Cinéphile m'était conté ...

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Ici, c'est Arras (3)

 

Stephen Frears, Noémie Lvovsky, Martin McDonagh : là, c'est du lourd !

 

The Lost King, Stephen Frears, sortie le 20 mars

On le sait : l'Histoire des nations est écrite par les vainqueurs et la littérature y contribue parfois grandement, comme dans le cas de Richard III, le dernier roi Plantagenêt, que les Tudors ont stigmatisé (bossu et criminel) et que Shakespeare n'a pas épargné non plus dans sa pièce éponyme. Qu'une femme d'âge moyen et de faibles ressources se soit lancée dans une opération de réhabilitation du monarque, doublée d'une enquête pour retrouver ses restes, a quelque chose d'assez fou, qui correspond cependant à une aventure réelle, qui ne pouvait que plaire à Stephen Frears, aidé au scénario par l'équipe à l'origine de Philomène. Cet éloge de la constance, de l’opiniâtreté et de l'honnêteté intellectuelle face aux vents plutôt sceptiques, voire contraires et, in fine, sacrément opportunistes du monde très fermé des universitaires, historiens et autres spécialistes patentés, a tout du combat du pot de terre contre le pot de fer, un domaine dans lequel le cinéaste est comme un poisson dans l'eau. Le caractère obsessionnel voire névrotique de cette femme hors des circuits élitistes est forcément jubilatoire, même si l'on se doute que le récit a pris quelques libertés avec la vérité des faits. On y apprend en tous cas beaucoup de choses sur l'histoire d'Angleterre, on se divertit et on s'indigne, aux basques d'une Sally Hawkins, une peu vieillie mais volontaire et vaillante comme aux plus belles heures de Be Happy.

 

La grande magie, Noémie Lvovsky, sortie le 8 février

Noémie Lvovsky a l'habitude des scénarios loufoques et pleins de verve et La grande magie ne fait pas exception à la règle, dans cette adaptation de la pièce de théâtre éponyme d’Eduardo De Filippo (1948). Le film, situé dans les années 20 (du XXe siècle) joue à fond la carte de la fantaisie, au premier degré, pari déjà difficile à tenir et encore davantage lorsque les parties chantées et dansées prennent autant de place. Les comédiens se sont tous prêtés au jeu et leur envie de bien faire est évidente, avec un véritable esprit de troupe, mais le résultat laisse pour le moins dubitatif dans des prestations que l'on qualifiera aimablement "d'amateurs." Et comme l'histoire, en elle-même, n'a guère de consistance, cherchant plutôt à miser sur le merveilleux et le poétique, il faut bien avouer que la magie n'opère que dans de rares moments. Que l'ensemble soit désuet n'est pas nécessairement un handicap mais on a du mal à se raccrocher à son côté théâtral trop marqué et à ses rebondissements pas toujours très adroits qui nécessitent une bonne dose d'indulgence. Faute d'être passionné par le récit et peu emballé par ses chansons, il reste l'éventualité de prendre du bon temps avec le charisme des membres de son prestigieux casting. Denis Podalydès, Sergi Lopez, Judith Chemla, Rebecca Marder et Noémie Lvovsky ont bien dû s'amuser sur le tournage. Mais à l'écran, le projet est beaucoup moins probant et excitant qu'espéré.

 

Les Banshees d'Inisherin (The Banshees of Inisherin), Martin McDonagh, sortie le 28 décembre

Après le triomphe de Three Billboards, voir Martin McDonagh choisir de tourner un "petit" film irlandais a de quoi surprendre mais c'est mésestimer le cinéaste que de penser qu'il n'y a pas mis tout son talent et son humanité dans ce qui s'apparente à un nouveau quasi chef d’œuvre. Clairement, cette histoire d'amitié brisée entre deux hommes déjà bien abîmés par la vie, fait écho au contexte de guerre civile en Irlande (l'histoire se déroule en 1923, sur une petite île). Les dialogues sont étincelants, à la fois d'une incroyable cruauté entre les différents protagonistes d'un endroit où toutes les nouvelles circulent à grande vitesse mais aussi d'une drôlerie constante, avec des situations irrésistibles donnant lieu à des scènes mémorables. McDonagh mélange noirceur (solitude, vieillesse, méchanceté) et tendresse avec une maîtrise incroyable qui se superpose à la beauté des paysages irlandais et à une mise en scène tranquillement virtuose qui raconte déjà une histoire ou plutôt un contexte avec ses seules images (les statues de la Vierge, les croix celtiques, les falaises). Du côté de l'interprétation, Brendan Gleeson est égal à lui-même, c'est à dire formidable, Kerry Condon est merveilleuse et Barry Keoghan incroyable. Mais les seconds rôles sont tout aussi remarquables (la sorcière, l'épicière, le curé ...) et même les animaux (l'ânesse et le chien) semblent des acteurs nés. Et Colin Farrell ? Époustouflant, de bout en bout, d'une subtilité rare dans toutes les palettes de jeu. Les Banshees d'Inisherin a beau sortir fin 2022, il a sa place très haut dans la liste des meilleurs films de l'année.

 



07/11/2022
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