Concerto en Arras majeur (7)
Plus que jamais, cap à l'est. Du cinéma russe, polonais, slovaque et hongrois. J'ai même supprimé une cinquième séance pour profiter pleinement du débat avec Kornel Mundruczo, suite à la projection de La lune de Jupiter. C'est quand même le cinéaste de White God, l'un de mes films préférés du XXIe siècle.
Arythmie (Aritmiya), Boris Khlebanov
Arythmie fait à coup sûr partie des deux meilleurs films russes de l'année et a d'ailleurs failli coiffer Faute d'amour au poteau pour représenter son pays à l'Oscar du meilleur film étranger 2018. Le personnage principal du film, Oleg, est ambulancier. C'est un homme dévoué à son métier, un peu trop peut-être, et désobéissant à sa hiérarchie quand il l'estime nécessaire pour sauver des vies, ce qui nuit à son avancement et à ses relations avec son infirmière de femme. A travers son quotidien, les cadences infernales de ses tâches et l'obligation de rentabilité voulue par ses patrons, c'est évidemment le portrait d'un système de santé lacunaire qui est fait, et plus largement d'une société russe qui semble avoir perdu tous ses repères. Arythmie est très éprouvant, avec ses situations d'urgence, le film privilégiant l'instantanéité et oubliant les patients et malades dès lors qu'ils sont parvenus à l'hôpital. Ces moments de crise alternent avec des scènes de couple souvent orageuses, avec un Oleg incapable de s'investir autant que dans son travail. Le film n'a quasiment aucun temps mort, toujours sur le qui vive. Pas reposant mais passionnant deux heures durant. Un cran en-dessous de Faute d'amour, quand même, à cause de l'incroyable densité de la mise en scène de Zviaguintsev.
Je suis un tueur (Jestem morderca), Maciej Pieprzyca
Je suis un tueur est au moins le deuxième film polonais récent qui traite du premier tueur en série qu'a connu le pays en 1972, à Katowice. Le film se place du côté du flic qui mène l'enquête et qui croit avoir arrêté le meurtrier et poursuivra dans cette direction jusqu'au procès malgré le fait qu'il y ait plus que des doutes sur sa culpabilité. Ses relations, presque amicales avec le supposé assassin, donnent d'ailleurs les meilleurs scènes du film. Je suis un tueur, contrairement à ce que son titre laisse penser, est donc plutôt le portrait d'un policier qui fait passer l'ambition avant l'honneur de sa profession. Le film est particulièrement réussi dans la reconstitution d'une époque dominée par la figure de Gierek, l'homme fort du régime qui, quelques années plus tard, se heurtera à Solidarnosc. Costumes, coiffures, voitures : tout est impeccable. Trop, peut-être. Je suis un tueur semble la copie d'un élève doué mais sans génie particulier.
La ligne (Ciara), Peter Bebjak
L'action de La ligne se situe en 2007, plus précisément 6 mois avant que la Slovaquie ne rejoigne l'espace de Schengen. A cette époque, la frontière entre l'Ukraine et la Slovaquie est très poreuse, suscitant des trafics en tous genres, avec l'assentiment rémunéré de douaniers et policiers locaux. Le film développe un nombre de personnages impressionnant, tous reliés à la contrebande et la moindre inattention résulte en un sentiment permanent de confusion. D'autant que si La ligne distille quelques touchesd'humour, c'est davantage à une tragédie grecque que le film fait penser. Ce qui est gênant, c'est que ce thriller plutôt bien réalisé a aussi la prétention d'être un film d'auteur, ce qui n'est guère avéré. Aucun des personnages n'a droit à un véritable développement et le bain de sang qui clôt le film laisse assez indifférent.
La lune de Jupiter (Jupiter Holdja), Kornel Mundruczo
Le titre de travail du dernier film de Kornel Mundruczo, l'auteur de Delta et de White God, était quelque chose comme L'homme volant, un pis-aller alors que le réalisateur souhaitait donner un intitulé poétique. Et c'est en découvrant qu'une des lunes de Jupiter avait été baptisée Europe, que Mundruczo a trouvé son titre, bien qu'un peu tiré par les cheveux. Pour le cinéaste, La lune de Jupiter est son film le plus hongrois, celui où il a pris le temps d'ausculter une société vraiment sur la mauvaise voie. Mais on peut juger aussi que le caractère de cette allégorie est totalement européen, dans le sens où tous les pays sont confrontés aux mêmes "problèmes", à commencer par celui des migrants ou réfugiés. Mundruczo répète à qui veut l'entendre qu'il ne s'intéresse pas plus que cela à la politique et que son film a davantage l'ambition de refléter des questions morales dans nos sociétés désormais obnubilées par l'horizontalité des échanges en négligeant la verticalité ou, autrement dit, plus matérialiste qu'inspirée par la spiritualité. Certains auront peut-être l'impression que Mundruczo prêche, avec son réfugié volant, sorte d'ange tombé de Syrie pour nous rappeler que nos vies ne sont que cynisme et haine de ce qui est étranger. Mais c'est oublier que La lune de Jupiter est aussi un thriller, très physique, rythmé par des courses poursuites et, en opposition, des moments planants. Comme si nous n'étions qu'en mouvement pour ne pas avoir à réfléchir et incapables de prendre le temps de regarder vers le haut. S'il est imparfait et nettement moins bluffant que White God, La lune de Jupiter pose des tas de questions dont les réponses appartiennent d'abord au spectateur. Et c'est en cela qu'il est nourrissant et passionnant.
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