Cinéphile m'était conté ...

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La Croisette à Nantes (2)

Sans filtre de Ruben Östlund

La nature humaine, surtout vue à travers ses bassesses et sa médiocrité, est le sujet préféré de Ruben Ôstlund qui n'hésite pas à pousser le curseur à son maximum dans Sans filtre (traduction oiseuse de Triangle of Sadness) dans lequel le capitalisme prend cher, à travers quelques uns de ses représentants fortement malmenés. Au début, avec ce couple de mannequins/influenceurs qui discutent ad nauseam d'une addition de restaurant, difficile de dire vers quels rivages se dirige le film mais attention, la suite va être délirante et spectaculaire, le cinéaste s'autorisant tous les excès pour mener à bien son entreprise de démolition qui complète et dépasse Snow Therapy et The Square qui paraissent finalement bien sages face à ce brûlot. Au passage, cette nouvelle Palme d'Or ne fera sûrement pas l'unanimité, tellement Östlund se permet toutes les provocations dans cette fable où il tire principalement sur les plus riches de ce monde, ce qui n'est pas précisément un acte de courage. Mais il y a une telle jubilation dans ce jeu de massacre par ailleurs écrit à la perfection, avec quelques ellipses à la clé, qu'il y aurait mauvaise grâce à faire la fine bouche devant un spectacle où la débâcle humaine et le retour à une certaine sauvagerie primitive sont susceptibles de déclencher un début d'hilarité, à moins que le rire ne reste coincé dans la gorge. La lutte des classes prend dans Sans filtre une forme grotesque qui devient grandiose dans certaines scènes apocalyptiques (sur le yacht) qui confinent presque au génie (mais que tout le monde n'appréciera pas à sa juste démesure). C'est à se demander jusqu'où le cinéaste suédois ira trop loin dans son prochain opus, encouragé dans ses outrances maintenant que le voilà doublement palmé. Reste une interrogation : comment a-t-il pu rater à ce point son dénouement de Sans filtre, seule fausse note dans une symphonie chaotiquement magistrale ?

 

Tori et Lokita de Luc et Jean-Pierre Dardenne

A l'instar d'un Loach, le cinéma social des frères Dardenne forme un tout homogène mais dont chaque œuvre séparée possède sa structure particulière et des nuances dans le ton. Pour évoquer l'immigration africaine en Belgique et l'utilisation des enfants et adolescents qui en sont issus à des fins délictueuses, les réalisateurs ont choisi d'épurer leur trame jusqu'à l'os, nous privant de ce fait d'un certain nombre d'informations qui auraient été utiles pour comprendre les situations qui nous sont délivrées sans ménagement, nous immergeant de manière brutale dans une jungle urbaine sans pitié. Le film est entièrement focalisé sur ses deux jeunes héros, interprété par des amateurs parfois livrés à eux-même, le reste étant composé d'individus nuisibles et sans nuances aucune. La solidarité entre les deux personnages principaux est touchante mais la linéarité du film ne leur donne pas une consistance suffisante pour que l'on se prenne vraiment à les accompagner dans leur court périple hérissé de dangers. Les messages sous-jacents sont suffisamment compréhensibles pour que les Dardenne se contentent de faits (jusqu'à quel point sont-ils inspirés par la réalité ?) exposés dans leur crudité. C'est efficace mais sur un mode mineur dans un exercice tout entier tourné vers le drame et donc nécessairement frustrant pour qui attend davantage sur le plan narratif, sans parler d'une mise en scène purement fonctionnelle.

 

Mascarade de Nicolas Bedos

Mascarade part très mal avec des témoignages lors d'un procès, qui vont revenir à intervalles réguliers, et des flashbacks qui vont nous guider (lourdement) pour comprendre le pourquoi du comment d'une affaire nébuleuse. Sauf que, d'emblée, tous les personnages y sont antipathiques au possible, la plupart étant surjoués par des interprètes prestigieux (voir plus loin) mais très mal dirigés par un Nicolas Bedos que l'on a connu bien meilleur dans cet exercice. Le scénario n'est pas fameux, il est vrai, habillé de chausse-trappe plus ou moins grossières, et dominé par le sexe, l'argent et le pouvoir, trilogie reine en surcote d'Azur, région privilégiée par les cinéastes pour diffuser une amoralité sans complexe. Tout semble factice dans Mascarade, qui porte bien son nom : le récit, qui plus est, parait interminable, les personnages, se révèlent imbuvables, à commencer par le gigolo et la gigolette d'opérette, sans oublier leurs victimes. C'est une vraie désillusion pour qui apprécie habituellement l'écriture de Bedos car ici c'est la vulgarité qui s'impose de bout en bout, un théâtre de marionnettes qui a dû amuser l'auteur mais qui n'est jamais drôle et au contraire pathétique. Quelle tristesse de voir les rôles qu'ont à défendre Isabelle Adjani, qui se la joue Bette Davis, ou François Cluzet, peu crédible (ce n'est pas mieux pour la merveilleuse Laura Morante). Pierre Niney semble lui étrangement peu présent, peut-être conscient du ridicule des situations et des dialogues alors que Marina Vacth s'en tire bien mieux, n'hésitant pas à se donner à fond. Hors de prix, de Pierre Salvadori, sur un registre voisin et dans quasiment les mêmes lieux, possédait un charme cruellement absent de cette peu aimable Mascarade.

 

La nuit du 12 de Dominik Moll

Depuis quelques années, les scénarios des films de Dominik Moll devenaient de plus en plus complexes, largement tributaires de hasards et de coïncidences, dans une virtuosité un peu gratuite. Point de cela avec La nuit du 12, qui marque un retour à une (apparente) simplicité autour d'une enquête policière, inspirée de faits réels, autour d'un féminicide. Pourquoi cette enquête ne progresse plus à partir d'un certain point, en quoi hante-t'elle en particulier l'un des flics, peut-elle même influer sur la bonne entente d'un groupe amené à travailler ensemble sur la résolution de l'affaire ? Autant de questions évoquées dans La nuit du 12, perçant l'humanité de cœurs endurcis par la répétition des crimes à élucider, pointant du doigt le manque de moyens, s'interrogeant sur ce monde très masculin (souvent ce sont des hommes qui tuent et presque toujours ce sont des hommes qui sont chargés de faire la police). Il y a de vrais points de vue dans le film, pas assénés comme des vérités mais dites de manière cohérente, sur ce que la violence signifie des rapports entre hommes et femmes (on n'est pas obligé d'approuver mais on peut y réfléchir). Bastien Bouillon est exceptionnel dans le rôle principal, en policier taiseux et tourmenté, formant un duo très efficace avec un Bouli Lanners qui, derrière un sempiternel côté bourru, parvient à se renouveler à chacun des personnages qu'il incarne.

 



29/05/2022
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