Ramdam à Rotterdam (3)
Rotterdam, encore. La route passe aujourd'hui par l'Espagne, la Côte d'Ivoire et le Tibet.
Flash puissant (Destello Bravío), Ainhoa Rodriguez, Espagne.
Dans un petit village espagnol, déserté par les plus jeunes, des femmes vivent dans l'apathie des jours où rien ne se passe. Destello bravío est le premier long-métrage d'Ainhoa Rodriguez, une œuvre manifestement nourrie à l'école du documentaire et interprétée par de "vraies personnes" qui ne jouent pas leur propre rôle mais dont on peut imaginer que c'est un peu le reflet de leur existence. Le village décrit semble hors du temps, comme une maison de retraite à ciel ouvert, à peine troublé par la procession religieuse annuelle. Comme les personnages n'ont que peu d'interactions entre eux et qu'ils sont nombreux, impossible de s'attacher à l'un d'eux et l'ennui n'est pas une option quand aussi peu de choses arrivent même si la réalisatrice essaie parfois d'instaurer un climat fantastique ou onirique. Bien entendu, l'on comprend où le film veut en venir, en évoquant l'exode rural, la solitude et le naufrage de la vieillesse. Ainhoa Rodriguez aurait pu choisir la forme documentaire pure ou bien une fiction ramassée autour d'un petit nombre de protagonistes. Conçu de manière hybride, le film ne ressemble qu'à une suite de saynètes,très courtes, qui ne suscitent qu'un lourd sentiment de spleen.
3/10
La nuit des rois, Philippe Lacôte, Côte d'Ivoire.
Quand la lune est rouge et que le chef des détenus de la prison de la MACA à Abidjan est menacé dans son autorité, il ne reste plus qu'à désigner un prisonnier pour raconter des histoires pendant toute la nuit. Ce n'est pas Shéhérazade, mais quelque chose d'approchant, alors que la violence peut surgir à tout moment, sous l’œil impuissant des gardiens. Dans La nuit des rois, Philippe Lacôte ne se contente pas d'un film de prison, bien qu'il en respecte les caractéristiques. Il l'enrichit de théâtralité, de chorégraphies, en appliquant un récit de griot à l'univers carcéral. Le film s'évade aussi hors des murs et embrasse l'histoire récente de la Côte d'Ivoire aussi bien que celle plus ancienne, lorsque des royaumes s'affrontaient. Difficile de réunir tous ces ingrédients hétéroclites et contraires mais le réalisateur y parvient, intégrant même quelques scènes fantastiques quand le besoin s'en fait sentir. La réalité, le mythe et la magie se rejoignent dans les histoires de La nuit des rois, entrelacés comme dans un roman africain nourri de réalisme magique. L'énergie insufflée par l'ensemble de l'interprétation participe à faire de La nuit des rois un spectacle qui sort des sentiers battus. Alors que le cinéma d'Afrique subsaharienne est quasi porté disparu, le film rappelle qu'il possède toujours des créateurs capables d'offrir des fictions riches qui ne copient en rien les modèles français ou américains.
7/10
Bipolaire (Bipolar), Queena Li, Chine.
C'est l'histoire d'une fille qui traverse le Tibet avec à bord de sa voiture un homard vivant, subtilisé dans un restaurant. Comme Bipolar n'est pas linéaire, des flashbacks vont évoquer sa vie d'avant (à la fille, mais aussi au crustacé) et le deuil qu'elle essaie de surmonter. Quoique ce n'est pas aussi simple que cela et le titre du film a aussi une explication dans le passé de la jeune femme, avec son comportement passablement erratique. Le premier long-métrage de Queena Li, dans un noir et blanc très chic, est un road-movie ultra stylisé qui multiplie les rencontres étranges et les événements baroques. Tout ceci est bien joli, amusant parfois aussi, mais à vrai dire pas très consistant, hors l'exercice de style visiblement destiné à épater la galerie. Rien à voir avec les polars existentiels que l'on a pu voir ces dernières années en provenance de Chine. Selon le résumé du film, il s'agirait d'une transcription moderne du mythe d'Orphée, ce que l'on aurait pas imaginé un seul instant en le voyant. Bipolar est un objet de festival, suffisamment opaque et raffiné pour séduire quelques esthètes. Son manque de contenu et ses prétentions auteuristes le disqualifient pourtant, nonobstant une prestation attrayante de son actrice principale. Incidemment, c'est aussi une belle promotion pour le tourisme au Tibet.
4/10
A découvrir aussi
- Les tribulations d'un cinéphile à La Rochelle (2)
- Ecran total à La Rochelle (6)
- Intermède au Cinemed (1)
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 50 autres membres