Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Bons baisers d'Arras (3)

 

4 films aujourd'hui : un bon rythme de croisière. Au programme du jour, les migrants, les mutations de la Chine, les crimes nazis et une fusillade sanglante. Je ne suis pas là pour m'amuser (j'aimerais bien un peu quand même, mais bon).

 

Styx de Wolfgang Fischer

 

Du personnage principal de Styx, on ne saura que le minimum. La quarantaine, sans doute sans mari et sans enfants, infirmière urgentiste en Allemagne. Et une passion pour la navigation qui la conduit à entreprendre un voyage en voilier vers l'île de l'Ascension. Et d'être soudain confrontée à une situation inextricable face à un cargo en perdition transportant des migrants. Le film est ne laisse d'autre choix que de se mettre à la place de cette femme. C'est visiblement quelqu'un qui par son métier a choisi de s'occuper des autres et dont on ne pourra pas remettre en question les décisions. Très bien mais qu'en est-il d'un strict point de vue scénaristique et cinématographique. Un bon film, c'est une écriture et une mise en scène, quelque soit le sujet. Dans Styx, tout est épuré au maximum et le thème phagocyte largement la forme sans laisser au spectateur une quelconque liberté de penser, confronté qu'il est à des faits qui le dépassent. C'est un film pétri de bonnes intentions et propice à un débat après sa projection mais qui impose ses propres limites du point de vue cinématographique. C'est risquer de se faire traiter de cynique que de juger Styx tellement attendu dans sa façon de traiter un problème qui mérite des débats bien plus amples. L'on peut approuver le message que délivre le film sans pour autant être convaincu par la forme employée.

 

Les éternels de Jia Zhangke

 

La nouvelle fresque en 3 époques signée Jia Zhangke, après A Touch of Sin et Au-delà des montagnes, est relativement surprenante. Moins ambitieuse a priori, moins violente, moins ample et toute empreinte d'une certaine sérénité désabusée. Pour autant, le cinéaste chinois est fidèle à ses thématiques d'historien contemporain de son pays, enregistrant ses mutations dans une narration affutée qui ménage de très belles ellipses. En définitive, autant que l'aspect social, c'est le récit romanesque qui séduit dans Les éternels, mené de main en maître, avec subtilité, avec au passage un portrait de femme superbe tour à tour soumise, défaite puis émancipée (c'est un peu plus complexe que cela, mais c'est l'idée générale). Cette héroïne est incarnée par la propre épouse du réalisateur, Zhao Tao, époustouflante. Elle personnifie avec grâce, autorité mais aussi avec ses failles une Chine nouvelle, peut-être un peu rêvée, où le sexe faible remplacerait le fort, usé et défaillant. Par rapport à ces films précédents, Jia Zhangke semble faire preuve de davantage de maturité, s'affranchissant des excès scorsesiens qui impressionnaient mais faisaient un peu oublier la profondeur de son cinéma. Les éternels semble moins brillant en surface mais il a davantage de poids et de densité tout en continuant à émerveiller par sa virtuosité esthétique.

 

L'interprète de Martin Sulik

 

Le meilleur cinéaste slovaque de sa génération, Martin Sulik, dirige dans L'interprète le grand réalisateur tchèque Jiri Menzel et l'excellent acteur autrichien Peter Simonischek. Sur le papier, c'est assez prometteur et le début du film ne déçoit pas les attentes avec la rencontre d'un rescapé de l'Holocauste avec le fils d'un SS qui est responsable de la mort des parents du premier. Le film prend rapidement la forme d'un road-movie sur les routes slovaques où les deux vieux messieurs vont voir leurs rapports évoluer au fil du voyage. Petit à petit, la fantaisie iconoclaste et l'humour peu politiquement correct qui séduisaient dans la première partie de L'interprète va céder la place à une gravité obligée vu les faits historiques qui remontent à la surface. Malheureusement, le film devient plus convenu à partir du moment où il s'engage sur la voie de l'inévitable : "il n'est pas plus facile d'être fils d'assassin que fils de victimes." Malgré un rebondissement inattendu dans son dénouement, ce rendez-vous entre deux hommes aux origines tellement opposées et aux conceptions de la vie on ne peut plus antagonistes, finit par légèrement laisser sur sa faim. Malgré cela, L'interprète reste un film de très bonne tenue, correctement réalisé et ménageant une poignée de scènes très drôles ou émouvantes.

 

Ne tirez pas de Stijn Coninx

 

Connaîtra t-on un jour la vérité sur la fusillade dans un supermarché d'Alost, en Belgique, qui le 9 novembre 1985 coûta la vie à 8 personnes ? Un attentat attribué aux célèbres "tueurs du Brabant" sans que l'enquête ne débouche depuis ce jour funeste sur un quelconque procès. Cette histoire, c'est à travers le prisme de l'existence d'un des blessés de l'assaut, David Van de Steen, 9 ans à l'époque, que Ne tirez pas, le film de Stijn Coninx, le raconte. Avec un scénario basé sur le livre écrit par David qui vit mourir sous ses yeux son père et sa soeur avant que sa mère ne soit elle aussi achevée par ces tueurs sans visage. Ne tirez pas est le film de la douleur et de la colère de ce jeune garçon qui a grandi et a fait sa vie avec ce souvenir, aidé notamment par un grand-père extraordinaire qui se démena des années durant pour que justice soit faite. Sa magnifique relation avec son petit-fils, son soutien permanent et sa volonté de ne jamais abandonner sont au coeur de ce film d'une force incroyable dans les sentiments, tout en en restant à chaque instant d'une pudeur et d'une retenue extrêmes. C'est évidemment un film politique dans le sens où il dénonce une volonté claire des plus hautes autorités belges de systématiquement entraver la recherche d'élucidation de cette affaire. En s'arrangeant pour que tout ne soit qu'un chaos organisé destiné à ce que les enquêtes n'aboutissent jamais. Le film de Stijn Coninx, par sa puissance narrative, son impact émotionnel et sa facture, classique mais fluide, rappelle les plus grandes réussites du cinéma d'un Francesco Rosi ou d'un Elio Petri. Il bénéficie en outre d'une interprétation époustouflante du très grand acteur flamand Jan Decleir. Le propos du film va bien au-delà des frontières de la Belgique car il évoque, entre autres aspects, le sort des victimes d'actes de violence massive et le courage qu'il leur faut pour surmonter une telle épreuve. La sortie du film en France, pour l'heure pas encore prévue, est une nécessité absolue.

 



05/11/2018
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