Intermède au Cinemed (8)
Un documentaire égyptien, une fiction italienne et le dernier film d'Iciar Bollain. Ce n'était pas un vendredi maigre au Cinemed !
Parle-moi d'elles de Marianne Khoury
Chronique d'une famille égyptienne sur 4 générations, Parle-moi d'elles explore un peu de l'histoire d'un pays et de la condition féminine. Le documentaire de Marianne Khoury, productrice de Youssef Chahine, son oncle, s'appuie sur un dialogue entre la réalisatrice et sa fille et sur de nombreux films amateurs réalisé sur une longue période. Il ne s'agit pas pour Marianne Khoury de dramatiser un récit familial "ordinaire" mais de rendre compte d'une certaine évolution des mentalités et de la difficulté de vivre sa vie de femme, face aux conventions. C'est l'humilité du propos qui séduit dans Parle-moi d'elles, ainsi que sa construction intelligente, pour aboutir à des portraits contrastés et intimes qui, sans avoir l'air d'y toucher, se révèlent parfois touchants, dès lors qu'aucune de ses femmes n'arrive à pleinement s'épanouir. Les scènes où interviennent les frères de la cinéaste sont particulièrement franches et certains non-dits s'expriment clairement, en oubliant la caméra qui filme. C'est le cas aussi avec la fille de Marianne Khoury, attentive à remonter son arbre généalogique, mais aussi très cash avec une mère qui n'a pas toujours été très présente auprès d'elle, occupée qu'elle était par son travail. Enfin, pour les admirateurs de Chahine, c'est un bonheur de le voir parler librement avec sa nièce, une cigarette toujours allumée. Et aussi de voir quelques séquences de ses films, ouvertement inspirés de sa propre existence et de sa famille.
Padrenostro de Claudio Noce
Sur de nombreux plans, Padrenostro est un long-métrage captivant, nous plongeant dans une famille italienne où le père est victime d'un attentat au milieu des années 70. Tout, y compris la fusillade, est vécu à travers les yeux du fils, âgé d'une petite dizaine d'années, traumatisé par la violence que son père a subi. Excellemment mis en scène, notamment pour sa belle partie calabraise, le film de Claudio Noce, qui a lui-même vécu un événement similaire (mais alors qu'il n'était qu'un bébé) montre comment la peur, insidieuse, transforme une vie de famille, dans une époque où le danger pouvait surgir au coin de la rue. Si l'on est sensible à l'évocation des fantasmes et de la torsion de la réalité ressentis par le jeune héros, sorte d'ange blond qui symbolise l'innocence, on est surpris par l'irruption d'un "ami imaginaire" que le réalisateur fait intervenir presque constamment, adopté par l'ensemble de la famille. Au bout d'un moment, le jeu entre la réalité et la schizophrénie du gamin n'est plus très clair, d'autant que les scènes inaugurale et finale, qui ne situent pas à la même époque que le reste du film, viennent singulièrement brouiller les pistes. Quel est le but poursuivi par Claudio Noce, avec cet aspect étrange de son récit, lui seul pourrait l'expliquer. C'est d'autant plus dommage que, dans un style lumineux parfois proche de Bellocchio, Padrenostro possède de belles armes de séduction.
Le mariage de Rosa (La boda de Rosa), Iciar Bollain, sortie le 17 février 2021
Réaliser une (très) bonne comédie, comme cela semble simple quand on regarde Le mariage de Rosa d'Iciar Bollain, un vrai modèle du genre. Tout est contenu dans son écriture, riche, vive et très attentive à l'ensemble de ses personnages, même les plus petits, et malgré le fait que ladite Rosa en est le caractère principal et que les autres protagonistes sont amenés à interagir avec elle. Autre ingrédient que Iciar Bollain n'a pas oublié : le sens du rythme avec un départ relativement rapide et presque chaotique avant que les choses ne se mettent en place et que tout aille crescendo jusqu'au final. Le mariage de Rosa se développe à la fois à partir d'éléments psychologiques (une femme de presque 45 ans qui s'aperçoit qu'elle n'a jamais vécu pour elle-même) mais aussi sociaux et familiaux, très précisément, avec en filigrane cette idée admise (erronée ?) que réussir sa vie passe passe par une "compétitivité" sans faille, tant dans le registre privé que professionnel. A partir de là, le film progresse sur du velours, magnifié par des répliques tueuses et des situations dignes d'un excellent vaudeville (ce n'est pas un défaut quand la chose est pimentée). Irrésistible et jubilatoire, Le mariage de Rosa peut bien parfois aimanter son public dans le sens du poil, notamment vers le dénouement, cela n'a plus de conséquences, il l'a déjà largement conquis (le public). Bon, évidemment, il faut des interprètes au diapason pour que la fête soit complète et Candela Peña et Sergi López le sont, de fort belle manière, de même que tous leurs comparses. Le portrait de cette femme au bord de la crise de rêves se révèle aussi, faut-il vraiment le préciser, on ne peut plus touchant. Iciar Bollain, qui a principalement tourné des œuvres dramatiques ne peut être considérée comme moins "sérieuse" ou audacieuse avec cette comédie qui a le mérite supplémentaire de donner un plaisir incommensurable sur des sujets finalement graves.
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