Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

17 pour une quinzaine (4)

 

Déserts de Faouzi Bensaidi

La première heure de Déserts est presque parfaite, comédie au sous-texte social très fort, qui conte le travail absurde de deux agents de recouvrement au sud du Maroc. Un duo qui rappelle par certains côtés le Tandem de Patrice Leconte et qui décrit mieux qu'un long discours l'inadéquation entre un capitalisme déphasé par rapport à la vie d'habitants démunis dans les villages et, dans le même temps, le conservatisme rigide dicté par des autorités hypocrites et la réalité, concernant l'alcool ou la prostitution, par exemple. Mais la deuxième partie du film change brutalement de registre, sans que rien ne puisse le justifier, le récit s'orientant vers une sorte de western et dérivant surtout en mode onirique et existentialiste. De quoi interloquer sur ce brusque changement de ton qui ne fait que dilapider les bonnes impressions engrangées jusqu'alors. Pas étonnant que son réalisateur, Faouzi Bensaïdi évoque Déserts comme un film "exigeant" pour le spectateur tout en lui promettant cependant un grand plaisir, à condition de s'abandonner. Désolé, mais c'est plutôt le cinéaste qui semble avoir abandonné son histoire, dans une volte-face qui évoque surtout une volonté de faire "artiste", avec une ambition qui contredit et nie la modestie initiale d'un projet dont la qualité formelle reste cependant constante, ce qui n'est qu'une maigre consolation.

 

L'autre Laurens de Claude Schmitz

Difficile de prendre l'histoire de L'autre Laurens au sérieux, tant son scénario et sa mise en scène (du Belge Claude Schmitz, auteur de l'impayable Lucie perd son cheval) jouent constamment la carte du décalage, en utilisant avec une certaine jubilation les codes traditionnels du film noir. Conséquence : quand le long-métrage redevient sérieux, notamment dans son dénouement, cela ne fonctionne plus du tout. Pour le reste, le film remplit parfaitement son office de distraction, lorgnant quelque peu le cinéma de Kaurismäki et atterrissant plutôt dans la sphère de Benchetrit, ce qui est moins glorieux mais pas infamant non plus. Outre ses qualités visuelles, L'autre Laurens bénéficie d'un atout majeur : la présence de l'excellent d'Olivier Rabourdin, impeccable en privé mal rasé aux poches sous les yeux, spécialiste désabusé des adultères. A ses côtés, l'indispensable blonde, loin d'être idiote, est incarnée par la débutante Louise Leroy qui impose un tempérament prometteur pour l'avenir. S'y ajoutent des seconds rôles pittoresques, parmi lesquels brille Marc Barbé. Si le scénario de L'autre Laurens, avec ses jumeaux sans affinités, n'a qu'une importance toute relative, sa réussite esthétique, son rythme nonchalant mais pas trop et son amour de l'incongru en font un objet d'un intérêt certain. Il aurait juste fallu s'en tenir à 90 minutes plutôt qu'à près de 120, pour en faire une machine mille fois plus efficace.

 

Légua de João Miller Guerra et Filipa Reis

Dans les intentions des réalisateurs portugais de Légua (petite ville à l'ouest de Porto), il est noté que le film est le portrait de la fin d'un ancien monde. Pour être juste, il faudrait plutôt préciser que c'est avant tout celui d'une femme de 49 ans, Ana, qui seconde la vieille Emília pour s’occuper d'une vieille demeure bourgeoise que ses propriétaires ne fréquentent pratiquement plus. En l'absence de son mari, parti travailler en France et de ses enfants, désormais grands, c'est le quotidien de cette domestique qui nous est racontée. Malheureusement, le film ne fait rien ou presque pour approfondir sa personnalité, dont on devine qu'elle se contente de son labeur, après des années de service, à défaut de s'y épanouir réellement. Tout est neutre dans Légua : la tonalité générale, la mise en scène, qui ne s'aventure que rarement hors des murs de la maison, sauf pour quelques beaux plans d'une nature luxuriante. et enfin les dialogues d'une grande banalité. On a bien compris que Ana était une femme simple et docile, mais on espérait du film autre chose que ce manque d'éclat, d'autant que les seules exceptions concernent une poignée de moments complaisamment morbides. Quant à la durée du film, un peu moins de deux heures, elle est évidemment excessive et lui confère un rythme quasi immobile et désespérant.

 



12/06/2023
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