Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Toujours Alès (4)

 

Oxana de Charlène Favier

Eu égard à la vie convulsive et combattante de Oksana Chatchko, cofondatrice du mouvement femen, dans l'Ukraine de 2008, il est assez logique que son portrait tracé par Charlène Favier, dont on n'a pas oublié l'excellent premier long, Slalom, ne soit pas un biopic linéaire et sage. Le film fait sans cesse la navette entre 2018 à Paris, qui devrait être l'année de la consécration pour Oksana, en tant qu'artiste, et le parcours d'engagement de cette jeune femme, pour qui l'art et la révolution sont les deux piliers de son existence. Sans brouiller le message, disons que cette construction en flashbacks a tendance à mettre l'accent en priorité sur ses engagements alors que la réalisatrice ne cache pas qu'elle voulait aussi, et sans doute surtout, parler de l'évolution d'une femme, à la fois pure et complexe , entre la religion, le militantisme et la peinture. Concernant le collectif qu'elle a contribué à créer, et dont elle a été finalement peu ou prou écartée, il est souvent réduit pour beaucoup à une révolte menée seins nus et le film a le mérite de le resituer dans l'espace et le temps, même si son affiche essaie de le faire résonner en fonction de l'actualité, et c'est de bonne guerre, si l'on ose dire. Le casting ukrainien a pris du temps et beaucoup d'énergie à la cinéaste, qui a ensuite dû se résoudre à tourner en Hongrie, mais il est l'un des grands atouts du long métrage, avec la magnétique Albina Korzh en première ligne, qui incarne avec brio cette femme puissante et fragile.

 

Le retour du projectionniste de Orkhan Aghazadeh

C'est un voyage en terre méconnue que nous propose Le retour du projectionniste, dans un village reculé d'Azerbaïdjan, à la rencontre de deux hommes séparés par 50 ans d'écart mais néanmoins unis par leur passion du cinéma. Le plus âgé pleure son fils depuis deux ans et ambitionne de projeter un film dans une salle municipale alors que le second, étudiant, conçoit des films d'animation à domicile. Estampillé documentaire, le film soigne son fil narratif à travers l'insoutenable attente de la livraison d'une lampe nécessaire pour faire fonctionner un projecteur de l'époque soviétique. Le récit, assez souvent facétieux, quand il décrit les obstacles matériels et humains à la réalisation du rêve du vieil homme et de son jeune assistant, est une histoire d'amitié et de solidarité dans une communauté isolée, en un endroit où il faut grimper sur une colline pour espérer capter du réseau. La magie de l'écran blanc de cinéma et la réunion de toute une population, autour de la célébration du 7ème art, sont les moteurs inaltérables d'un film qui dit la passion des images avec une attachante pureté.

 

Tardes de soledad de Albert Serra

Deux films, adaptés du même roman espagnol, l'un muet et l'autre parlant, portent le titre d'Arènes sanglantes. Cela aurait pu être celui du documentaire d'Albert Serra mais sa connotation aurait été trop évidente pour un métrage qui refuse de trancher entre les pro et les anti, puisque ce n'est pas son propos, dans un film qui suit le jeune mais déjà célèbre torero péruvien Andrés Roca Rey sur son lieu de travail, si l'on ose dire, mais aussi à l'hôtel, avant, et en voiture, après. Aucun commentaire pour distraire l'attention, ni digression d'aucune sorte, mais "l'art" de la tauromachie, dans ce qu'il a de plus pur, de plus brutal ou de plus abject, selon l'opinion que vous en avez. En tous cas, on n'avait jamais vu une telle proximité dans ce combat de l'homme (au regard halluciné) et de l'animal (écumant et sanguinolent). Quelque chose de primitif, de viscéral et d'abominable, toujours au choix, avec une mise en scène éblouissante qui n'édulcore rien, ni de la fascination de la mort chez l'un, ni le courage et l'agonie de l'autre, le tout sans que les spectateurs soient montrés. L'autre grande force du film est de montrer l'environnement du torero, sa quadrille, principalement, dont les mots sont autant de signaux de virilité exacerbée, au-delà des limites admises, insultes comprises à destination du taureau lui-même, quand il est sournois, ou du public, parfois considéré comme ennemi car incapable de reconnaître la valeur du matador. Tardes de soledad n'a pas vocation à convaincre les défenseurs ou les détracteurs de la tauromachie, il se contente de tout montrer de ses rituels avec une maestria telle qu'on lui accordera sans hésiter les deux oreilles, voire davantage, même s'il reste nécessairement un goût de sang dans la bouche, au bout du compte.

 

 

 

 

 



25/03/2025
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