Ici, c'est Arras (6)
Et ça continue à un rythme soutenu. La déception Serebrennikov est vite oubliée.
Blindfold (Iz zavyazanymy ochyma) de Taras Dron
La jeune actrice Maryna Koshkina, invitée de l'Arras Film Festival 2021, n'a rien d'impressionnant au naturel. Et pourtant, dans The Forgotten et surtout Blindfold, elle fait montre d'une puissance physique impressionnante, alliée à un talent de comédienne tout aussi remarquable. Dans le deuxième long-métrage de Taras Dron, elle incarne une combattante de MMA (les arts martiaux mixtes, pas les assurances) dont le fiancé a disparu, sans doute tué, dans les combats de l'est de l'Ukraine. Le sujet majeur de Blindfold est simple et excellemment traité : quand peut-on se délivrer d'un deuil et pouvoir aspirer de nouveau au bonheur ? Un thème que le film ancre fortement dans le contexte ukrainien et dans un sport spectaculaire qui ne tolère pas d'états d'âme. Blindfold est un beau portrait de femmes qui lutte, physiquement et psychologiquement, pour survivre et ne pas sombrer, quitte à s'attirer les critiques des bien-pensant.
La fièvre de Petrov (Petrovy v grippe) de Kirill Serebrennikov
Toujours empêché de voyager hors des frontières russes mais "autorisé' à tourner, Kirill Serebrenikov, avec La fièvre de Petrov, risque de désorienter les amoureux du sublime Leto qui ignoreraient ses opus précédents. Cette journée d'un auteur de BD, atteint par une grippe carabinée, s'éloigne en effet assez vite du réalisme pour plonger dans des visions délirantes et extrêmes où alcool, sang, sexe et humour noir s'assemblent dans un cocktail détonant qui fait exploser tous les repères, près de 2h30 durant. A l'exception des scènes liées à l'enfance, avec sa charmante fille des neiges, le film se consomme trash et punk, dans un style qui rappelle, par ses pulsions radicales et peut-être son esprit de provocation, le Ken Russell de la grande époque, en plus sauvage encore. Il serait trop facile de dire qu'il s'agit d'un film que l'on adore ou que l'on déteste car il est aussi possible d'y prendre un plaisir inégal, parfois enchanté et parfois agacé par les mille et une pirouettes narratives de l'auteur. Lequel, c'est pourtant une évidence, et c'est au moins vrai depuis Jour sans fin à Youriev et surtout Le disciple (quel film !), est bourré de talent, tant pour l'écriture (ses pièces de théâtre sont remarquables) que pour l'aspect visuel. La première projection de La fièvre de Petrov peut déboussoler, voire traumatiser, surtout si le spectateur n'est pas au zénith de sa forme physique (en festival, par exemple). Il est donc probable qu'une deuxième vision ne peut qu'être profitable à celui qui en aura le courage. Tout en restant persuadé que jamais le film n'atteindra les sommets d'émotion du merveilleux Leto qui peut lui être vu et revu ad libitum.
La vraie famille de Fabien Gorgeart
Impossible de ne pas être touché par La vraie famille qui traite des enfants placés dans des familles d'accueil. Celle qui est décrite dans le film est, pour une fois au cinéma, décrite comme aimante et quasi parfaite. La situation parait presque trop idyllique avant qu'un sérieux grain de sable, en l'occurrence le père véritable qui souhaiterait récupérer son fils, ne vienne tout chambouler. Il est très clair que le film est calibré pour plaire à un large public et, plus particulièrement aux mamans puisque tout y est vu à travers le prisme émotionnel de la mère (de substitution) qui ne mérite certes pas de se voir enlever celui qu'elle considère comme son propre enfant. Ce n'est pas que La vraie famille soit réellement raté mais son orientation est tellement évidente que cela en devient embarrassant même si le film respecte a priori le fameux adage de Renoir comme quoi chacun a ses raisons. On aurait aimé partager plus de moments avec le père et comprendre ses sentiments mais ce n'est que rarement le cas. Par ailleurs, une mise en scène un peu moins banale aurait sans doute donné des ailes à un long-métrage qui reste terre-à-terre et premier degré. C'est d'autant plus regrettable que Lyes Salem est très bien et que Mélanie Thierry, surtout, met tout son cœur dans son rôle, n'étant pas loin de porter l'entièreté du film sur ses épaules. Son interprétation restera (on en reparle aux Césars ?) même pour ceux qui n'ont pas été emballés par le film.
En attendant Bojangles de Régis Roinsard
Adapté du roman éponyme et à succès, En attendant Bojangles, réalisé par Régis Roinsard, est plutôt fidèle au livre, tentant de mettre des étoiles dans les yeux dans sa première partie avant de glisser progressivement vers le drame. Sans être trop radical, il n'est pas faux de dire que le cinéaste, auquel on doit notamment Populaire, se loupe avec fracas tant dans le registre de la légèreté que dans celui de la gravité. Quelque chose ne tourne pas rond dans cette œuvre ultra romanesque qui devrait au moins nous emporter par sa fantaisie dans une bonne moitié du film. Et si ce n'est pas le scénario qui est en cause, alors c'est forcément la mise en scène, jamais à la hauteur, et incapable de nous amuser puis de nous émouvoir, comme si tout ceci n'était qu'une collection de saynètes où les sentiments sont forcés, sans réussir à toucher la corde sensible. Romain Duris et Virginie Efira ont beau y mettre du leur, et on ne leur reprochera rien, il n'y a pas moyen de s'enthousiasmer pour cette histoire dans laquelle le pauvre Grégory Gadebois, souvent génial par ailleurs, n'a qu'un rôle secondaire et strictement décoratif. Même s'il n'était pas parfait, le roman valait par son panache et une description de la folie pas si douce. Le film, lui, tombe assez souvent à plat, comme si Roinsard n'avait pas su comment retranscrire son atmosphère à l'écran sans trahir son essence originelle.
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