La Croisette nantaise (3)
Troisième et dernier jour"cannois" à Nantes. Sorrentino, Audiard, Arnold : c'est prometteur !
Bird de Andrea Arnold
Le Bird d'Andrea Arnold ne deviendra peut-être pas aussi célèbre que le jazzman éponyme du long-métrage de Clint Eastwood mais il a des arguments à faire valoir et, en premier lieu, celui d'être incarné par le génial Franz Rogowski, toujours aussi étrange et pénétrant. A part cela, il s'agit bien d'un film qui porte la signature, désormais familière, d'une cinéaste britannique qui prend toujours le social à bras-le-corps, dans l'âpreté et sans nulle mièvrerie pour décrire la vie d'exclus de la société, en toute dignité. Dans Bird, s'y ajoutent une touche de fantastique et une B.O énergisante, dans une démarche qui reste sincère, honnête et humaniste. Des oiseaux, petits et gros, il y en a une foultitude dans le film, comme des symboles d'une liberté que ses personnages ont bien du mal à conquérir, dans un contexte de violence et de dénuement. Il y a une spontanéité chez l'adolescente qui tient le rôle principal et chez tous les personnages qui l'entourent, qui ne peut être que le fruit d'un énorme travail et d'une direction d'acteurs impeccable, de manière à ce que la vérité émerge, dans sa nudité la plus réelle, sans verser pour autant dans un quelconque misérabilisme. Il s'agit seulement de la vie, lorsqu'elle est dure et sans concession mais pas dénuée espoir d'amélioration, non plus.
Emilia Perez de Jacques Audiard
A son âge et avec la renommée qui est la sienne, Jacques Audiard aurait pu la jouer cool, avec un thriller hexagonal dont il maîtrise tous les codes. C'est mal connaître l'animal qui s'est imposé de nouvelles limites avec ce Trans Narco Express qui mélange pas mal de genres, dont la comédie musicale, et raconte une histoire qui aurait pu vite tomber dans le pittoresque grotesque sans le savoir-faire, la témérité et le talent, cela va sans dire, du réalisateur. Les trois femmes de son casting (disons quatre, et l'on n'en parle plus) sont littéralement époustouflantes, ce qui valait bien un prix collectif d'interprétation à Cannes. Doté d'un rythme trépidant, au fil d'une intrigue qui ne cesse de se renouveler, Emilia Perez s'appuie sur un portrait sans fards de la violence mexicaine, ce qui n'est certes pas inédit au cinéma mais la manière dont Audiard s'empare du sujet, âprement mais surtout humainement, force le respect, sans que le cinéaste abandonne l'idée de rester fidèle à son projet d'innover par la forme, y compris lorsqu'elle se fait ludique. Au fond, pour n'importe quel film, la même question peut se répéter : quelles sont les scènes inutiles, de celles qui, supprimées, auraient donné davantage de dynamisme ? Dans le cas d'Emilia Perez, l'on peut aisément répondre : aucune !
Parthenope de Paolo Sorrentino
Pompeux, le dernier Sorrentino ? Par essence, la représentation de la beauté n'a t-elle pas cette caractéristique intrinsèque, tout du moins pour ceux qui la trouvent creuse plutôt que profonde. Si l'on veut bien admettre que la trame narrative de Parthenope, malgré le passage du temps, n'est pas son point fort, est-ce une raison pour vouer aux gémonies ce portrait de Naples, symbolisée par une femme dont la splendeur laisse coi (Celeste Dalla Porta, dans son premier long-métrage, qui est loin de capitaliser uniquement sur sa plastique, n'en déplaisent aux mauvaises langues) ? Là où certains dénoncent la pompe, il n'est pas interdit d'y voir une forme de grâce, dans cette tranche napolitaine qui n'oublie pas les côtés misérables de la capitale de la Campanie. Parthenope est à déguster comme une célébration de la ville (jusqu'au titre historique de champion d'Italie de football, en 2023), de son tempérament artistique et de sa monstruosité (l'une des scènes finales, traumatisante). Enfin, bref, que ceux qui n'aiment pas Parthenope n'en dégoûtent pas les autres, en particulier les amoureux de Naples, cité baroque et excessive, et même céleste, sans que cela soit une allusion à l'actrice principale du film, quoique ...
Diamant brut de Agathe Riedinger
A quoi rêvent certaines jeunes femmes d'aujourd'hui ? Pas au Prince charmant, c'est sûr, mais à une réalité augmentée de leur existence, avec un corps modifié, des nuées de followers, l'espoir de devenir influenceuse et, avant cela, le piédestal de la télé-réalité, cet étonnant miroir aux alouettes moderne. Il y a une forme d’ambiguïté dans Diamant brut, qui en fait d'ailleurs l'intérêt : la réalisatrice, Agathe Riedinger, nous rend son apprentie à la notoriété des réseaux autant attachante, de par sa vitalité et son énergie, que pathétique, avec son obsession de standards plastiques qui paraissent bien grotesques et vulgaires. La balance penche plutôt du second côté, en définitive, mais le film nous laisse libre de forger notre propre jugement. Le milieu social dans lequel vit la jeune héroïne (Malou Khebizi est très convaincante) est sans doute assez convenu, avec une mère démissionnaire, à mille lieux des aspirations de sa fille, mais le film conserve dans la continuité toute son âpreté et ne fait aucune concession à une quelconque joliesse. En ce sens, il est presque plus britannique que français, quoique certains cinéastes d'ici, à commencer par Maurice Pialat, ont démontré dans le passé qu'empoigner la réalité, sans prendre de gants, ne leur était pas étranger.
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