Cette année à La Rochelle (9)
Densité autrichienne, lucidité ukrainienne et un Jacques Deray pour le plaisir.
Rimini d'Ulrich Seidl
La ville de Rimini évoque un festival de chansons populaires mais aussi la triste fin du cycliste Mario Pantani. Devant la caméra d'Ulrich Seidl, la station balnéaire hors-saison ressemble à un endroit lugubre où stagnent à chaque coin de rue des migrants SDF et où des cars de retraités étrangers viennent écouter un chanteur ringard, lui aussi hors-saison. Ce personnage, gigolo à l'occasion pour de vieilles dames en manque d'amour, est au centre du film du cinéaste autrichien qui n'a pas son pareil pour susciter la gêne dans une poignée de scène de sexe d'une crudité malsaine. Mais si le héros de Rimini a une flamboyance pathétique, et de notables absences dans son rôle de père qui a déserté, Seidl lui accorde un regard qui n'est pas exempt de tendresse, à l'instar de tous ses personnages, même les plus abîmés. Cette humanité qui se love sous les oripeaux de la cruauté, a toujours été présente chez le cinéaste mais elle semble plus accentuée dans Rimini. Dans ce rôle de crooner en quête de dignité, Michael Thomas est prodigieux, monstrueux façon Depardieu dans certains de ses rôles, en bien plus glauque, quand même. Rimini est le premier volet d'un diptyque qui se poursuivra avec Sparta, qui s'attachera au frère du chanteur, à Vienne. La sortie est prévue courant 2023.
Butterfly Vision de Maksym Nakonechnyi
De tous les films récents consacrés au conflit dans le Donbass, Butterfly Vision est celui qui possède sans doute le regard le plus acéré, saisissant la complexité des réactions dans la société ukrainienne, avec un œil panoramique qui scrute sans aménité ce que nationalisme veut dire, y compris dans ses dérives, lors d'une scène particulièrement édifiante. Se déroulant à Kyiv, avec de nombreux flashes sur le théâtre de guerre, le premier film de fiction du jeune réalisateur Maksym Nakonechnyi ne montre pas la violence frontalement, axant son récit sur les traumatismes d'une combattante tout juste libérée de captivité du camp des séparatistes. Le cinéaste maîtrise parfaitement son sujet, tant sur le plan humain que sociétal, intégrant de manière efficace les jugements des citoyens de la rue, des médias ou des réseaux sociaux. Loin du front (avant l'invasion russe de février 2022), le film avance patiemment, sans esprit partisan marqué, insistant sur le traumatisme d'une femme dont personne ne peut comprendre les sévices psychologiques et physiques qu'elle a subi, même son entourage le plus proche. Butterfly Vision est l'histoire d'une lente reconstruction, entamée seule contre tous, à travers des décisions parfois douloureuses, et que Maksym Nakonechnyi raconte avec à la fois puissance et pudeur, utilisant à bon escient réminiscences du passé et ellipses temporelles audacieuses.
Flic Story de Jacques Deray, 1975
Flic Story est visible sur toutes les plateformes mais inutile de dire que sur grand écran, dans une copie restaurée, lors d'une projection organisée lors du Festival de cinéma de La Rochelle, son ampleur n'est pas la même. Le plaisir est dans les détails, dans la reconstitution impeccable du Paris de l'après-guerre, dans les dialogues ironiques auxquels a collaboré Alphonse Boudard, dans les cascades de Rémy Julienne et la musique de Claude Bolling, dans la minuscule apparition de Christine Boisson, jeunette, et dans la classe discrète de Claudine Auger. Sans parler des gueules des seconds rôles (Pousse, Salvatori, Biraud, Crauchet, Guybet ...). C'est un fait, Jacques Deray n'est pas Jean-Pierre Melville mais son efficacité d'exécution ne souffre d'aucune contestation, notamment dans la construction habile du récit autobiographique de Roger Borniche. Alain Delon fait juste qu'il faut et Jean-Louis Trintignant excelle dans le rôle de Buisson, tueur au sang de reptile. Que le flic soit fasciné par le truand, voire envie le cours de son existence, de laquelle les soucis hiérarchiques et la paperasserie administrative sont exclues, n'est pas l'aspect le moins intéressant d'un film qui allie un passionnant travail documentaire à un sens certain d'un romanesque (romantisme) désuet comme une Traction avant qui file dans la campagne francilienne.
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