Cinéphile m'était conté ...

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Nantes sur Croisette (4)

L'agent secret de Kleber Mendonça Filho

Walter Salles avait placé la barre très haut avec son excellent Je suis toujours là mais pour élire le prix fictif du meilleur film latino-américain de l'année, à parvenir sur nos écrans, il sera permis d'hésiter avec l'opus nouveau de Kleber Mendonça Filho, à savoir ce merveilleux Agent secret. Ample, profond et riche en sédiments variés, le film évoque la dictature militaire brésilienne, sans avoir besoin de la nommer, dans un récit qui s'autorise un beau suspense mais ne s'interdit aucun genre pas même dans les registres du fantastique ou de l'absurde. Par quelle magie est-ce que tout fonctionne à plein dans L'agent secret, y compris une fantaisie temporelle qui ajoute encore une couche d'intérêt ? La qualité de son écriture, évidemment, et l'agilité de sa mise en scène, pour sûr, tellement visible dans une première scène au milieu de nulle part et qui permet de se dire, d'emblée, c'est donc cela un grand film ! On y ajoutera le casting, à commencer par l'immense Wagner Moura, épatant, magnifiquement entouré par une galerie de "gueules" qui apportent un parfum d'authenticité supplémentaire au Recife des années 70, dans lequel une salle de cinéma joue un rôle primordial. Pour connaître le sort réservé aujourd'hui à ce temple du 7ème art, un peu de patience, la révélation figure dans les derniers instants de ce film de 160 minutes qui semble en durer trois fois moins.

 

Un simple accident de Jafar Panahi

On peut être passionné depuis bien longtemps par le cinéma iranien et saluer le courage de ses réalisateurs qui réussissent à tourner, même sous la contrainte ou sans autorisation, et trouver que Un simple accident n'avait pas l'étoffe d'une Palme d'Or, si ce n'est politique, ce qui peut s'entendre. Jafar Panahi semble avoir voulu lâcher toute sa rage et celle du peuple iranien, comme s'il n'avait plus rien à perdre, dans une attaque en règle sans concession d'une dictature religieuse dont on attend toujours vainement la chute. Pourquoi émettre des réserves, alors, dans ce scénario qui évoque la vengeance des humbles et des meurtris contre les laquais du régime, ceux qui torturent et sacrifient des vies ? Pour la mise en scène, surtout, car Panahi a été nettement plus inspiré par le passé, mais aussi pour son scénario, aux lourdes tendances démonstratives et qui réduit un peu ses personnages à des stéréotypes, dans une suite de scènes un tantinet redondantes tendant à démontrer que les bourreaux meurent aussi. En somme, si l'on ne peut que soutenir Panahi, comme cela a été le cas avec Roustaee ou Rassoulof, auparavant, pour ne citer que deux autres réalisateurs, il doit être permis de ne pas se sentir totalement convaincu, cinématographiquement parlant, par Un simple accident. Dans la même compétition cannoise, Woman and Child, malgré quelques excès mélodramatiques, montrait davantage de brio au service d'un scénario implacable, rythmé comme un thriller.

 

Dossier 137 de Dominik Moll

En passant du 12 (La nuit du) au 137 (Dossier), Dominik Moll s'attaque à une autre paire de manches, très sensible, en revenant sur la crise des gilets jaunes et tout ce qui tourne autour, à commencer par l'action de la police jusqu'à la gestion de la période par le gouvernement français. Inspiré de faits réels, Dossier 137 se caractérise par la solidité de son scénario, dès lors qu'il s'agit de suivre une enquête menée par l'IGPN, lente, difficile et soumise à des pressions. Avec sa manière fluide et proche d'un documentaire, toute cette partie du film se révèle particulièrement convaincante, au moins jusqu'aux dernières scènes, qu'il est permis de trouver trop démonstratives, voire même, osons le mot, démagogiques, mais cela se discute, très certainement. Dans le même temps, le film tente d'humaniser son personnage principal de policière, dont le travail délicat est d'estimer si certains de ses collègues ont fauté. Seulement, le récit est nettement moins équilibré dès lors que la vie privée de cette femme vient se mêler à son expertise professionnelle. Léa Drucker est cependant impeccable, sur tout les registres, et n'est pas loin de parvenir, presque à elle seule, à rendre moins fragile l'édifice narratif. A chaque jour suffit son IGPN mais évoquer son activité est sans doute plus facile dans un polar pur et dur que sur un registre plus social.

 

Valeur sentimentale de Joachim Trier

La Valeur sentimentale, dans le film de Joachim Trier, c'est celle accordée à la magnifique maison familiale, mais l'expression peut à coup sûr s'étendre aux relations difficiles entre un père cinéaste, plus souvent absent qu'à son tour, et ses deux filles qui ont suivi des voies professionnelles différentes. L'une joue, l'autre pas, l'une semble équilibrée, l'autre moins, mais ces deux sœurs ont beaucoup en commun, à commencer par leur enfance. Il manque une sœur pour se retrouver chez Tchekhov, mais l'atmosphère est bien dans ce registre-là, à moins de préférer parler de climat Bergmanien; ce qui n'est pas faux, non plus. Mais au-delà des influences éventuelles, ce qui séduit dans Valeur sentimentale, c'est son humanité, souvent blessée, et l'intensité douce de scènes qui se succèdent, sans que l'on sache jamais quel personnage va être privilégié dans la prochaine séquence, chacun à leur tour, isolément ou ensemble. Des portraits croisés, en somme, plus complexes qu'il n'y paraît, et un rappel des générations précédentes dont les drames ont nourri l'histoire familiale et celle de la maison qui l'a abritée. Valeur sentimentale est un ouvrage à la musicalité et à la poésie certaines, admirablement servies par l'élégance de la mise en scène de Joachim Trier et la qualité de ses interprètes, de l'illustre Stellan Skarsgård à la désormais indispensable Renate Reinsve (sa prestation est à mille lieux de celle de La Convocation), en passant par l'inconnue Inga Ibsdotter Lilleaas. Ils contribuent tous à ce que ces instants norvégiens deviennent inoubliables.

 



26/05/2025
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