Vu à La Rochelle (10)
Dernier jour à La Rochelle. A défaut d'un feu d'artifice final, de belles séances avec Bellocchio, Desplechin et, à un degré moindre, Porumboiu. Et pour terminer, Stitches, un film serbe de très belle facture.
Le traître, Marco Bellocchio, sortie le 30 octobre
Ce qui est étonnant avec un cinéaste aussi chevronné que Marco Bellocchio (80 ans en novembre, 54 années d'activité et 26 longs-métrages), c'est que le meilleur de sa filmographie se trouve dans la période la plus récente, avec notamment Vincere et Fais de beaux rêves. Et Le traître n'est pas loin de les valoir, alors qu'il s'agit d'un énième portrait d'un mafioso, en l'occurrence, palermitain. Le film, entre Rosi et Scorsese, est une évocation magnifique d'un "homme d'honneur", du moins se définissait-il comme tel, qui ne se considéra jamais comme un repenti malgré ses révélations au célèbre juge Falcone. Sa vie a été on ne peut plus romanesque, tout au long d'un parcours où, en bon sicilien, il s'évertua à protéger sa famille et à essayer de mourir paisiblement dans son lit. Au-delà des épisodes violents, et il y en a de nombreux dans Le traître, qui appartiennent au registre de la tragédie, ce sont les scènes de procès qui impressionnent le plus par leur théâtralité baroque, à ranger dans la catégorie Comedia dell'arte. Ces moments d'affrontement verbaux entre parrains du crime organisé sont filmés de manière limpide et fluide, donnant lieu à des échanges de haute volée, riches en ironie et en humour. Bellocchio ne perd jamais de vue son sens de l'équilibre entre l'intime, le politique et le social, accélérant quand c'est nécessaire à l'action, ralentissant le reste du temps, nous immergeant totalement dans l'existence tumultueuse de son personnage principal. Directeur d'acteur hors pair, le cinéaste trouve en Pierfrancesco Favino l'interprète idéal, sobre mais expressif, capable de rendre toutes les ambigüités d'un individu complexe, rusé comme un renard, sans chercher à le rendre sympathique ou antipathique mais simplement humain.
Roubaix, une lumière, Arnaud Desplechin, sortie le 21 août
Le dixième long-métrage de fiction d'Arnaud Desplechin ressemble assez peu à ses films précédents et c'est en grande partie pour le meilleur. L'évocation du quotidien d'un commissariat de police de sa ville natale est pour lui l'occasion de livrer une peinture sociale des plus sincères, sans pour autant céder au misérabilisme et sans renoncer à son goût du romanesque. Roschdy Zem, d'une douceur presque angélique et d'une humanité désarmante, incarne un policier à l'écoute, aussi solitaire que doué d'empathie et de discernement face aux personnages cabossés qu'il rencontre. Pendant une heure, Roubaix, une lumière, est captivant, nous montrant un Desplechin généreux et débarrassé de quelques-uns de ses tics de cinéaste intellectuel. Malheureusement, sans doute soucieux de recentrer son film sur une enquête unique, la deuxième partie du film se focalise sur un cas spécifique, la résolution assez laborieuse de l'assassinat d'une vieille dame. Il y a des longueurs alors dans ce qui rappelle des huis-clos comme Garde à vue malgré l'intérêt de montrer comment des policiers s'y prennent pour parvenir à arracher des aveux. Léa Seydoux et Sara Forestier partagent alors les scènes avec Roshdy Zem et le film y perd de sa fluidité initiale pour se contraindre à un classicisme psychologique un peu usé. C'est sans doute l'occasion pour Desplechin de se colleter à un genre codifié, en essayant d'y apporter sa propre sensibilité, mais le propos se restreint alors et l'intérêt du spectateur ne peut que se diluer.
Les siffleurs, Corneliu Porumboiu, sortie le 15 janvier 2020
Corneliu Porumboiu, avec 5 longs-métrages à son actif, est sans doute le cinéaste roumain le moins prévisible, se renouvelant de film en film et parfois au sein du même (voir Policier, adjectif). Après le succulent et très drôle Le trésor, Les siffleurs se situe sur un autre registre, celui du film noir, ultra référencé (de Hitchcock à Ford), et nettement moins délectable que son précédent. La faute à un montage un brin anarchique, qui se joue de la chronologie et qui rend le récit volontairement opaque. C'est un peu gênant même s'il y a une certaine jubilation narrative dans Les siffleurs et si, après tout, on peut bien se laisser aller à une intrigue indéchiffrable comme dans Le faucon maltais. Le dénouement du film, sous forme de feu d'artifice visuel, est d'ailleurs très réussi, sans pour autant compenser la confusion qui a régné auparavant. Un bon point quand même pour l'indispensable femme fatale, ici incarnée par la très belle Catrinel Marlon. Pour le reste, Porumboiu s'est évidemment beaucoup amusé à jouer avec les conventions du genre. C'est simplement dommage qu'on se sente un peu moins d'humeur ludique devant le spectacle proposé. Peut-être faudrait-il s'abandonner davantage et laisser de côté son tempérament cartésien. Mais bon, on ne se refait pas.
Stitches, Miroslav Terzic, sortie indéterminée
Le remarquable site Cineuropa prétend que Stitches est sans conteste le meilleur film serbe depuis l'excellent Circles (2013) et on peut lui donner raison, même sans avoir vu l'intégralité de la production d'un pays qui exporte peu ses films, surtout quand il n'y est pas question des traumatismes consécutifs à la guerre. Stitches évoque le cas d'une femme dont le bébé a été déclaré décédé à la naissance, au début des années 90. Le film montre l'acharnement de cette mère à démontrer qu'on lui a menti, quitte à passer pour folle, y compris aux yeux de sa famille. Elle n'est pas un cas isolé, d'ailleurs, 500 cas similaires, datant de la même époque, n'ayant toujours pas été élucidés. Stitches est à la fois une étude psychologique très fouillée, d'une sobriété et d'une dignité exemplaires, mais aussi une sorte de thriller où l'on espère que la vérité finira par éclater. Le film de Miroslav Terzic, son deuxième long-métrage, ne quitte pratiquement jamais son héroïne instable, nous faisant douter de sa santé mentale et admirer son incroyable courage dans sa quête impossible pour connaître le véritable sort de son fils perdu. Admirablement interprété par une comédienne de théâtre, ce personnage est d'une fragilité et d'une persévérance absolues donnant le ton d'un film captivant qui a été présenté à la Berlinale 2019. Il mériterait bien de sortir dans les salles françaises mais n'a pas pour l'heure de distributeur, hélas.
Et les meiieurs films en avant-première ou inédits du Festival de La Rochelle ont été :
1. Portrait de la jeune fille en feu
2. Le traître
3. It must be Heaven
4. Stitches
5. Little Joe
6. Les misérables
7. A White, White Day
8. Monos
9. Bacurau
10. Le mariqge de Verida
Et la meilleure rétrospective, celle de Victor Sjöström.
A l'année prochaine !
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