Une expédition donquichottesque (L'armée illuminée)
Parfois, quand un lecteur a du mal à restituer ses impressions vis à vis d'un livre qu'il a, disons, moyennement apprécié, il emploie le qualificatif très pratique d'inégal. Avec le mexicain David Toscana, qui joue avec le réel et l'imaginaire comme d'autres avec le feu, c'est le lecteur qui se sent "inégal". Dans L'armée illuminée, certains passages sont très réussis, dans une veine comico-tragique ou encore héroïco-pathétique, et d'autres, malheureusement, laissent non seulement de marbre mais totalement décontenancés. De quoi parle ce livre ? D'une épopée donquichottesque, celle d'une poignée de "guérilleros" mexicains décidés à aller reconquérir le Texas, dût-il y avoir du sang impur de gringos versé. Le décalage entre le récit minutieux de cette aventure et le grotesque de la situation donne lieu à des scènes savoureuses et grandioses. D'autant qu'on peut y voir tout un tas de métaphores sur le ridicule des guerres quelles qu'elles soient, sur l'arrogance yankee, sur le nationalisme exacerbé. Malgré quelques dérapages oniriques et/ou virtuels, il est assez aisé de suivre Toscana sur cette route. Mais l'auteur mexicain est du genre à multiplier les sous-intrigues, moyennant quoi on se retrouve piégé dans un récit aux allures de dédale. 1968 est l'année charnière du roman : celle où est entreprise cette dérisoire expédition, celle aussi du massacre des étudiants de Tlatelolco, celle enfin des Jeux olympiques de Mexico. Mateus, à la tête de l'armée illuminée, est aussi coureur de marathon, et a participé à celui des J.O de Paris de 1924, façon de parler puisqu'il n'y était pas, mais il l'a couru malgré tout, au même moment, en solitaire, dans sa bonne ville de Monterrey. Et il remet ça, 44 ans plus tard, l'esprit vif (?) et les jambes flageolantes. Le roman commence et se termine sur l'exploit dérisoire et vain de ce héros aux grands idéaux. Il faut le lire pour le croire et après l'avoir lu, on n'est plus très sûr de ce qu'il faut croire. C'est tout l'art de David Tosacana que de brouiller les pistes et d'embrouiller l'esprit. Plus épuisant que d'avaler 42,195 km en petites foulées, pour dire la vérité.
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