Toujours Alès (9)
Voyage avec mon père de Julia von Heinz
Il est assez troublant de voir Voyage avec mon père, quelques semaines seulement après A Real Pain, puisqu'ils traitent tous les deux d'une sorte de tourisme mémoriel, en Pologne. Le contexte temporel n'est pas le même cependant : adapté d'un livre paru en 1999, le film de Julia von Heinz se déroule en 1991 et concerne un père, survivant d'Auschwitz, et sa fille, désireuse de comprendre le passé de sa famille. Voyage avec mon père joue ostensiblement avec les différences entre ses deux personnages, le plus concerné et même stressé des deux n'étant pas celui que l'on croit. Le film accentue, peut-être un peu trop, le degré de conscience entre deux générations, l'une qui a vécu l'horreur et ne veut pas y penser, l'autre qui en est héritière et compense par la surabondance d'information ce qu'elle n'a pas vécu dans sa chair. Deux manières de ressentir que le passé ne passe pas, quand il est à ce point lié à des douleurs incommensurables. Le long métrage cherche à trouver le ton juste, dans cette incompréhension entre père et fille, avec des ressortissants polonais au milieu, pas nécessairement sympathiques, au demeurant. C'est une œuvre un peu étrange qui s'échappe par le biais de l'humour mais qui ne peut qu'être submergée, in fine, par l'émotion. Grâce au duo constitué par Stephen Fry et Lena Dunham, ce périple imparfait sort des sentiers battus et se révèle aussi touchant que faire se peut, en dépit d'un scénario pas toujours exempt de maladresses.
Kneecap de Rich Pepplatt
Un long métrage qui s'intitule Rotule (Kneecap), du nom d'un groupe de hip hop nord-irlandais, ne saurait être mauvais. Ce n'est pas seulement le biopic de cette formation pionnière qui fait office de scénario mais aussi un manifeste exaltant sur la survie de la langue gaélique irlandaise, le tout dans un emballage a priori foutraque et exubérant, particulièrement mal élevé et jubilatoire. Dans un Belfast et furieux où la haine de l'impérialisme anglais se révèle cinglante, l'humour et l'excès de substances planantes créent un cocktail euphorisant qui ne s'autorise aucune minute de répit. Le mérite en revient aussi à la mise en scène inspirée et inventive de Rich Peppiatt, lequel, ironiquement, est un anglais pur jus. Le film se fiche du politiquement correct et le langage y est tout sauf châtié, dans une boule d'énergie vitale qui s'étend jusqu'aux interprétations hallucinées des principaux protagonistes, dont les membres de Kneecap, mais aussi des seconds rôles féminins, un peu en retrait, mais savoureux. Quant à Michael Fassbender, ses rares apparitions montrent un charisme immédiat qui n'a pas besoin d'être développé pour rendre crédible sa prestation de symbole de la lutte irlandaise pour conserver ses valeurs et son identité, face à l'arrogant voisin d'en face.
Sukkwan Island de Vladimir de Fontenay
Avec Sukkwan Island, récit très personnel, David Vann a obtenu le Prix Médicis 2010 et un très gros contingent de lecteurs, la plupart éblouis par "un suspense insoutenable" alors que d'autres n'ont retenu que le côté malsain du roman. Quid de son adaptation aujourd'hui, avec Swann Arlaud dans le rôle principal, assez remarquable d'ailleurs ? Disons que l'appréciation va différer selon que vous ayez lu ou non le livre, avec aussi la sous-catégorie de ceux qui ont oublié les circonstances de l'événement le plus important qui s'y déroule (page 113, pour être précis). Les circonstances du projet de voyage dans le grand Nord où un père et son fils, qui vit seul avec sa mère, ont déjà du mal à paraître vraisemblables. Quant aux situations décrites en long et en large, ensuite, dans un environnement hostile, on les a toutes déjà vues auparavant dans de nombreux films liés à la survie. Mais le pire, au fond, est le sentiment final d'avoir été manipulé, de bout en bout. Précisons quand même que le portrait du père est largement édulcoré par rapport au roman, dont le côté sordide est bien plus frappant. Il était difficile de rendre cette noirceur acceptable dans un film et ce sont donc les paysages, très beaux, surtout quand la neige recouvre tout, qui se substituent en grande partie à une intrigue dont on ne nous révèle les vrais tenants et aboutissants qu'à la toute fin du métrage.
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