Parfaitement Alès (8)
L'Etabli de Mathias Gokalp
Adapté d'un roman de Robert Linhart, qui a marqué les esprits lors de sa parution, en 1978, L’Établi raconte l'histoire de l'auteur, militant d'extrême gauche et professeur d'université, embauché au sein d'une usine Citroën, quelques mois seulement après mai 1968. Le sujet est passionnant, pas seulement pour sa reconstitution historique, très réussie pour montrer l'esclavage des cadences infernales des chaînes d'assemblage de la célèbre 2 CV, mais aussi pour sa portée sociale et politique, dans le cadre des luttes ouvrières. Pour autant, le film échoue en partie à jouer sur deux tableaux : celui du collectif et celui de l'initiative personnelle d'un homme qui cherche à éveiller les consciences, tout en dissimulant, au moins du début de sa "mission", son statut de privilégié. L'on retrouve ici la thématique de "l'infiltré", qui a donné il y a quelques mois le Ouistreham d'Emmanuel Carrère, qui générait davantage d'émotion et d'ambigüité. C'est la mise en scène de Mathias Gokalp, assez peu convaincante, qui plombe surtout le projet malgré un Swann Arlaud investi auquel on reprochera peut-être une absence de charisme mais comment juger, sans connaître le véritable Robert Linhart. Par ailleurs, les rôles secondaires, tenus par Melanie Thierry et Denis Podalydès sont trop peu marquants pour donner davantage d'ampleur au film.
Normale d'Olivier Babinet
Réalisateur de l'excellent Poissonsexe, Olivier Babinet revient à un récit moins décalé, malgré de louables efforts d'imagination, avec Normale. Le film essaie de s'extraire des habituels récits consacrés à l'adolescence, aux multiples clichés, avec une héroïne à la double vie : à l'école, marginalisée de par son apparence physique et son manque de sociabilité ; à la maison, avec un père malade qu'elle doit materner. Cette chronique tente d'insuffler de la fantaisie pour éviter la pesanteur de la tragédie mais n'y parvient que rarement, se contentant d'une mise en scène sans véritable éclat et d'un scénario qui évolue trop scolairement entre tendresse, naïveté et fantasmagorie. Malgré sa bonne volonté, Normale manque de poésie et d'originalité, avec une voix off très présente et le recours à des illustrations musicales qui n'arrivent pas à transcender un traitement somme toute attendu, voire répétitif. Ce n'est qu'une impression mais Benoït Poelvoorde semble assez peu investi, dans un rôle il est vrai particulièrement ingrat. En revanche, la prestation de Justine Lacroix a le mérite de donner quelques couleurs à un film dans lequel le réalisateur semble quelque peu bridé par son cahier des charges, celui de l'adaptation de la pièce de théâtre intitulée Le monstre du couloir.
Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand
Il y a des films qui s'imposent par la force de l'histoire qu'ils racontent et d'autres qui impressionnent davantage par la vérité de leurs personnages. Chien de la casse, le premier long-métrage de Jean-Baptiste Durand, se caractérise nettement par le deuxième aspect, avec ses deux jeunes héros d'un village de l'Hérault, liés par une amitié particulière, l'un du genre tchatcheur et l'autre plutôt taiseux, les duo glandant de concert, avec une petite bande, le soir tombé. Une errance presque immobile, en attendant que quelque chose se passe. Alors que la banlieue est surreprésentée dans le cinéma français, la vie dans les campagnes, hormis via des portraits de paysans, a enfin droit de cité dans Chien de la casse dont l'atmosphère constitue le principal atout, avec la relation perturbante entre ces deux protagonistes principaux, souvent accompagnés d'un chien étonnant, qui n'est pas loin de voler la vedette aux acteurs. Impossible pourtant de passer sous silence la prestation étourdissante de Raphaël Quenard, déjà aperçu dans des productions récentes, et à de multiples reprises, mais qui stupéfie ici dans un premier rôle où il laisse s'exprimer sa singulière qualité de jeu et son invraisemblable débit de paroles, étonnant de par son naturel lié à une sorte d'étrangeté habitée. Ce comédien est une dangereuse grenade prête à exploser dans le cinéma français.
Le Colibri de Francesca Archibugi
Le Colibri, roman primé de Sandro Veronesi (également auteur de Chaos calme), était tellement touffu qu'une adaptation ne pouvait se faire que sous forme de série, un film de 2h00 ne pouvant qu’effleurer la puissance narrative d'un livre dans lequel résilience, mélancolie et force de caractère se conjuguaient pour dresser le portrait intense d'un homme guère ménagé par les coups du sort. Le film de Francesca Archibugi a conservé la temporalité bouleversée du roman, créant ainsi une sorte de puzzle narratif qui ne se reconstitue qu'au fil des minutes. En revanche, la relation entre le héros et le psychanalyste de sa femme, ingrédient essentiel de l’œuvre littéraire, a été largement diminué, lui enlevant un ingrédient essentiel. Bousculé par les changements incessants d'époque, et par le vieillissement peu convaincant à l'image de certains personnages, le spectateur a du mal à ressentir toute l'émotion contenue dans cette tragi-comédie qu'est l'existence. Du grand romanesque attendu, ne restent quelques bribes et des scènes parfois marquantes. Heureusement, le casting est impeccable, dominé par le toujours excellent Pierfrancesco Favino, auquel Laura Morante, Bérénice Bejo et Nanni Moretti, entre autres, donnent la réplique. Peut-être aurait-il fallu le talent de l'Ettore Scola de Nous nous sommes tant aimés pour rendre grâce à un matériau originellement trop riche ?
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