Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Tapis rouge à Nantes (3)

Troisième et dernier jour de projections cannoises avec Ozon, Corsini, Lafosse et Lapid.

 

Tout s'est bien passé, François Ozon, sortie le 22 septembre

Emmanuèle Berheim n'est plus là pour la voir, hélas, mais elle serait sans doute heureuse de l'adaptation de son livre Tout s'est bien passé qui raconte la décision de son père de mourir après un AVC qui l'a laissé diminué. Elle serait surtout fière de la façon dont André Bernheim est montré, paternel un brin cynique et égocentrique mais irrésistible y compris pour ses deux filles qui l'ont aidé à accomplir sa volonté. Dans cette chronique d'une mort décidée, François Ozon s'est mis entièrement au service de ll'histoire sans chercher d'artifices visuels et c'est une excellente chose car le film sent le vécu, notamment à travers le quotidien de sa fille préférée, Emmanuèle, devenue écrivaine. Le pathos est hors champ dans Tout s'est bien passé, conforme en définitive au souhait de son protagoniste principal qui souhaitait régler "l'affaire" sans nulle émotion, comme un aboutissement logique d'une vie bien remplie. Reste que le film décrit aussi joliment, avec beaucoup de pudeur, ce qu'est une solidarité sororale même si les deux filles concernées sont très dissemblables. Si Géraldine Pailhas et surtout Sophie Marceau, trop rares au cinéma, excellent, c'est la performance "monstrueuse" d'André Dussolier qui retient évidemment l'attention. Une composition de virtuose que Cannes n'a pas daigné récompenser mais qui devrait lui valoir un César, sans l'ombre d'une hésitation. Là haut, André et Emmanuèle Bernheim ont dû apprécier et vraisemblablement s'amuser aussi de cette performance de haut vol.

 

La Fracture, Catherine Corsini, sortie en 2022

Gilets jaunes et blouses bleues, un soir de manifestation violemment réprimée, au sein d'un hôpital en grève mais où les urgences fonctionnent toujours, bien obligé. Le côté documentaire de La Fracture avec son caractère d'urgence(s) côtoie un arc narratif traditionnel qui mélange toutes sortes de populations amenées à se rencontrer en l'espace de quelques heures. C'est souvent le chaos dans La Fracture et cela occasionne quelques scènes fort drôles même si on n'oublie jamais l'aspect social et politique, assez clairement énoncé par le film de Catherine Corsini. A vrai dire, il y aussi quelques moments d'hystérie, nettement moins contrôlée et l'on sait que dans ces situations-là il ne faut pas laisser la bride sur le cou à Valeria Bruni-Tedeschi, capable d'aller très (trop) loin. Pio Marmaï est moins habitué de ces excès et le voir en rage est un spectacle autrement plus impressionnant, même s'il lui arrive aussi de surjouer. Mais ce que l'on retient avant tout de La Fracture, au-delà de quelques éléments scénaristiques peu probants (le dingue au couteau, l'accouchement à venir), c'est la description d'un système hospitalier malade et précaire dans une société qui ne se porte pas vraiment bien, non plus (et c'était dans l'avant Covid). Chacun pensera évidemment ce qu'il voudra des situations extrêmes exposées, qui donnent parfois l'impression d'être empilées pour mieux sensibiliser mais l'efficacité du film n'en reste pas moins indéniable.

 

Les Intranquilles, Joachim Lafosse, sortie le 6 octobre

La maladie dont souffre le personnage principal de Les Intranquilles n'est nommé qu'à une seule reprise dans le film de Joachim Lafosse et n'explique qu'en partie l'intense activité dont il fait preuve aux moments les plus aigus de ses crises. C'est l'une des qualités du film que de nous immerger d'emblée dans le monde et la tête agitée de ce peintre pour élargir ensuite la perspective sur les conséquences de ses dérèglements auprès de son fils, de son père et de son épouse, dont la patience et l'état mental ont des limites. Autre atout négligeable :aucun discours de médecin ne vient expliquer quoi que ce soit, Les Intranquilles restant concentré sans discours thérapeutique sur celui qui souffre et fait souffrir ses proches. Si le film n'est pas un thriller à proprement parler, il en devient un quand son héros incontrôlable se met en danger ainsi que sa famille, au point que l'on est sans cesse en attente d'un drame annoncé. La mise en scène de Lafosse est très différente de ce qu'elle est habituellement, à fleur de peau, presque primitive et viscérale, en s'attachant à la lourdeur des corps et à leur déplacement dans l'espace. Damien Bonnard, dont le talent n'est plus un secret est tout simplement sidérant dans le rôle principal, monstrueux et touchant. Leïla Bekhti, dans une composition subtile, l'accompagne dans les hauts et les bas d'une aventure humaine qui ne cache jamais les tréfonds émotionnels d'une maladie quasi impossible à guérir.

 

Le genou d'Ahed, Nadav Lapid, sortie le 15 septembre

Il semble bien que l'on ne retrouvera plus (mais sait-on jamais) le Nadav Lapid des débuts (L'institutrice, Le policier), puissant dans un certain classicisme narratif, qui a laissé la place avec Synonymes et désormais Le genou d'Ahed à une dimension de critique virulente de la politique de l’État israélien, de ses dirigeants, de sa culture et même de son peuple endormi. Le genou d'Ahed est un pamphlet d'une très grande violence mais très disparate selon les scènes et parfois franchement (et volontairement ?) grotesque ou drôle. Si le film se déroule en grande partie dans le désert avec un dialogue très nourri entre un cinéaste et une responsable culturelle du Gouvernement, Lapid s'autorise beaucoup de figures libres, liées notamment aux guerres menées au Liban, ce qui nous vaut d'ailleurs un clip très sensuel autour de combattantes du pays. Oui, Le genou d'Ahed a de quoi épuiser le spectateur le plus résistant, quoique Synonymes reste largement plus verbeux en la matière. La forme épouse assez bien le discours offensif, avec des angles incongrus et des ruptures franches de ton. Moyennant quoi, malgré un discours qui laisse pantois par sa densité et son déchaînement, le film se laisse voir par la qualité de ses images et leur variété. Lapid est très doué, on le sait depuis son premier long-métrage, peut-être aura t-il l'idée de revenir à des récits moins éclatés et tarabiscotés, tout en conservant sa verve, voire sa colère, intactes ?

 



19/07/2021
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 50 autres membres