Rochelle que j'aime (2)
Little Girl Blue de Mona Achache
Dans cette famille, les filles écrivent sur la vie de leurs mères depuis deux générations. Mona Achache, elle, a choisi la voie du documentaire pour essayer de la comprendre, elle qui a laissé tant de carnets et d'enregistrements mais dont le mystère du suicide reste inexpliqué. Little Girl Blue est un objet hybride qui ressuscite Carole Achache à travers l'apparence transformée et la voix ajustée d'une Mario Cotillard, prodigieuse dans le rôle le plus difficile de la carrière. L'entourage, parfois toxique, de la mère de la cinéaste, lorsqu'elle était enfant ou adolescente, avec quelques célébrités, dont Jean Genet, est l'une des clés pour essayer de percer une personnalité tourmentée, marquée par la drogue et le sexe. Le dispositif mis en place par Mona Achache est sophistiqué et censé délivrer une émotion qui ne cède pas au glauque. A chacun de réagir en fonction de ses propres sentiments mais cette mise en scène et souvent en abyme pourrait bien rendre à certains ce portrait en fragments un peu trop "joué" et phagocyté par une actrice investie, c'est le moins que l'on puisse dire, mais dont le film enregistre aussi les doutes et les hésitations de cette incarnation tellement habitée. En fin de compte, si l'on saisit peu ou prou qui était Carole Achache et les innommables violences qu'elle a subies, le lien affectif avec sa fille passe en définitive au second plan et c'est un peu dommage puisque c'est aussi ce qui nous importait.
Lost Country de Vladimir Perisic
De son premier long-métrage, Ordinary People, Vladimir Perišić dit qu'il était "un cri de rage", alors que son second, Lost Country, ressemble plutôt à une "lettre d'amour." Elle est destinée à un pays qui n'existait presque plus, en 1996, époque de manifestations étudiantes contre la manipulation des élections. Feu la Yougoslavie et aussi adieu à une certaine innocence pour le jeune héros du film, confronté aux choix idéologiques de sa mère qui ne sont plus acceptables pour lui. Lost Country est un récit d'apprentissage mais il est surtout le reflet d'une période instable, qui a suivi la guerre et où le sujet du Kosovo devient de plus en plus prégnant. Aidé de sa coscénariste, "notre" Alice Winocour, qui sait rendre limpide les thèmes les plus complexes, le cinéaste s'appuie sur une mise en scène qui semble simple a priori mais qui se révèle pourtant extrêmement travaillée, avec ses protagonistes souvent séparés dans le cadre, par une vitre, par exemple. Un beau film sur une jeunesse révoltée qui rejette la dictature et les crimes qu'elle a engendré, avec pour son personnage central la sensation de se trouver dans une impasse. L'ensemble est cohérent, même si le dénouement du film peut surprendre, et séduisant, avec des interprétations de grande qualité. Le regard sur le Belgrade de 1996 est d'autant plus pertinent et passionnant qu'il est celui d'un réalisateur qui a pleinement vécu cette année-là, du haut de ses 20 ans.
A Room of my own de Ioseb 'Soso' Bliadze
Tina loue une chambre chez la vibrante Megi, grâce à laquelle elle commence peu à peu à découvrir ce que c'est que d'être indépendante, en prenant ses propres décisions, sans dépendre des hommes... Tourné en pleine pandémie et ayant intégré ce contexte particulier à son scénario, Chemi otakhi (A Room of my own) est le deuxième long-métrage du réalisateur géorgien Ioseb Bliadze, coécrit avec son interprète principale. Véritable portrait doux-amer de la génération Z, au féminin, dans son pays, le film se révèle plutôt attachant, autour du duo de jeunes femmes qui cohabitent, de par leurs personnalités divergentes, l'une réservée, l'autre extravertie, et d'une sororité qui s'épanouit vers l'émancipation, en opposition à une société qui conserve ses traits patriarcaux. Entre fêtes et moments intimes, le film a le bon goût de ne vouloir asséner aucune vérité, préférant enregistrer et épouser les désirs d'une génération désabusée mais décidée à être libre, même si cela passe par un départ de la Géorgie. Les deux actrices principales sont formidables et ont été récompensées au prestigieux festival de Karlovy Vary, en juillet 2022.
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