Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Ici, c'est Arras (2)

 

Je poursuis sur ma lancée. Avec notamment un coup de foudre pour l'escapade écossaise de Bouli Lanners.

 

Amants de Nicole Garcia

Dans Amants, le chiffre 3 régule toute l'action : 3 lieux, Paris, l'Océan indien et Genève ; 3 temporalités, avec suaves ellipses à la clé ; 3 personnages, selon le schéma classique du triangle amoureux, et une femme en suspens entre la passion et la sécurité. Que du déjà vu, bien sûr, dans ce film noir de Nicole Garcia, mais la forme, toute en élégance de la mise en scène et contraste entre ombre et lumière, parvient presque à nous faire oublier le côté convenu de son scénario. Ce qui est gênant, malgré tout, c'est la présence d'au moins 2 (pas 3) coïncidences assez énormes qui ruinent la crédibilité de l'entreprise. A vrai dire, l'usage de ces béquilles narratives fait partie de certaines conventions d'un cinéma qui ne joue pas la carte du réalisme à tout crin, lui préférant une certaine mythologie développée à Hollywood ou ailleurs, mais surtout à Hollywood. Au-delà de ces "lacunes", Nicole Garcia montre une fois de plus qu'elle est sans doute la réalisatrice française qui sait le mieux montrer les fêlures masculines, qui se manifestent aussi par une certaine violence. Sa direction d'acteurs est impeccable : le maigre Niney et le massif Magimel sont brillants et la cinéaste a l'intelligence de leur donner peu de scènes communes, ce qui intensifie d'autant plus leurs rares face à face. Quant à Stacy Martin, sa partition est très subtile dans un rôle de femme fatale malgré elle dont les palinodies ne semblent jamais inexplicables.

 

L'Equipier (The Racer) de Kieron J. Walsh

L’Équipier se déroule au début du Tour de France de 1998, tristement célèbre pour ses affaires de dopage. Bonne idée que celle de suivre un simple "domestique" ou "porteur d'eau", c'est à dire un coureur au service de son leader. Aucune image réelle (ou alors très peu) des trois étapes qui se sont déroulées en Irlande, cette année-là, n'ont été utilisées et tous les protagonistes, à commencer par l'anti-héros, sont fictifs. Restait à retrouver l'ambiance de la compétition et à montrer ses à-côtés, pas reluisants, on s'en doute. La mission est à peu près accomplie pour le premier aspect, l'indulgence étant de mise, mais le second brille par un certain nombre de scènes irréalistes (un coureur qui passe une partie de son temps libre au pub, bof) avec notamment une idylle amoureuse assez incongrue. En revanche, l'approche du dopage systématique, qui régnait en ce temps-là (et aujourd'hui ?) est beaucoup plus convaincante, de même que la vie de groupe. Le personnage principal, censé ne jamais se battre pour lui-même mais pour son équipe, est très attachant, grâce au jeu de l'acteur belge Louis Talpe, qui s'est par ailleurs forgé un véritable corps d'athlète. Très rythmé, au son d'une B.O rock; The Racer se positionne comme un film de sport honnête, le cyclisme restant l'une des disciplines les plus difficiles à montrer. Quant à savoir si tous les coureurs sont dopés, y compris les plus anonymes, seuls les gens du milieu peuvent répondre à la question, non ?

 

Lingui, les liens sacrés de Mahamat Saleh-Haroun

Dans le cinéma d'Afrique subsaharienne, qui a du mal à exister faute de moyens, le nom de Mahamat-Saleh Haroun s'impose d'emblée, lui dont chacun des films a été sélectionné dans les grands festivals européens. Lingui, les liens sacrés, est clairement un film féministe dans un pays, le Tchad, où les influences de l'Islam et du patriarcat ne laissent guère leur chance aux femmes, surtout lorsqu'il est question d'avortement ou d'excision. Les deux héroïnes de Lingui sont une fille-mère et sa fille de 15 ans, enceinte, mais ce sont des combattantes qui vont tenter, via un réseau de solidarité féminin, de trouver des solutions à l'amère situation de la seconde. Point de misérabilisme dans le film, dont la mise en scène est plutôt douce, mais une volonté d'embrasser le réel, en dépit de quelques raccourcis peu évidents dans le récit. Les hommes n'ont pas la part belle dans Lingui et peuvent parfois apparaître comme des stéréotypes, y compris l'imam intrusif, mais il y a un côté fable dans la narration qui tend à l'espoir et à la promesse de jours meilleurs pour la gent féminine au Tchad et plus largement en Afrique. Peut-être un vœu pieux mais Lingui, très bien réalisé par ailleurs, a choisi son camp, celui de l'entraide, du courage et de la tolérance dans un contexte guère favorable pour l'émancipation des femmes. Que faire d'autre pour nous, spectateurs européens, avec nos clichés persistants sur l'Afrique, que de saluer ce cinéma engagé et menacé par tous les obscurantismes ?

 

Nobody has to know de Bouli Lanners

Il y a de nombreux moments de pure beauté dans Nobody has to know et ils ne sont pas uniquement dus à la splendeur sauvage des côtes écossaises. Bouli Lanners a été bien inspiré de s'oxygéner pour sa nouvelle réalisation qui s'avère être sa plus probante et touchante. Un vrai drame romantique qui commence avec un AVC et l'amnésie qui s'ensuit pour un étranger sur cette île écossaise, qui a fui on ne sait trop quoi. Sa part de mystère n'est pas la seule à soulever des interrogations, celle qui entoure l'autre personnage principal de Nobody has to know, une femme d'âge moyen, interpelle tout autant. Ce qui est quasi miraculeux dans le film, c'est que même les sous-intrigues (le chien) apportent leur content d'humanité et enluminent le récit. Au sein de la petite communauté ilienne, où la messe du dimanche est sacrée, l'esprit de corps n'empêche pas une certaine solitude, tout du moins pour des âmes un peu perdues. Mais tout autant que son scénario, simple et prenant, c'est la densité de la mise en scène qui fait accéder le film à un niveau plus élevé, avec des cadrages originaux sans être tapageurs et une élégance soutenue dans une austérité pour certains plans qui ne sont pas loin de faire penser à Dreyer, excusez du peu. Ajoutez-y l'interprétation parfaite de Bouli Lanners et l'incroyable capacité d'émotion de Michelle Fairley et vous obtenez ce que l'on pourrait appeler une pépite si le terme n'était pas aussi galvaudé.

 

 



08/11/2021
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