Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Ici, c'est Arras (3)

 

Rythme de croisière : 4 films par jour, à quelques exceptions près.

 

Ali & Ava de Clio Barnard

Native du Yorkshire, Clio Barnard a puissamment marqué son territoire dès son premier long-métrage de fiction, Le géant égoïste. Ali & Ava, son troisième film, se situe parfaitement dans la ligne du cinéma social anglais, y ajoutant une couleur séduisante de comédie romantique. Ali, d'origine bangladaise, aime l'électro et le rap ; Ava, de descendance irlandaise, préfère le folk et la country. Incompatibles, ces deux-là ? Bien sûr que non même si leur entourage n'est pas très chaud pour le mélange et s'ils sortent l'un et l'autre d'une situation maritale douloureuse. Ali & Ava, qui mise beaucoup sur la musique, toutes les musiques, pour cimenter le lien entre ses deux protagonistes, n'est pas un film immédiatement harmonieux. C'est même l'inverse avec des scènes qui se chevauchent et un rythme saccadé, au point de friser le chaos (technique ?). Mais heureusement, dans sa progression, le récit trouve davantage de sérénité et bénéficie surtout d'une interprétation parfaite et du regard bienveillant posé par la réalisatrice sur deux âmes pas si éloignées et finalement esseulées, en dépit de la large communauté qui les entoure et les aime. Ali & Ava n'a pas la séduction facile et peut même agacer par la mobilité frénétique de sa caméra et son refus de donner plus du temps à chacune des scènes. L'énergie déployée compense le côté un peu convenu de l'histoire d'amour (ne le sont-elles pas toutes ?) et permet au film de ne pas décevoir.

 

Tereza 37 de Danilo Serbedjiza

Non contente d'être la scénariste de Tereza37, Lana Baric en est aussi l'excellente interprète, omniprésente à l'écran durant 100 minutes. L'histoire de Tereza est, comment dire, banale : proche de la quarantaine, flanquée d'un mari souvent absent en mer, elle n'a de cesse de tenter de tomber enceinte après plusieurs grossesses interrompues. Tereza est touchante dans son obsession obstinée et ses états d'âme très variables selon les jours. Elle n'est pas toujours aimable mais on la comprend. Son cadre de vie, aussi, a son importance, avec un appartement situé dans un quartier de Split, dont l'architecture emblématique des années 70, a quelque chose de confiné. En Croatie, par ailleurs, la ville a la réputation d'être parmi celles dont la population est la plus refermée sur elle-même et conservatrice. Il n'y en a en tous cas que pour Tereza dans le film : au travail, avec son mari (rarement), avec sa meilleure amie qui part pour Berlin, avec sa sœur, mère épanouie de trois enfants, avec des amants de passage qu'elle ne prend que pour réaliser son rêve. La mise en scène, un peu terne, de Danilo Serbedjiza, contribue au sentiment de solitude de cette femme à laquelle il manque l'accomplissement de la maternité. Le regard du film est neutre vis-à-vis de ses aspirations, il lui manque un peu de relief et pourquoi pas d'humour ou d'ironie pour le rehausser.

 

Compagnons de François Favrat

D'un côté, une jeune femme de la cité, forte tête indisciplinée qui galère ; de l'autre, une confrérie basée sur des valeurs intangibles et une certaine idée du (beau) travail et de la transmission. Deux mondes que tout oppose, a priori, et que tente de faire se rejoindre le dernier film François Favrat. Oui, les bons sentiments ont du mal à passer la rampe au cinéma et Compagnons, malgré des efforts louables, ne parvient qu'occasionnellement à convaincre, un peu coincé dans une intrigue qui a du mal à s'affranchir des clichés, peu aidée par une mise en scène trop plate. Davantage que le portrait de la jeune rebelle, c'est la description de cette communauté des Compagnons du devoir qui suscite le plus d'intérêt car très rarement montrée à l'écran, qui plus est avec un vrai souci documentaire. On comprend bien le message, très positif, de l'insertion par des activités manuelles plutôt nobles (In vitraux veritas ?) mais le film n'a pas une forme assez solide pour rendre totalement crédible son histoire édifiante. Pourtant, son héroïne, Najaa Bensaid, est en tous points remarquable, boule d'énergie qui semble remettre en question les interprétations plus attendues quoique consistantes de Pio Marmaï et d'Agnès Jaoui. Fable sociale, Compagnons a aussi des allures de conte de fées, qui s'inscrit dans un registre dans un cinéma populaire honnêtement conçu et dirigé.

 

Evolution de Kornel Mundruczo

Il n'est pas simple de rendre compte d'Évolution, peut-être le film le plus ambitieux de Kornel Mundruczo, et encore plus difficile de prétendre l'aimer, tellement il est perclus de douleur, parfois rentrée, dans cette évocation de la judéité, aujourd'hui. Conçu comme un triptyque, le film commence par une évocation indirecte et sidérante de la Shoah, avec un ensemble de scènes difficiles à supporter. Presque muette, cette première partie n'a rien à voir avec la suivante, située bien des années plus tard, marquée par la confrontation verbale entre une femme et sa mère. C'est une troisième génération qui reprend le flambeau, enfin, dans un dernier segment tourné vers l'avenir et qui, sans faire table rase du passé, ne le considère plus comme un traumatisme. Le côté inégal d’Évolution, avec notamment sa partie centrale très bavarde, est un frein à l'attention que l'on souhaiterait accorder au film, lequel ne ressemble guère à ceux, déjà nombreux, qui ont pris pour sujet la Shoah, soit dans sa représentation la plus atroce, soit dans ses conséquences sur le long terme. Pour les non juifs, et malgré un côté exigeant, de par sa noirceur, c'est tout de même l'occasion d'approcher de manière viscérale une tragédie qui s'est muée pour les générations d'après en des sentiments complexes, qui vont de la honte au déni, Et à chacun de s'y investir, ou pas, selon ses propres sensibilité et compréhension.

 



09/11/2021
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