Kurahara en courant
Koreyoshi Kurahara (1927-2002) fait partie de la nouvelle vague japonaise qui a débuté à la fin des années 50. Il est surtout réputé pour ses films noirs et jazzy. Le prestigieux éditeur américain Criterion vient de lui consacrer un somptueux coffret.
J'attends (Ore wa matteru ze, Koreyoshi Kurahara, 1957)
Premier film de Kurahara. Quelle maîtrise ! Une première partie dans un petit restaurant entre chemin de fer et port de commerce. Deux solitudes douloureuses, deux êtres désillusionnés, s'apprivoisent, sans y croire. Ambiance Hôtel du nord. Noir et blanc, ombre et lumière. Superbe. La deuxième partie est plus conventionnelle. Trame de film noir, vengeance chez les yakuzas. Grands coups dans la gueule de petites frappes. Le son velouté d'un saxo crée l'atmosphère. Beau bilan pour un début. Interprétation racée de la belle Mia Kitahara dans le rôle d'un "canari qui a oublié comment chanter."
Intimidation (Aru kyouhaku, Korayoshi Kurahara, (1960)
Un banquier véreux et méprisant est menacé par un maître-chanteur qui l'oblige à cambrioler sa propre banque. Film noir tendu, d'un classicisme de bon aloi. Si ce n'est que dans le dernier quart d'heure, un twist inattendu fait tout basculer. Il s'agissait en fait d'un film sur le respect et l'humiliation. Comme le dit le proverbe chinois : "Quand tu t'élèves dans la hiérarchie, ne sois pas condescendant envers ceux que tu croises, ce seront les mêmes que tu verras que tu redescendra." Rusé le Kurahara !
The Warped Ones (Kyonetsu no kisetsu, Korayoshi Kurahara, 1960)
Pas la peine de tenter de résumer, c'est juste l'histoire d'un jeune type qui n'en a rien à foutre et qui vit son existence de rebelle amoral, volant, violant et humiliant sur son passage. Filmé caméra à l'épaule sur un tempo jazz survitaminé et sous un soleil de plomb, on a l'impression d'assister au premier film punk de l'histoire du cinéma (les films d'Oshima sur la jeunesse japonaise, tournés à la même époque, semblent bien soft à côté). Le plus étonnant est que tout ça tient la route, on ne sait trop par quel miracle, et s'achève par un énorme éclat de rire nihiliste. No fucking future !
I hate but love (Nikui anchikusho, Koreyoshi Kurahara, 1962)
Pas mal jusqu'ici Kurahara, mais rien vu encore de transcendant. I hate but love relève sérieusement le niveau. Le réalisateur est fidèle à son style fiévreux, à son rythme convulsif, à son montage cut. Mais cette fois, le scénario a du coffre et développe des thèmes plutôt en avance sur son temps : la starisation des présentateurs télé, la toute puissance et l'indécence du marketing publicitaire et, plus globalement, la pipolisation à outrance. Le tout serti dans un road movie ingénieux qui nous balade de Tokyo à Kyushu. Quand Kurahara s'attaque à ce qui est, au fond, une comédie romantique, ça dépote grave. Jouissif !
Black Sun (Kuroi Taiyo, Koreyoshi Kurahara, 1964)
Pour ceux qui aiment le jazz. Portrait d'un mauvais garçon, qui se la joue cool, résidant dans un squat, fou de musique, au point d'appeler son chien Monk. Le jour où il tombe nez à nez avec un grand G.I noir, c'est l'extase. Black is beautiful ! Pas pour longtemps, car le soldat vient de tuer un collègue et est passablement nerveux, avec une balle dans la cuisse. Il commence par abattre l'ami canin de notre héros mélomane, qui n'apprécie pas. S'en suit un affrontement entre les deux compères, puis un cavale avec toute la police de Tokyo aux trousses. C'est alors du grand n'importe quoi qui swingue, rythme syncopé et virée en bagnole décapotable. Le film de Kurahara ne manque pas d'arguments, dommage que le scénario soit répétitif et relativement prévisible.
Thirst for Love (Ai no kawaki, Koreyoshi Kurahara, 1966)
Adapté du roman éponyme de Mishima, le film de Kurahara est un petit chef d'oeuvre torride, d'où le désir et le goût du sang, ils vont bien ensemble, exsudent. L'histoire rappelle vaguement celle de Lady Chatterley. Une jeune veuve vit, et couche, avec son beau-père et d'autres membres de la famille (avec lesquels elle ne couche pas). N'empêche que c'est le jardinier qui affole ses sens et qu'elle lorgne sans vergogne. Inutile de préciser que tout cela finira mal. Très mal. La mise en scène est époustouflante, inventive au possible (un dialogue trop lointain pour être entendu, s'inscrit sur l'écran), les travellings épousent les mouvements des personnages, les discussions enflammées au cours des repas sont filmées à hauteur de chandelier etc. Et puis, l'héroïne, c'est Ruriko Asaoka, fracassante de beauté, perverse polymorphe à la sensualité dévastatrice. De quoi avoir le souffle coupé !
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