Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Bons baisers d'Arras (8)

 

Tutti frutti européen en cet avant-dernier jour de festival. Avec des films allemand, finlandais et belge. En guise de dessert : le dernier métrage de Yorgos Lanthimos : La favorite.

 

The most beautiful couple de Sven Taddicken

 

 

The most beautiful couple commence par une agression à Majorque. Froide, clinique et inquiétante. Pour un peu, on se croirait dans un film de Haneke. Mais avec le retour en Allemagne, cette référence est vite balayée. Nous voici au plus près d'un couple qui a vécu un traumatisme et qui s'en est guéri de façon différente. Le hasard et les coïncidences de l'existence vont les ramener auprès de leur cauchemar. Le réalisateur de The most beautiful couple, Sven Taddicken, n'est pas un inconnu : on lui doit notamment l'excellent Le bonheur d'Emma. Son dernier film est une véritable enquête psychologique, voire psychanalytique, mais c'est aussi un film sur la résilience et sur les conditions de la survie, ensemble après avoir traversé une terrible épreuve. Plus que de vengeance éventuelle, il y est question de l'équilibre d'un couple y compris quand les événements ne sont pas vécus de la même manière par ses deux composantes. Le travail de réalisation de Taddicken est subtil et sans emphase, parfaitemant adapté à un scénario qui ménage un suspense intime très bien agencé. Pour que le film soit réussi, il était nécessaire que ses deux acteurs principaux soient parfaits. Luise Heyer et Florian Bartholomäi le sont, de bout en bout.

 

The eternal road d'Antti-Jussi Annila

 

L'histoire vécue par le héros de The eternal road est incroyable mais vraie. Celle d'un finlandais qui, dans les années 30, échappe de peu à la mort et fuit en URSS. Où il est chargé, contre sa volonté, d'espionner les membres d'un kolkhoze, constitués d'émigrés américains, canadiens et finlandais, qui ont répondu à l'appel de Staline de rejoindre ce "paradis pour les travailleurs." La vie de Jussi Ketola est jalonnée de drames dans un contexte politique très fort et avec une ampleur romanesque qui laissaient espérer un film à la hauteur émotionnelle de son personnage. Las, s'il ne manque aucun bouton d'époque à la reconstitution historique, The eternal road ressemble surtout à un produit manufaturé pour plaire à l'export et, si possible, séduire les publics des festivals et pourquoi pas des Oscars. La réalisation est propre et la narration rythmée mais on n'y trouve pas le supplément d'âme susceptible d'éveiller un véritable enthousiasme de notre part. On ressent peu d'émotions, à vrai dire, alors que l'itinéraire de Jussi Ketola est de ceux qui devraient toucher au plus profond. Le jeu trop languide de l'acteur Tommi Korpela et son absence de charisme (pour montrer qu'il était un homme ordinaire ? Moui) ne sont pas seuls en cause mais ils contribuent à ce qu'on ne se sente pas concerné plus que cela. Mieux vaudrait, sans doute, lire le livre dont s'est inspiré le film d'Antti-Jussi Annila.

 

Emma Peeters de Nicole Palo

 

Emma Peeters a décidé de se suicider le jour de ses 35 ans. Cette actrice d'origine belge a été incapable de s'imposer à Paris et elle ne voit pas d'autre option dans l'immédiat. Qu'on se rassure, le film de Nicole Palo est une comédie qui louvoie entre humour noir, mélancolie et sens de l'absurde. Le ton est vif, les dialogues bien balancés et le rythme assuré. Ce qui est dommage, c'est que le scénario est un peu mince et que sa progression est cousue de fil blanc. De plus, les seconds rôles n'y sont guère étoffés et sont porteurs de clichés que l'on devrait pouvoir éviter (les coiffeurs homos, les parents péquenauds). Oui, mais voilà, l'interprète principale d'Emma Peeters, quasi présente en continu, c'est la merveilleuse Monia Chokri. On l'a vue meilleure encore chez Dolan, notamment, mais elle a l'occasion ici de faire feu de tous bois et c'est un régal pour ceux qui l'aiment, évidemment. Grâce à elle et à quelques scènes divertissantes, on passe plutôt un moment agréable devant ce film sans prétention. Pour une oraison allègre.

 

La favorite de Yorgos Lanthimos

 

Et un film en costumes pour Yorgos Lanthimos. Ceux qui s'attendent à ce que le cinéaste grec dépoussière l'histoire anglaise ne seront pas déçus. La favorite est à peine moins radical que Canines ou The Lobster mais comme il est fidèle, dans les grandes lignes, à l'histoire du règne d'Anne d'Angleterre, le film marque un renouvellement bienvenu dans la carrière du réalisateur. La favorite raconte la guerre farouche qui opposa la favorite de la reine à sa cousine, qui n'avait pas d'autre objectif que de la supplanter, quitte à utiliser les plus basses manoeuvres pour y parvenir. C'est à un combat de garces (c'est le terme le moins trivial que l'on puisse utiliser) auquel le spectateur est invité à assister avec moult injures et actes d'une moralité douteuse. En même temps, c'est une lutte politique sans merci qui s'engage puisque ces femmes influencent voire dirigent toute la diplomatie anglaise de l'époque, dans le contexte d'une guerre contre la France (nous sommes au début du XVIIIe siècle) et de l'opposition entre Whigs et Tories. Une cour des grandes où tous les coups sont permis et les hommes des objets que ces dames traitent selon leur bon vouloir. Ceux qui n'aiment pas le cinéma de Lanthimos trouveront sans doute le film vulgaire et outrancier dans sa vision historique. Mais cela fait intégralement partie du plaisir de ce long-métrage, qui est aussi une farce grotesque, réalisé avec une maîtrise et une virtuosité stupéfiantes. Le trio d'actrices est dément : Olivia Colman en souveraine infantile, entourée de sa cohorte de lapins ; Rachel Weisz en maîtresse de la reine, cruelle et arrogante ; Emma Stone en arriviste forcenée et manipulatrice. Cette dernière, à mille lieux de La La Land, domine la distribution en incarnant son personnage avec une délectation manifeste.

 



10/11/2018
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