Cinemed m'était conté (3)
Au programme : visions d'Egypte, d'Israël et d'Italie.
Souad de Ayten Amid
Qui est vraiment Souad, l'héroïne du premier long-métrage d'Ayten Amin ? L'étudiante sage de 19 ans, qui se plie aux contingences religieuses d'une société conservatrice ou la jeune femme égyptienne moderne qui flirte sur Facebook et poste des photos de séductrice virtuelle ? L'idéal est de ne rien savoir de plus de l'intrigue du film qui prend un virage inattendu et presque inexplicable au bout d'une vingtaine de minutes. Vivre une existence schizophrène comme celle de Souad n'est pas sans danger et le film l'illustre avec une grande fluidité, en dépit d'une mise en scène qui peut sembler parfois hachée et à l'arrache, façon reportage, et des dialogues très denses, au point que les sous-titres arrivent à peine à suivre. Du côté de chez Souad, Ayten Amin analyse avec plus de profondeur qu'il n'y parait, de prime abord, le contexte social d'un pays où la jeunesse ne restera pas éternellement frustrée par le manque de liberté, même si Facebook et Compagnie, exutoires idéaux, sont d'autres outils d'aliénation et des miroirs mensongers. Souad est porté par un casting majoritairement amateur, des jeunes filles, en particulier, qui apportent, de par leur vivacité et leur jeu très naturel un souffle de réalisme. C'est sur la longueur qu'il faut apprécier le film qui commence de manière un peu chaotique et se termine à Alexandrie dans une sereine mélancolie.
Et il y eut un matin de Eran Kolirin. Sortie le 30 mars
Le conflit israélo-palestinien, parce qu'il est aussi bien tragique qu'absurde ou inextricable, peut être montré de bien des manières, ce que le cinéma de la région ne cesse de faire, avec souvent bien du talent et de l'originalité. C'est le cas pour Il y eut un matin où Eran Kolirin retrouve un niveau qu'il n'avait plus atteint depuis La visite de la fanfare. Dans la description d'un village palestinien soudainement isolé par un barrage de l'armée israélienne, le film s'intéresse avec une gravité mélangée d'ironie à un territoire préoccupé : par les coupures de courant, l'absence de réseau téléphonique, la pénurie de vivres, etc. C'est un moment charnière qui révèle aussi des crise latentes : de couple ou de famille ou encore entre des populations arabes aux intérêts divergents : profiteurs, modérés ou même illégaux. Ce petit monde en autarcie, Kolirin le scrute avec une certaine tendresse mais n'épargne pas les mauvais comportements. Mais, au-delà de ce village, c'est tout un système d'exploitation et d'ostracisme que pointe le film. Ce n'est pas nouveau, peut-être, le cinéma palestinien ne se privant pas de la rappeler mais Et il y eut un matin est un film sous bannière israélienne et par là même, sacrément courageux. Présenté au festival du film de Haifa en septembre 2021, il représente officiellement Israël aux Oscars 2022. On ne peut qu'applaudir.
Ariaferma de Leonardo Di Constanzo
Ariaferma est un film de prison, certes, mais pas vraiment comme les autres et pas seulement parce qu'il n'a rien de spectaculaire et qu'aucune tentative d'évasion n'y figure. Le postulat de départ est original : dans une prison vétuste et en passe d'être démolie, 12 détenus restent en attente de transfert, surveillés par autant de gardes. A partir de là, ce huis-clos très resserré et théâtral (ce que la mise en scène inventive de Leonardo Di Constanzo souligne avec intelligence, dans ses images et sa musique) va se développer et enregistrer les oscillations des relations entre deux populations plus proches qu'à l'accoutumée, comme hors du monde. Le réalisateur se défend d'avoir voulu réaliser un état des lieux des conditions pénitentiaires en Italie, préférant mettre en exergue l'absurdité de l'enfermement. Mais on trouve aussi d'autres choses dans Ariaferma et notamment une bonne dose d'humanisme, qui passe par des détails savamment distillés et des comportements transgressifs. Habitués à des castings de non-professionnels, Di Constanzo a engagé de véritables détenus qui tiennent la dragée haute à deux des plus grandes stars du cinéma transalpin, à savoir Toni Servillo et Silvio Orlando; lesquels livrent des prestations hauts de gamme. Riche en scènes très intenses et d'une grande profondeur, Ariaferma, espérons-le, devrait trouver en 2022 les chemins des salles françaises.
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