente", sous forme de fable qui entend épingler certaines tendances hygiénistes de notre époque. Le cinéma de la réalisatrice autrichienne reste toujours clinique sur le plan formel, d'une froideur et d'une rigueur assumées, mais cohérente dans une œuvre qui la rapproche de ses compères autrichiens Haneke et Seidl, avec lesquels elle semble partager un humour à froid, plus susceptible de susciter la gêne, voire le ricanement, que le rire franc et massif. Parfois, la cinéaste s'égare quelque peu, en particulier dans une scène insupportable, mais sa rigueur formelle n'est autrement presque jamais prise en défaut. Il faut aussi louer le talent de Jessica Hausner pour la direction d'acteurs, en témoigne ici une Mia Wasikowska qu'on n'avait jamais vue dans une rôle pareil, terrifiante dans sa douceur d’extrémiste en matière de nutrition. Son régime strict (euphémisme) place en tous cas Club Zero dans le registre assez rare des films qui coupent tout appétit pour un éventuel repas, après sa projection. Mais comme l'indique l'avertissement, avant ses premières images, il n'est vraiment pas conseillé à ceux qui connaissent des problèmes avec la nourriture.

 

Les filles d'Olfa de Kaouther Ben Hania

Faute de mieux, Les filles d'Olfa a été rangé sous l'étiquette de "documentaire". Ce qui n'est évidemment pas faux, puisque le film de Kaouther Ben Hania montre certaines des véritables protagonistes d'une histoire qui a ému la Tunisie, mais le terme s'avère réducteur puisque le long-métrage fait jouer à deux actrices les rôles de deux des filles d'Olfa, qui un jour ont disparu, "prises par le loup". Ce n'est pas la frontière entre la réalité et la fiction qui est brouillée mais celle de la première avec sa reconstitution. A la vérité, c'est encore plus que cela, avec le personnage de la mère, "joué" tour à tour par la véritable et son interprète. Cela prête nécessairement à confusion pour le spectateur qui ne sait plus parfois s'il entend des témoignages réels ou une recréation de certaines scènes. Et c'est justement la complexité du dispositif, qui suscite l'émotion (très forte) et le rire, puisque tout se mélange dans un film qui a par ailleurs des allures de catharsis, pour celles qui revivent leur passé. Oui, Les filles d'Olfa contient sa part de manipulation et d'impudeur, d'autant que la réalisatrice a fait preuve de beaucoup de subtilité dans un montage fait pour nous perdre un peu mais sans s'égarer pour autant. Portrait de deux générations de femmes tunisiennes, avant et après la révolution, le film traite de la transmission récurrente des oppressions et de l'espoir de les voir enfin disparaître. Bien mieux que pourrait le faire une fiction ou ... un vrai documentaire.

 

 



27/05/2023
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