Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Les toiles d'Angoulême (2)

 

L'air de la mer rend libre de Nadir Moknèche

Nadir Moknèche a plusieurs fois prouvé sa capacité à garder toute sa substance au sujet qu'il choisit, en évitant les chausse-trappes de la facilité et les miasmes du pathos. En témoignent notamment Le Harem de Madame Osmane, Viva Laldjérie et Délice Paloma. Avec L'air de la mer rend libre, titre poétique qui ne prend sa véritable signification qu'en toute fin de film, le cinéaste franco-algérien nous invite à un mariage arrangé, lequel arrange aussi le couple en question, pour des motifs différents : lui, pour dissimuler son homosexualité ; elle, pour faire oublier son passage par la case prison. C'est donc à un film de famille, car celles des susnommés a son mot à dire, auquel nous avons affaire, et le réalisateur y met à infuser une bonne dose d'ironie et d'humour, un vrai regard moderne sur la vie avec ses proches, qui n'est que rarement un long fleuve tranquille. Ce qui est marquant dans la facture très agréable du film, c'est sa fluidité constante, avec des scènes courtes et souvent très drôles, qui par petites touches tracent des portraits de personnages plus ou moins emberlificotés dans les traditions et la réputation. Ce qui se joue là, c'est la liberté de chacun à tenter de passer une existence débarrassée de tous préjugés et d'opinions extérieures, ce qui n'a jamais été simple, chacun en conviendra. La vision malicieuse de Nadir Moknèche rend la chose sinon légère du moins plaisamment moqueuse, avec une bienveillance qui n'empêche pas un peu de mordant.

 

Le théorème de Marguerite de Anna Novion

Un peu perdue de vue ces dernières années, après des débuts prometteurs, Anna Novion revient avec un feel good movie dont le sujet risque de rebuter le grand public, et ce serait dommage, à savoir la quête obsessionnelle de son héroïne pour prouver la fameuse conjecture de Goldbach. Ce n'est pas qu'il soit nécessaire d'avoir fait Maths Sup pour apprécier Le théorème de Marguerite mais s'intéresser à une jeune femme qui vit, mange et dort dans la recherche mathématique n'est pas en soi un sujet éminemment sexy. Et pourtant, grâce à une interprète étonnante, Ella Rumpf, le film nous attache à son caractère presque autiste, comme en sont dotés certains HPI. Les esprits chagrins diront que tout est cousu de fil blanc dans la progression dramatique et que cette boss des maths finira bien à un moment ou à un autre par s'ouvrir un tant soit peu au monde extérieur et à l'amour, comme de bien entendu, pour un succédané de comédie romantique. Tant pis pour eux, ils n'auront pas vibré devant la folie de ce personnage, si éloigné du commun des mortels, que cela soit dans l'exécution d'équations à vitesse supersonique (ce sont les effets spéciaux du film, en quelque sorte) ou dans des parties de Mah-jong qui remplacent de manière très efficace les habituels poker ou échecs. Il n'existe aucune formule certaine au cinéma pour assurer du succès d'un film mais il serait dommage de se priver du plaisir de gourmet de savourer celui-ci, sous prétexte qu'il traite de mathématiques, matière qui en a traumatisé plus d'un à l'école (votre serviteur en fait partie).

 

Le temps d'aimer de Katell Quillévéré

Un poison violent, Suzanne et Réparer les vivants : Katell Quillévéré affiche à son compteur de jeune réalisatrice des œuvres marquées par la fraîcheur du regard et la délicatesse. Le temps d'aimer, son quatrième long-métrage, est loin d'être dénué de ces qualités mais quelque chose semble gripper l'ensemble du récit, peut-être un excès d'ambition qui court sur l'après-guerre, sur deux décennies, au moins. L'histoire est celle d'un couple, dont chacun des partenaires possède un lourd secret qui sera révélé tôt au tard. La réalisatrice, qui maîtrise si bien les ellipses dans ses films précédents, ne réussit pas pareil prodige cette fois-ci et c'est comme s'il manquait quelques pièces au puzzle de vies de ses deux héros. D'ailleurs, c'est peut-être un troisième personnage, celui du fils, dont la relation avec sa mère sont difficiles, qui se révèle le plus intéressant mais pas le mieux traité, hélas. A cet égard, la toute dernière scène de Le temps d'aimer est de loin la plus émouvante et emporte tout sur son passage. Auparavant, l'impeccable Vincent Lacoste et la parfaite Anaïs Demoustier ont démontré, s'il en était besoin, leur capacité à évoluer dans des rôles bien plus matures que ceux qu'ils ont eu à porter, jusqu'alors. Quant à leur alchimie, avec une fraction de gaucherie qui correspond à leurs personnages respectifs, elle est évidemment très convaincante, mais qui aurait pu en douter ?

 



24/08/2023
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