Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Concerto en Arras majeur (5)

zoba.jpg

 

Une salle pleine, un matin à 9h30, pour voir un film kirghize ! La journée est d'ailleurs marquée par le cinéma des anciennes composantes de l'URSS avec un film géorgien, un blockbuster russe et un film allemand qui se déroule en Ukraine.

 

Centaur_03.jpg

 

Centaure (Sentor), Aktam Arym Kubat

On l'appelle Centaure, cet ancien projectionniste qui semble un peu marginal dans la société kirghize. Le sixième film de Aktam Arym Kubat (aussi connu sous le nom d'Abdykalykov) est une fable sur un pays d'Asie centrale en pleine mutation. Dérives capitalistes et montée de l'intégrisme ont tendance à gommer les traditions ancestrales d'une terre dont les habitants ont de tous temps été reconnus pour leur orgueil et leur bravoure. Et pour leur amour immodéré pour les chevaux, considérés comme "les ailes des hommes." Le réalisateur du Voleur de lumière, également acteur principal de Centaure, n'est heureusement pas un didacticien mais un vrai cinéaste qui utilise la malice, l'humour et un sens lyrique modéré pour tracer le portrait d'un homme déphasé qui croit en certaines valeurs. Fluide et visuellement superbe, son film n'a rien de passéiste, dans le sens où il ne cherche pas à nier les apports de la modernité, cherchant plutôt, partout où il le peut, une dose d'humanité pour résoudre les conflits. Arym Kubat est le meilleur représentant du cinéma kirghize, dans une Asie centrale dont on ne voit plus guère, hélas, les films kazakhs ou ouzbeks.

 

salyut-7-trailer.jpg

 

Salyut 7, Klim Chipenko

Baïkonour, nous avons un problème ! Salyut 7 raconte les ennuis d'une station spatiale russe qui menaçait de tomber sur terre et de la mission de 2 cosmonautes qui s'en est suivie. Cela se passait en 1985. Comment dit-on blockbuster en russe ? Ce n'est pas tous les jours, à l'ouest, que l'on a l'occasion d'en voir un, et comme de bien entendu, cela vaut le déplacement, jusqu'aux étoiles, dans le cas de Salyut 7. Le film, que l'on qualifiera grossièrement de mélange entre les thématiques d'Apollo 13 et de Gravity, a bénéficié d'effets spatiaux, euh spéciaux, de grande envergure et il est incroyablement spectaculaire, doté d'une série de suspenses haletants. Contrairement à beaucoup de films similaires, il ne s'embarrasse pas trop de termes techniques et tout, ou presque, est compréhensible. Mais qui dit film russe, signifie aussi sentiments exacerbés (avec les épouses des cosmonautes qui s'angoissent à terre) et fier patriotisme, quoique on aurait pu s'attendre à bien davantage en la matière. Les amateurs de bonne SF ne seront en tous cas pas déçus si jamais un distributeur avait la bonne idée de sortir Salyut 7 sur les écrans français.

 

12932b_8cc2c8c2c9494_1465562716389_1b03151bd00.jpg

 

Dede, Mariam Khatchvani

Qu'est-ce que c'est beau le Caucase, et particulièrement la Svanétie, sous la neige. Mais rude et âpre, aussi, pour ses habitants. Et encore davantage pour les femmes, toujours victimes de traditions patriarcales à base de mariages arrangés. Sans parler des vendettas qui perdurent entre les familles. Dede, premier film de la jeune réalisatrice Mariam Khatchvani (31 ans) est ouvertement féministe et terriblement dramatique. Le destin de son héroïne est marqué par les mariages (forcés) et les enterrements. Son chemin est ardu et douloureux, fait de tragédies en cascade, au point que l'on se prend à trouver que c'est peut-être un peu trop. Mais l'est-ce vraiment ? Très agitée dans sa première partie, la caméra de la réalisatrice se calme heureusement par la suite. Le dénouement est porteur d'espoir, bien que nécessairement lié à un compromis. Il y a encore beaucoup de travail pour améliorer la place des femmes, dans les petits villages de Géorgie comme dans beaucoup d'autres endroits sur la planète.

 

104016.jpg

 

Jusqu'à la garde, Xavier Legrand

Tout ce que touche Xavier Legrand semble se transformer en or. César du meilleur court-métrage et nommé aux Oscars, doublement récompensé à Venise pour son premier long, l'impressionnant Jusqu'à la garde. Un film qui commence comme Kramer contre Kramer et se termine comme Shining. En gros, et sans vouloir trop en dire sur les dernières scènes du film, vraiment terrifiantes. Comédien de théâtre, au départ, Xavier Legrand a eu l'ambition de retranscrire les thèmes de la tragédie grecque dans une oeuvre contemporaine, avec une lente montée des périls. Son sujet, pas si souvent abordé, ou alors de manière psychologique, est celui des violences conjugales. Il le traite avec subtilité puis avec une tension de plus en plus prégnante au fil des minutes mais sans rien qui puisse laisser présager un dénouement aussi frontal, proche de l'horreur pure. Contrairement à la plupart des films d'aujourd'hui, Jusqu'à la garde est composé de longues scènes qui s'étirent, quitte à provoquer le malaise, mais qui ont le mérite de donner de la chair et de la densité. Une façon aussi d'impliquer le spectateur, en lui donnant des clés, mais sans juger outre mesure. Un film marquant, dont on doit aussi saluer l'ensemble de l'interprétation et notamment celle de l'époustouflant Denis Ménochet.

 

20170731_30_137435_leandersletztereise_trl_kino_720p.00002.jpg

 

Le dernier voyage de Leanders (Leanders letzte Reise), Nick Baker Monteys

Un vieil allemand entreprend un voyage en Ukraine, sur les traces de son histoire personnelle qu'il a toujours caché à sa famille. Sa petite-fille, contre son gré, l'accompagne dans un pays miné par la guerre, jusqu'à la frontière russe. Deux générations qui se heurtent à l'histoire en marche avec le rappel de ce que fut la seconde guerre mondiale à l'est quand la Wehrmacht s'alliait aux cosaques locaux pour combattre l'armée rouge. C'est un film très romanesque, aux péripéties parfois peu crédibles, mais qui tient par la quête insensée du vieillard et par le regard extérieur sur un conflit actuel complexe. L'émotion est à son comble dans les dernières scènes, en revisitant le passé, sans dédouaner pour autant son héros, criminel de guerre assumé. Le genre de film à projeter dans les écoles allemandes avec un débat à suivre. Pour son sens des nuances et de la fragilité des jugements faits sans connaître les tenants et les aboutissants d'une guerre abominable. Et parce que son héritage avec son cortège d'exactions n'a pas servi de leçon à l'humanité.



08/11/2017
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 50 autres membres