Cinéphile m'était conté ...

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Carrousel de vieux films (Octobre/1)

Le sang à la tête, Gilles Grangier, 1956

Ancien débardeur, François Cardinaud a mis trente ans à devenir l'un des hommes les plus importants de La Rochelle. Un dimanche, sa femme disparait. Un après Gasoil, déjà excellent, Grangier signe ce qui est peut-être son meilleur film, adapté d'un roman de Simenon dont il tire la quintessence dans le plus pur respect de son atmosphère de grisaille. L'histoire d'un homme haï pour sa réussite sociale, par les petits comme par les grands bourgeois. La vision très pessimiste de l'âme humaine de l'écrivain est ici portée à son acmé, avec des dialogues percutants d'Audiard et une interprétation magnifique de Gabin (celle de Frankeur est également remarquable). Par ailleurs, la photogénie de La Rochelle est admirablement mise en valeur. Cette chronique sociale, filmée sans chichis esthétiques, vaut aussi pour son dénouement, à l'opposé du drame sanglant que la progression narrative semblait indiquer.

 

Un homme marche dans la ville, Marcello Pagliero, 1950

La femme d'un docker du Havre réussit à séduire un camarade de son mari. Ce dernier est tué par un inconnu qu'on ne retrouvera jamais. Intéressant, le cas de ce Marcello Pagliero, réalisateur, acteur, scénariste et producteur qui participa à l'aventure du néo-réalisme italien derrière et devant la caméra, notamment avec Rossellini. Un homme marche dans la ville, qui est son premier film français en tant que réalisateur, provoqua l'ire du Parti communiste et de la CGT qui y déplorèrent la vision de l'ouvrier français "qui boit et qui fornique comme un existentialiste" (sic). Le film n'est pas élouissant, trop engoncé dans sa noirceur et un peu juste dans son scénario, mais restitue avec force l'atmosphère du Havre de la fin des années 40 qui porte les stigmates des bombardements de 1944. A cet aspect documentaire s'ajoute le bon niveau de l'interprétation, surtout du côté des seconds rôles (Deniaud, Dalban).

 

Lucrèce Borgia, Christian-Jaque, 1953

Après être passée dans les bras de multiples amants, Lucrèce Borgia a trouvé l'amour en son second mari, imposé par son frère César. Mais ce dernier veut sacrifier l'époux. On n'attend pas du film des vérités historiques, assez difficiles à connaître d'ailleurs après la réputation de libertine (pour être poli) que la postérité lui a réservé et que conteste aujourd'hui la plupart des historiens. Le père de Lucrèce, le pape Alexandre, n'apparait pas ici et la jeune femme semble surtout soumise au bon vouloir de son frère jusqu'à l'inimitié finale. Rien non plus sur la Lucrèce protectrice des arts mais ce n'est pas le sujet. Le film est surtout un véhicule pour Martine Carol, épouse du réalisateur à l'époque. Le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'est guère convaincante dans la tragédie et ne fait pas le poids face au mexicain Pedro Armendariz, même doublé, formé par le cinéma de son compatriote Emilio Fernandez. Le technicolor est fastueux, les costumes sont somptueux (ils auraient obtenu un César s'ils avaient existé à ce moment-là) et les scènes d'action sont rondement menées. Mais que de pesanteurs pour le reste avec des dialogues qui confinent au ridicule. Beaucoup de seins dénudés également pour émoustiller le spectateur des années 50. Bref, on trouve le temps un peu long même si on s'amuse d'une brève scène avec un Maurice Ronet qui, pour une fois, joue comme un cochon.

 

Le ruisseau, Maurice Lehmann, Claude Autant-Lara, 1938

Un marin découvre une passagère clandestine qui se révèle être une orpheline fugueuse. Il la confie à sa mère, vedette de music-hall. Après L'affaire du courrier de Lyon et avant le célèbre Fric Frac, Claude Autant-Lara assiste l'homme de théâtre Maurice Lehmann dans ce mélodrame scénarisé par Jean Aurenche d'après une pièce de théâtre. Et ma foi, ce n'est pas désagréable du tout en particulier parce qu'on y chemine du côté de Montmartre et de Montparnasse dans l'univers des établissements de nuit fréquentés par des individus plus ou moins douteux. C'est au fond l'histoire assez simple de la petite oie blanche (le premier rôle de la délicate Gaby Sylvia qui n'a pas eu la carrière qu'elle méritait au cinéma) introduite dans un monde interlope et croyant naïvement à l'amour. Le film est défendu par deux interprètes charismatiques et au rôle gratiné : la grande Françoise Rosay et l'immense Michel Simon. Ginette Leclerc, de son côté, n'a qu'une paricipation épisodique. Petite surprise à la fin du film : l'apparition presque subliminale de Bernard Blier en chauffeur de taxi. Et Le ruisseau se termine de la façon la plus morale possible avec l'amour qui triomphe.

 

Jofroi, Marcel Pagnol, 1933

Un vieux paysan a vendu son verger à un voisin. Mais devant la décision de ce dernier de couper les arbres, Jofroi menace de se suicider. Deuxième film de Pagnol, ce moyen-métrage est adapté d'une courte nouvelle de Giono. Argument minimaliste, soit, mais qui fleure bon une Provence villageoise avec ses archétypes. Les dialogues sont excellents avec une tendance à l'humour noir. L'humanité de Pagnol est toute entière dans ce qui est mieux qu'un brouillon de ses prochaines grandes réalisations. Pour une fois, le musicien Vincent Scotto revêt les habits de comédien et il est remarquable dans le rôle d'un paysan qui met en émoi toute une communauté par son chantage au suicide.

 

 

 

 

 



08/10/2018
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