Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Concerto en Arras majeur (4)

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5 films aujourd'hui dont 4 réalisés par des femmes. Ce qui n'est pas pour me déplaire. D'Alger au Chili, de Londres à la Slovaquie : chronique d'un périple qui se poursuit.

 

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Si tu voyais son coeur, Joan Chemla

Un beau titre, Si tu voyais son coeur, pour le premier film de Joan Chemla. Avec un casting qui se distingue : Gael Garcia Bernal, Marine Vacth, Karim Leklou et le désormais indispensable Nahuel Perez Biscayart. On aimerait l'aimer plus ce film, parce qu'il vient d'une réalisatrice qui entend imprimer sa propre signature et parce qu'il est plutôt ambitieux, au moins sur la forme. Le premier reproche survient pourtant rapidement : en déconstruisant son histoire, en cassant son rythme chronologique, Joan Chemla doit orchestrer le chaos d'une narration qui fonctionne difficilement avec des allers et retours permanents entre le passé et le présent. Ce n'est pas que l'on s'y perde vraiment mais les enjeux sont écrasés par ce qui apparait comme une stylisation trop systématique. En ressort également une mythologie incertaine de la dérive, du désespoir monté en sautoir, avec l'amour avec un grand A comme seul espoir. On y trouvera une poésie plus poisseuse qu'élégiaque, avec le seul personnage qui fait exception (Marine Vacth), comme un contraste trop éclairé dans une lumière angélique et malade. Si tu voyais son coeur est tiré d'une nouvelle, cela n'explique pas les manques du scénario d'un film pétri de bonnes intentions mais encore maladroit dans son exécution.

 

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Le petit port (Piata lod), Iveta Grofova

Le cinéma slovaque émerge peu à peu (ce n'est pas qu'il n'existait pas mais on ne le voyait nulle part, hormis dans quelques festivals). Out, Leçon de classes et Le petit port (Piata lod) n'ont pourtant rien en commun si ce n'est la nationalité. La base de Piata lod est une histoire vraie : celle d'une fillette de 9 ans, délaissée par sa mère, qui enlève deux bébés et recrée avec un copain la cellule familiale qu'elle n'a pas. Le film, lui même adapté d'un livre, est un peu long dans ses scènes d'exposition avant d'en venir au coeur de son sujet. Iveta Grofova, dont c'est le deuxième long-métrage, semble hésiter entre naturalisme et onirisme. Son intérêt est inégal selon les scènes mais le film ne dévie jamais du point de vue de la fillette, se refusant à juger ou encore à se réfugier dans le récit à suspense. Pas entièrement probant mais tout de même intéressant.

 

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A l'heure des souvenirs (The Sense of an Ending), Ritesh Batra

Dans la carrière de Ritesh Batra, A l'heure des souvenirs se situe 4 ans après le merveilleux The Lunchbox, juste avant Nos âmes la nuit, tourné pour Netflix. Trois films de nationalités différentes : indienne, anglaise et américaine, mais avec une constante, la mélancolie. A l'heure du souvenir, au petit jeu des comparaisons, fait penser à l'excellent et sous-estimé 45 ans d'Andre Haigh, lequel revisitait également le passé de personnes âgées, avec Charlotte Rampling dans la distribution, comme autre point commun. Le deuxième film de Ritesh Batra illustre à merveille l'idée qu'aucune mémoire n'est fiable à partir du moment où elle enjolive ou omet volontairement certains faits. C'est le cas pour le personnage incarné par le toujours remarquable Jim Broadbent, bougon retraité et divorcé, qu'une simple lettre va replonger dans ses souvenirs pour s'apercevoir qu'ils diffèrent quelque peu de la réalité. Le film est tout ce qu'on attend d'un film britannique : nostalgique, lourd de secrets et de mensonges dissimulés mais jamais pesant grâce à un humour permanent. Beaucoup de non-dits et de pudeur aussi dans ce long-métrage qui ne force pas l'émotion et se révèle assez cruel à l'occasion. Se protéger des souffrances de l'existence, tout au long de sa vie, est aussi une façon de passer à côté et de se barder de certitudes. Ce genre de questions, le film de Batra les évoque sans insister outre mesure, laissant au spectateur, avec sa propre sensibilité, le soin d'y apposer son expérience et des réponses qui n'appartiennent qu'à lui seul.

 

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Les bienheureux, Sofia Djama

Pourquoi Sofia Djama a t-elle placé l'action de son premier film, Les bienheureux, en 2008 ? Parce que c'est pile 20 ans après la révolution de 1988 en Algérie, lui permettant de tracer des lignes entre deux générations, celle des sympathisants de l'époque, âgés d'une cinquantaine d'années en 2008, et celle qui est née après 1988. Les bienheureux, titre ironique s'il en est, est un film choral qui ne cesse de passer des plus anciens, un couple plus particulièrement, à un groupe de jeunes, en tissant entre eux des liens plus ou moins ténus, avec une interrogation commune : comment continuer à vivre dans un pays qui, après les exactions de la guerre civile, ne semble pas capable de croire en son avenir ? Le film de Sofia Djama est un film éminemment politique, tout en offrant à voir une palette de destins individuels. C'est aussi un portrait amoureux de la ville d'Alger, notamment à travers son étonnante variété architecturale. Très bien écrit, le film pourra sembler languissant à ceux qui n'aiment pas les conversations animées mais, d'un autre côté, il est impossible d'être insensible à cette sorte de sentiment que tout peut arriver à n'importe quel moment, y compris des morts violentes. Les bienheureux est notamment porté par deux actrices remarquables, Lyna Khoudri, qui a obtenu un prix d'interprétation à Venise, et Nadia Kaci, qui aurait encore davantage mérité cette récompense.

 

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Mariana (Los perros), Marcela Said

Insolente, imprévisible, curieuse, têtue : telle est Mariana, l'héroïne du film éponyme (Los perros, en V.O) de la chilienne Marcela Said, son deuxième long-métrage après L'été des poissons-volants. Au-delà du personnage central de Mariana, la réalisatrice montre que la société patriarcale et machiste domine toujours au Chili et que s'y faire une place en tant que femme n'est pas plus facile sous prétexte que l'on appartient à la haute bourgeoisie (mais au moins, on a l'argent pour essayer de s'émanciper). Le film est aussi et peut-être surtout une étude sur la population qui a collaboré avec la dictature, pendant 17 ans. Pas des bourreaux, non, mais de simples civils, des patrons d'industrie ou des financiers. Le film, un peu raide dans sa mise en scène et pas vraiment fluide dans sa narration, joue avec les ambigüités du regard d'une grande partie de la population chilienne vis à vis de ces années de plomb. Mais il ne s'agit pas pour Marcela Said de livrer une oeuvre politiquement correcte, bien au contraire. Pas de vrais "méchants" dans le film mais des personnalités nuancées à l'image de Mariana qui si elle s'intéresse à ce qu'ont fait dans le passé les hommes qu'elle côtoie, elle les juge d'abord au présent, d'après les qualités humaines qu'elle ressent. Ce qui rend le long-métrage troublant et un brin inconfortable. Tant mieux.



07/11/2017
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