Cinéphile m'était conté ...

Petit voyage en compagnie du jeune Carl Thedor Dreyer, au début des années 20, alrs qu'il n'a pas encore tourné ses films les plus glorieux : La passion de Jeanne d'Arc, Vampyr, Jour de colère, Ordet ...

La quatrième alliance de Dame Marguerite (Prästänkan), 1920
Pour devenir pasteur, un jeune homme doit épouser la veuve de son prédécesseur. C'est un grand plaisir de découvrir le deuxième long-métrage de Carl Dreyer, après Le président, qui est très loin par le ton de ses grands films à venir. Il s'agit d'une comédie qui devient même burlesque parfois avec une collection de "trognes" phénoménales. Située en Norvège, autour de l'an 1600, cette chronique est pleine de sève, d'une très belle morale et se dénoue sur une subtile émotion. Le film est bien davantage qu'une curiosité.

Pages arrachées du livre de Satan, (Blade af satans bog), 1920
Le Mal à l'oeuvre à travers quatre époques : la dénonciation de Jésus, les exactions de l'Inquisition, la terreur pendant la Révolution française, la guerre entre rouges et blancs en Finlande, en 1918. Quatre segments où, sommé par Dieu, Satan poursuit ses actes maléfiques. Le troisième film de Dreyer est considéré comme son plus faible, inégal et franchement ennuyeux par endroits, hormis dans sa partie consacrée à la Révolution française. Influencé par le succès d'Intolérance de Griffith, Dreyer s'est lancé dans un film ambitieux mais qui n'a pas de souffle et se range systématiquement derrière les conservateurs. Historiquement biaisé et artistiquement moyen.

Les déshérités (Die Gezeichneten), 1922
Russie 1905. Dans une atmosphère antisémite, une jeune fille et son frère converti au christianisme tentent de survivre. Cela peut sembler un paradoxe pour un film muet mais Les déshérités, également connu sous le titre de Aimez-vous les uns les autres, est terriblement bavard, dans le sens où les sous-titres sont omniprésents et assez souvents inutiles. L'histoire se disperse entre divers lieux et personnages et agace la patience du spectateur. Reste que certains des thèmes favoris de Dreyer sont déjà présents, en particulier le fanatisme religieux. Avec Michaël, Le maître du logis et La passion de Jeanne d'Arc, Dreyer ne va pas tarder à aborder sa période la plus féconde, avant l'avènement du parlant. Les déshérités ne plane pas encore à cette hauteur.

Il était une fois (Der var engang), 1922
La princesse d'Illyrie est capricieuse et fait le désespoir de son père en refusant tous ses prétendants. Mais un prince venu du Danemark a l'idée d'un stratagème pour la conquérir. Restauré par l'Institut du film danois, le film reste mutilé pour une petite moitié, les prises de vue remplacées quand c'est possible par des images fixes. Il était une fois, dont le but était essentiellement commercial pour Dreyer, est un conte, parfois comique, dont le sujet se rapproche de celui de La mégère apprivoisée. Léger mais intéressant notamment pour sa photo des paysages danois.

Michael (Mikael), 1924
Un peintre vieillissant voit s'éloigner de lui son fils adoptif et modèle pour l'amour d'une princesse déchue. Tourné en Allemagne, Michael se distingue pour trois raisons : il est le film qui annonce les grands films parlants de Dreyer ; il réunit un grand nombre de talents : Benjamin Christensen, en tant qu'acteur cette fois, Karl Freund et Rudolph Maté à la photo, la future femme de Fritz Lang à l'écriture ; il est l'un des premiers films à aborder de façon plus ou moins explicite le thème de l'homosexualité. C'est une oeuvre délicate, romantique, sereinement tragique magnifiquement filmée avec des visages expressifs sans excès et une belle réflexion sur la condition d'artiste et sa solitude.