Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Parfaitement Alès (4)

 

Grand Paris de Martin Jauvat

Avec un budget équivalent à celui d'un court-métrage, Grand Paris nous encourage à suivre la dérive de deux glandeurs de banlieue, des aventuriers du RER au petit pied dont le film se moque gentiment. Leur quête est absurde mais elle n'est que prétexte à des rencontres impromptues et à une déambulation géographique dans les franges franciliennes. Franchement cool et sans prétention autre que celle d'amuser, Grand Paris tourne toutefois assez rapidement en rond, n'ayant pas énormément de choses à dire sur ses deux héros, au fil de dialogues auxquels on n'exigeait certes pas de la profondeur mais un peu plus de verve, peut-être. Le réalisateur, Martin Jauvat, enfant du 77, qui compose un tandem nonchalant avec Mahamadou Sangaré (plus convaincant que son compère), joue sur nombre de clichés liés à la banlieue, sans que l'on puisse prétendre qu'il s'agit réellement d'ironie. L'ensemble est sympathique, sans qu'il y ait de quoi crier en génie car un peu de travail supplémentaire dans l'écriture n'aurait sans doute pas nui. Ceci dit, on a vu souvent des premiers longs-métrages bien plus prétentieux qui lassaient faute de talent. Il y a quelque chose dans Grand Paris qui laisse à penser que son auteur a la capacité de largement mieux faire, pour peu qu'il ait de la persévérance et aussi, évidemment, des moyens plus substantiels.

 

 

Un an, une nuit d'Isaki Lacuesta

Adapté du livre de Ramon González, survivant de l'attaque terroriste du Bataclan de 2015, Un an, une nuit raconte comment un couple survit après le traumatisme, avec une méthode différente selon chacune de ses deux composantes. Après Novembre et Revoir Paris, le film du Catalan Isaki Lacuesta se rapproche du deuxième pour le travail de deuil mais s'en éloigne, dans un traitement plus dur, et même souvent éprouvant, dès lors que le montage, haché dans toute sa première partie, fait une large place à des flashbacks qui ne montrent heureusement pas tout de cette nuit de terreur mais suffisamment pour mettre les nerfs à rude épreuve. Reconstruction en cours pour existences en péril : chacun ressentira à sa manière les réactions de ses deux personnages principaux même s'il est impossible, pour quiconque n'a pas vécu une telle tragédie, de se projeter. Un an, une nuit est tout sauf confortable, moins généreux et empathique que Revoir Paris, sans doute, mais puissant dans son exécution et justifiant pleinement sa durée de 2 heures 10. Le film doit beaucoup aux interprétations exceptionnelles de Nahuel Pérez Biscayart et Noémie Merlant, dont le couple n'est pourtant pas, a priori, aussi évident que cela. C'est un chemin difficile que celui emprunté par les deux protagonistes d'Un an, une nuit, montré à la fois avec violence et pudeur. Il leur en restera forcément des séquelles et même si la douleur n'est pas la même, elle est aussi partagée par les spectateurs de ce film volontairement peu aimable.

 

 

L'éducation d'Ademoka de Adilkhan Yerzhanov

Adilkhan Yerzhanov, le Aki Kaurismäki kazakh, tourne régulièrement et c'est en soi un petit miracle, eu égard à la singularité de son cinéma, au minimalisme intense, parfois ponctué d'accents de violence. Ce dernier aspect est absent de l’Éducation d'Ademoka, quoique, en définitive, cela se discute, sous une forme poétique et symbolique, qui désarçonne dans un premier temps, avant que la cohérence de l'ensemble apparaisse clairement. Il était donc une fois, au Kazakhstan, une jeune réfugiée aux cheveux rouges, ostracisée et réduite à la mendicité, dont la soif d'éducation se heurtait aux barrières d'un système pourri jusqu'à la moelle. A sa manière, surréaliste, le film fait acte de militantisme, pour l'accès à l'art, en général, et à la littérature,en particulier, pour l'égalité des chances, contre la corruption et le pouvoir de l'argent. La jeune fille aux cheveux rouges et son mentor, un enseignant déclassé et alcoolique, rejouent une version baroque de My Fair Lady, avec moult citations de Shakespeare, Gogol ou Nabokov, à la clé. Le film a des allures de happening géant, l'installation des décors se faisant au fur et à mesure, et toujours à ciel ouvert. Des partis pris de mise en scène qui engendrent une côté burlesque qui se marie assez bien avec le sérieux des messages convoyés par cette radiographie ironique et néanmoins efficace des dérives de la société kazakhe.

 

 

 



29/03/2023
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