Intermède au Cinemed (6)
Belle journée au Cinemed avec le palestinien Gaza mon amour (romantique) et le mexicain Sans signe particulier (puissant). Sans oublier le français Teddy qui a tout du film culte en devenir.
Gaza mon amour, Arab et Tarzan Nasser, sortie le 14 avril 2021
La majorité des films palestiniens se caractérisent par leur humour souvent grinçant, ce qui est la meilleure façon d'illustrer et de commenter une situation aussi absurde que dramatique. Pour Gaza mon amour, les réalisateurs jumeaux Arab et Tarzan Nasser expliquent que "dans ce territoire, les choses les plus simples s'avèrent toujours compliquées." Comme l'amour que le héros du film, pêcheur de son état et sexagénaire, a développé pour une couturière à laquelle il ose à peine déclarer sa flamme. Ne pas s'y tromper, Gaza mon amour est bel et bien un film politique, qui n'hésite pas à critiquer le Hamas, mais à sa manière, poétique, naïve et romantique. L'irruption d'une statue d'Apollon, dans une position "avantageuse", sert de lien comique et symbolique aux frères cinéastes qui s'en donnent à cœur joie dans le transgressif pour fustiger la morale ambiante, laquelle, par ailleurs, ne s'applique pas aux affaires d'argent. Parfaitement dosé entre moments burlesques et passages sérieux (voire sentimentaux, avec une touchante candeur), Gaza mon amour est interprété à la perfection par l'acteur arabe israélien Salim Daw, proprement irrésistible (y compris en présence du perturbant Apollon), dont le tempérament s'allie parfaitement à la sobriété et à la pudeur de l'immense Hiam Abbass. La dernière scène, magnifique, est à l'unisson d'un long-métrage somme toute optimiste et qui, malgré le contexte gazaoui, a tout d'un feel good movie.
Teddy, Ludovic et Zoran Boukherma, sortie le 13 janvier 2021
Inutile de crier au loup, Teddy, de Ludovic et Zoran Boukharma a tout ce qu'il faut pour devenir un film culte. Son mélange d'hémoglobine et d'humour parfois grossier, dans une histoire ancrée dans un petit village pyrénéen colle parfaitement à la culture mélangée des deux frères cinéastes, capables d'aimer à la fois Steven Spielberg et Bruno Dumont. La mise en scène est plus que correcte, suffisamment gore pour attirer les amateurs, mais pas trop quand même pour ne pas effrayer les autres, plus sensibles au côté teen-movie riche en symbolique, dès lors que le lycanthrope est un adolescent marginal et rebelle (Anthony Bajon, excellent), détesté par la communauté au même titre que le loup qui égorge les brebis. Le film ne fait de cadeau à aucun de ses personnages, et c'est un peu là où le bât blesse, dans le sens où on a parfois le sentiment d'avoir à faire à une suite de caricatures (la petite amie stupide, le gendarme à fort accent, la masseuse libidineuse). L'objectif est de faire rire en se moquant, évidemment, mais on a la fâcheuse impression de rire contre et non avec les différents personnages. Seule l'ultime scène, tragique mais touchante, montre un brin de compassion. Film de genre, par excellence, Teddy plaira à certains publics et pas à d'autres, ce n'est pas bien grave. C'est un projet qu'on a le droit de ne pas trouver totalement concluant mais qui a eu le mérite d'être tenté dans un cinéma français trop compartimenté et qui se caractérise rarement par sa prise de risques.
Sans signe particulier (Sin senas particulares), Fernanda Valadez, sortie le 16 décembre
Sans nouvelles de son fils qui a décidé de partir travailler aux États-Unis avec un ami, une mère ne peut se résoudre à accepter sa mort, alors qu’elle ne reconnaît pas les corps qui lui sont présentés. Elle décide alors de partir à sa recherche. A partir de ce postulat, le premier film de la mexicaine Fernanda Valadez fait montre d'une maîtrise narrative assez exceptionnelle. Si le scénario n'oublie jamais la quête de son héroïne, qui donne au film son côté thriller, avec de plus une surprise monumentale, au final, il y mêle avec subtilité d'autres trajectoires humaines (le garçon expulsé, un survivant, une autre mère) qui se croisent et dressent le portrait d'un pays où la violence est quotidienne et sans foi ni loi, voire même maléfique dans une séquence particulièrement marquante. Sans signe particulier est un film brutal et parfois à la limite du supportable mais déploie une telle compassion qu'il n'est jamais complaisant dans sa férocité. Mieux, la réalisatrice aménage de nombreux temps de pause où ses images magnifient la splendeur de la nature, comme antidote à la sauvagerie des hommes. Elle trace aussi la voie de la solidarité, souvent féminine, seule lueur d'espoir dans un univers bestial que la société n'a pas les moyens, ni semble t-il la volonté, d'essayer de corriger. Face à l'impunité des crimes commis, ne restent que le courage et la ténacité de simples individus, confrontés à l'inertie collective. Le constat est terrible mais il est aussi, à sa manière, porteur d'un semblant lumière quant à la nature humaine.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 51 autres membres