Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Bons baisers d'Arras (7)

 

Complètement à l'est avec 4 films de la compétition européenne : Pologne, République tchèque, Estonie, Roumanie. Et l'avant-première de Border pour finire la journée en beauté (façon de parler) !

 

Panic Attack de Pavel Maslona

 

Panic Attack enchevêtre une dizaine de récits pour un film choral qui débute par un suicide. Humour noir à tous les étages pour ce film polonais qui rappelle farouchement dans l'esprit Les nouveaux sauvages. Une tapisserie caustique et cruelle assez réjouissante dans l'ensemble mais qui pâtit quelque peu de sa profusion de personnages, certains étant parfaitement superfétatoires. On admire la construction du film, cependant, qui réussit à se maintenir hors de l'eau et à rester compréhensible malgré le chaos ambiant. Ceci dit, qu'y a t-il de vraiment polonais dans ces situations et ces comportements qui font notamment ressortir une certaine décadence sociale basée sur le capitalisme et la toute puissance de la communication via les réseaux sociaux ? Malgré une certaine virtuosité de l'ensemble et une méchanceté amusante, il reste une certaine gratuité du geste car un doigt d'honneur n'a jamais constitué un discours constructif.

 

Winter Flies de Olmo Omerzu

 

Deux adolescents traversent la République tchèque dans Winter Flies. Une fugue libératrice mais dont on a du mal à cerner les vrais enjeux, si tant est qu'il y en ait dans ce film réalisé par Olmo Omerzu qui, malgré sa nationalité slovène, tourne depuis ses débuts en Tchéquie. Ce road-movie, loin d'être désagréable à regarder, est relativement neutre dans sa tonalité, ni très drôle, ni vraiment dramatique et manque d'informations sur ses deux personnages principaux dont on ne connait pas les motivations à ainsi fuir leur quotidien et encore moins leur background familial. Le film, qui a pourtant reçu le prix de la mise en scène au festival de Karlovy Vary, a un côté atone plutôt frustrant. Rien ne nous lie finalement à ces deux jeunes héros auxquels on s'attache un peu durant la projection mais que l'on oublie assez vite ensuite.

 

Take it or leave it de Liina Trishkina-Vanhatalo

 

Représentant de l'Estonie pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, Take it or leave it est réalisé par une cinéaste débtuante dans la fiction, Liina Trishkina-Vanhatalo. Son expérience de documentariste lui sert ici à raconter de façon extrêmement minutieuse le quotidien d'un père seul pour élever un bébé. La mère, en dépression, est aux abonnées absentes et lorsqu'elle revient réclamer la garde, trois ans après la naissance de sa fille, la réalisatrice prend clairement parti pour le père. Impossible pour le spectateur d'avoir une autre opinion et c'est le seul défaut apparent du film, son hostilité farouche pour la mère sans que celle-ci ait la possibilité de se défendre. Pour le reste, on ne peut qu'être admiratif devant l'intelligente construction du film, notamment sa gestion d'une très belle ellipse, et son orientation finale vers un suspense digne d'un excellent thriller. La mise en scène est sans esbroufe, proche du personnage principal, sans pour autant négliger son environnement. Sa pertinence sociale est une autre grande qualité de Take it or leave it : on y voit un pays, l'Estonie, que beaucoup de ses habitants doivent quitter, notamment pour la Finlande, afin de gagner leur vie décemment.

 

One step behind the seraphim de Daniel Sandu

 

 

Un film roumain sur l'apprentissage au séminaire de futurs prêtres orthodoxes, d'une durée de 2h30. Sur le papier, One step behind the seraphim fait craindre un (très) long-métrage réaliste, contemplatif et exigeant, pour ne pas dire ennuyeux à périr. Eh bien, pas du tout, c'est un film rock'n roll, rythmé et très ambitieux, qui peut se voir comme une lutte de pouvoir acharné entre de jeunes séminaristes et l'autorité religieuse qui règne par le chantage, l'appel à délation et les brimades. Mais la vision de ces étudiants est également pour le moins iconoclaste : ils ne pensent qu'à enfreindre les règles, fréquentent les bars et perdent leur virginité sans coup férir. On est très loin de l'image compassé et bienveillante que l'on a a priori pour ces futurs serviteurs du culte. Il est d'ailleurs très peu question de religion ni même de foi dans One step behind the seraphim, premier long-métrage de Daniel Sandu qui s'éloigne visiblement de l'école roumaine dans sa manière de filmer et de mener son récit. Sa réalisation est bluffante et sa direction d'acteurs impressionnante avec un jeune premier charismatique en diable et un méchant d'anthologie. Un film brillant, où l'on ne voit pas le temps passer tant les enjeux sont forts avec les thèmes de la manipulation et de la trahison en première ligne. Nul besoin de s'emballer mais ce film semble marquer un certain renouveau dans un cinéma roumain qui commençait à s'engluer dans des méthodes de fabrication presque dogmatiques.

 

Border d'Ali Abbasi

 

Border a obtenu le prix Un certain regard au dernier Festival de Cannes. L'intitulé de la récompense va comme un gant à ce film suédois réalisé par l'iranien d'origine, Ali Abbasi. Ce n'est pas tous les jours que l'on découvre un tel long-métrage, situé entre le conte de fées, le fantastique, la légende nordique et le thriller. Et même comédie romantique par certains côtés. Un film atypique qui fait réfléchir aux notions de beauté, de normalité et d'animalité, toutes sérieusement ébranlées pendant pendant plus 100 minutes. Le point d'orgue de Border est la rencontre entre les deux personnages principaux, celle de la bête et la bête, si l'on veut, qui se reniflent, au sens littéral du terme, avant de s'apprivoiser. Une scène autant grotesque que touchante et qui suscite comme réaction un rire franc et massif, de protection peut-être. Mais ce n'est que le début d'une histoire qui va prendre un tour plutôt bizarre. Dans le même temps, une intrigue se noue autour d'une affaire de pédophilie, assez glauque, et même si celle-ci se rattache ensuite au récit central, elle convainc beaucoup moins de son intérêt et dessert nettement le film. En revanche, toutes les moments situés en pleine nature, parfois au contact des animaux, séduisent par leur caractère élégiaque. Avec l'interprétation hors normes d'Eva Melander, Border a le grand mérite de sortir des sentiers battus et d'assumer sa différence, capable de provoquer des sentiments aussi éloignés que l'émotion et le dégoût. Un certain regard sur l'humain, c'est bien de cela qu'il s'agit.

 



09/11/2018
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