Bons baisers d'Arras (1)
C'est reparti pour un tour. Hier soir, le consensuel Lola et ses frères a ouvert l'Arras Film Festival. J'ai enchaîné avec 4 projections, ce samedi.
Lola et ses frères de Jean-Paul Rouve
Jean-Paul Rouve a coécrit Lola et ses frères avec le romancier David Foenkinos. Pas étonnant de retrouver dans cette histoire de fratrie le ton doux-amer des Souvenirs, le précédent long-métrage de l'acteur-réalisateur. Pas de grande ambition formelle dans ce nouveau film mais une tentative en partie réussie de raconter la vie autour d'événements, heureux ou pas, qui en font le sel (mariage, divorce, chômage, grossesse, adoption ...). Ce sont trois existences en réalité qui nous sont détaillées, se rejoignant de façon un peu artificielle autour de la tombe des parents, une fois par mois. Lola et ses frères donne à la fois l'impression d'être trop écrit et pas assez, dans le sens où la mécanique est bien huilée, entre fantaisie et humour, d'une part, et émotion et tendresse d'autre part mais où, en même temps, les personnages sont assez peu fouillés, identifiés psychologiquement dès le départ, notamment par leurs failles, qui n'ont rien de dramatiques mais empêchent une communication sereine entre frères et soeur. Le film se développe sur un mode récurrent : "on s'engueule mais on s'aime, même si on a du mal à l'exprimer." Globalement sans grande surprise dans son cheminement narratif, mais sympathique par sa modestie intrinsèque, l'ouvrage distille une morale positive qui évacue peu à peu tout élément de noirceur. La plus grande qualité de Lola et ses frères réside en définitive dans son interprétation. En particulier celles de José Garcia, dans un registre sensible, et de Ludivine Sagnier, qui semble enfin avoir acquis la maturité nécessaire pour abandonner les rôles de femmes-enfants impudiques dans lesquels elle semblait enfermée.
Sono tornato de Luca Miniero
Allons bon, voici le retour de Mussolini dans l'Italie contemporaine quelque temps après celui de Hitler, tel que nous l'avaient conté un roman puis un film (mauvais comme tout) allemand. Sono tornato est le portrait d'un pays déboussolé, à peine étonné par le débarquement du Duce comme le montrent des caméras cachés dans ce film qui crée un certain malaise en présentant dans un premier temps un Mussolini "sympathique" et finalement prompt à utiliser toutes les ressources des nouveaux outils de propagande. Le film cultive une grande ambigüité dans le maniement de ce personnage aussi bouffon que manipulateur, bien aidé par les médias trop heureux de trouver une telle bête de communication. Sono tornato a beau tenter de ridiculiser son héros revenu 70 ans plus tard, il lui sert quand même sur un plateau la déréliction actuelle de la démocratie italienne pour faire passer son message d'intolérance nationaliste. Si le film est difficile à prendre au sérieux, tellement il clame son aspect satirique, le danger est de finir par croire que les idées du fascisme ne sont là que pour amuser la galerie. Quand le film se fait grave et dénonce, un peu tard, les crimes perpétrés au sein d'un système dictatorial et haineux, il n'a plus la même conviction qu'il avait auparavant dans la comédie pure. La question se pose : à quoi sert une oeuvre cinématographique de cet acabit où l'on rit sans en être particulièrement fier.
Miss Hanoi de Zdenek Viktora
La principale qualité de Miss Hanoi est de situer son action dans un univers très original, à savoir la communauté vietnamienne d'une petite ville tchèque, avec des comédiens non professionnels, hormis l'actrice principale. Un pied dans le réel, un autre dans le polar, tel se présente un film dont le premier aspect est de loin le plus intéressant. L'enquête sur un crime qui sert de prétexte narratif au scénario est passablement filandreuse et ses rebondissements ne sauraient cacher une grande absence de style dans la mise en scène. A côté de flics tchèques qui frisent la caricature (alcooliques et limite racistes), l'héroïne de Miss Hanoi a heureusement plus de poids. Tchèque à part entière et parfaitement intégrée, puisqu'adoptée dès son plus jeune âge par une famille du cru, elle est devenue policière et doit choisir entre son éthique et son souci de protéger sa communauté d'origine. C'est un dilemme assez bien posé par le film et qui offre autrement plus de frissons que sa laborieuse trame criminelle.
Les oiseaux de passage de Ciro Guerra et Cristina Gallego
Le talent du cinéaste colombien Ciro Guerra était évident depuis son tout premier film, L'ombre de Bogota, suivi du beau Les voyages du vent. Son audience s'est considérablement élargie avec L'étreinte du serpent qui a précédé Les oiseaux de passage, cosigné avec Cristina Gallego. De 1968 à 1980, cette tragédie en 5 actes raconte une histoire méconnue, celle ses premiers cartels de drogue dans une Colombie rurale, au nord du pays, habitée par une population amérindienne. Au gré de son enrichissement, au fil des années, par le commerce avec les "gringos", les différents clans en viennent à perdre leurs traditions ancestrales mais aussi à s'affronter dans une violence terrible. Les oiseaux de passage est aussi bien une fresque historique qu'un témoignage ethnographique ou encore un western. Le film est à la fois ample par sa narration et intimiste dans son rapport à une histoire familiale et communautaire où les rêves et les rites, si importants, finissent par disparaître. Maîtrisé de bout en bout, le film perd cependant un peu de sa substance dans une dernière demi-heure dominée par les fusillades et qui semble reproduire tous les schémas du film de gangsters, façon Scarface. Une petite baisse en qualité qui ne fait pas oublier que la majeure partie du film excelle à capturer la beauté des paysages colombiens et séduit par un récit qui n'a pas peur des ellipses et des ruptures de ton.
L'empereur de Paris de Jean-François Richet
L'empereur de Paris est un film ambitieux. A visée populaire mais très ambitieux et qui s'est donné de gros moyens (à l'échelle française en tous cas) pour y parvenir. Eric Besnard, son scénariste, peaufinait son scénario autour de Vidocq depuis 25 ans. Jean-François Richet, son réalisateur, est un fou d'histoire, celle de la Révolution et de l'Empire en particulier. Pour le projet, il ne voyait personne d'autre que son héros de Mesrine et il avait probablement raison. Vincent Cassel est proprement monstrueux dans le rôle de Vidocq et l'on oublie vite l'acteur pour ne plus voir que le voyou devenu flic dans la France du début du XIXe siècle. Loin du feuilleton dominé par l'interprétation de Claude Brasseur, qui le jouait de manière féline, le Vidocq de Richet et Cassel tient plus du sanglier. En cela, il est sans doute davantage proche de la réalité, si l'on prend en compte les mémoires écrites par notre homme. Le réalisme, c'était l'obsession du réalisateur et le pari est gagné tant l'immersion est complète dans un Paris grouillant de petits métiers où le pavé est luisant après la pluie. Ce qui n'empêche pas de jouer la carte de romanesque mais c'est une obligation quand on connait la vie de Vidocq qui a inspiré le Vautrin de Balzac et le Valjean de Hugo. Attention, L'empereur de Paris n'est pas un biopic car ne s'intéressant qu'à quelques années de la vie de son héros, celles précisément où s'effectue la bascule entre l'illégalité et l'entrée dans la police de Fouché. Le film est spectaculaire, riche en scènes d'action et en pétarades et duels à mort, mais il est surtout sombre et ne s'autorise pas le moindre gramme de comédie. Vidocq était un solitaire mais capable de monter une bande autour de lui, un homme épris de liberté qui a dû composer pour arriver à ses fins. Si on peut lui reprocher un manque de rondeur dans son récit et sa mise en scène et surtout une musique bien trop signifiante et tonitruante, L'empereur de Paris ne manque pas sa cible et dépoussière un personnage historique fascinant par sa nature directe, héraut d'une époque pourtant complexe. Si le film remplit les salles, il n'est pas douteux que le duo Richet/Cassel remettra le couvert et ira plus loin dans le temps aux trousses de Vidocq. On aimerait bien voir cela.
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