Bons baisers d'Arras (2)
Démarrage très tôt avec un austère film israélien. Le voyage s'est ensuite poursuivi en Uruguay, à Jérusalem et en Norvège. Ainsi que dans un sous-marin russe (Kursk), mais de cela, il sera question à sa sortie, mercredi.
Les témoins de Lendsdorf d'Amicha Greenberg
L'histoire du film prend racine dans un massacre qui a eu lieu en 1945 en Autriche. Bien des années plus tard, un historien et chercheur israélien, juif orthodoxe, tente de retrouver la fosse commune où sont enterrées 200 victimes. Sujet austère s'il en est et Les témoins de Lendsdorf traite de cette quête avec minutie l'accompagnant d'un thème plus intime, celui de la judéité du personnage principal. Que le film soit d'une grande sécheresse de ton, cela peut s'entendre mais en revanche il est assez peu explicite sur les tenants et aboutissants de cette enquête douloureuse où les quelques survivants ou témoins de l'époque préfèrent l'oubli à la parole. Les témoins de Lendsdorf est un film sur le déni, sur la mémoire et surtout sur la recherche de la vérité, sentiment vécue jusqu'à l'obsession par l'historien qui y mêle de façon maladroite le passé de sa propre mère. Le film d'Amicha Greenberg est digne et pudique, cela est incontestable, mais un peu trop englué dans sa propre problématique au point de négliger de s'ouvrir un tant soit peu auprès de ses spectateurs.
Compañeros d'Alvaro Brechner
Sale temps pour les pêcheurs, Mr. Kaplan : en deux films, le réalisateur uruguayen Alvaro Brechner s'est imposé comme un cinéaste majeur d'Amérique latine. Son troisième long-métrage, Compañeros, dont le titre original est La nuit de 12 ans, possède une toute autre dimension, moins dans la fantaisie, avec le sujet de la dictature en Uruguay, dans les années 70 et 80. Et plus particulièrement le sort de prisonniers tupamaros qui, pour avoir échappé à la mort, n'en ont pas moins servi d'otages pour le gouvernement, confinés à l'isolement dans différents lieux de détention. Le film s'intéresse plus particulièrement à 3 d'entre eux dont l'un deviendra d'ailleurs quelques années plus tard président de la république d'Uruguay. Mais avant cela, lui et ses compagnons ont connu les privations et les tortures autant morales que physiques sans que jamais ils ne passent en jugement. Il est question de résistance humaine, avant tout. Comment peut-on vivre en étant traité comme un déchet humain sans pouvoir dialoguer avec qui que ce soit ? Alvaro Brechner fait preuve d'une grande maîtrise dans sa mise en scène et le montage témoigne d'une grande intelligence, faisant ressentir de façon épidermique l'abandon de ces hommes et leur incroyable capacité à ne pas s'effondrer malgré les brimades. Il y a aussi une poignée de flashbacks et quelques moments d'humanité, y compris entre geôliers et détenus, qui réussissent à sortir le film de la gangue de douleur dans lequel il aurait pu s'enfermer. Un peu de poésie, un brin d'humour et surtout une formidable bouffée d'émotion finale : Compañeros est un film terrible qui ne cesse pas de croire à la lumière malgré des jours et des nuits complètes d'obscurité. A l'image de ceux qui ont su ne pas céder devant l'arbitraire; pendant 12 ans.
The Reports on Sarah and Saleem de Muayad Alayad
Comment un double adultère peut-il déboucher sur une affaire politique voire même d'espionnage ? Si le scénario de The Reports on Sarah and Saleem ne s'était pas inspiré de faits réels, on aurait effectivement beaucoup de mal à y croire. Mais il faut tout de même préciser que le film se déroule à Jérusalem et à Bethléem et que les deux protagonistes par qui la crise arrive sont une israélienne et un palestinien qui ont une liaison cachée (elle pourrait difficilement être autrement). A partir de ce point de départ, il convient d'admirer l'écriture de ce film qui parvient à créer une atmosphère paranoïaque digne des meilleurs thrillers de Sydney Pollack dans les années 70. Et ce, en se plaçant tantôt côté israélien, tantôt palestinien, sans caricature ni prise de position outrancière. Alternativement, les deux amants et leurs conjoints trompés sont au centre du long-métrage qui par l'intelligence de sa narration plus que de sa mise en scène parvient à maintenir la tension plus de deux heures durant. L'occasion, aussi, de parler d'un pays en quête d'identité et d'une ville, Jérusalem, scindée en deux pour longtemps encore, il faut le craindre. The Reports on Sarah and Saleem n'épargne pas ses 4 personnages principaux mais sans cruauté, leur gardant leur part d'humanité y compris dans les mensonges que chacun s'oblige à échafauder. C'est particulièrement vrai pour les deux femmes, a priori aux antipodes l'une de l'autre, dont le film tire des portraits formidables de délicatesse blessée. Les cinémas israélien et palestinien nous habituent depuis quelques années à du très bon niveau. Le film de Muayad Alayad se situe encore au-dessus de cette haute moyenne.
Utoya, 22 juillet d'Erik Poppe
Pour raconter la sanglante journée du 22 juillet 2011, sur l'île d'Utoya, le cinéaste norvégien Erik Poppe a choisi le genre immersif avec un long plan-séquence de 72 minutes, soit l'exacte durée de la fusillade qui fit 69 morts et de nombreux blessés. La caméra suit en continu une jeune fille au milieu de cette terreur aveugle qui fauche des vies au hasard. Si le personnage est fictif, ce qui est montré est évidemment nourri de tous les témoignages recueillis après les événements. Le film est d'autant plus réaliste qu'il est réalisé par un ancien reporter de guerre pour qui les situations extrêmes n'ont pas de secret. Utoya, 22 juillet est un véritable film d'horreur et il est indéniable que son efficacité est redoutable suscitant une peur constante. Maintenant, se pose la véritable question : en quoi une telle tragédie, si proche dans le temps, devait-elle devenir un spectacle que l'on jugera d'après la tension ressentie ? S'agit-il de rendre hommage aux victimes de cet aveuglement terroriste ou aider à faire le deuil ou encore montrer pour ne jamais oublier ? La réponse n'est pas évidente et elle appartient d'abord aux norvégiens qui ont vécu de près ce drame national. Bien qu'il faille se garder de tout parallèle, la manière du film est proche de celle utilisée par Le fils de Saul. Chaque spectateur ressentira à sa façon une telle expérience, assez traumatisante. On peut aussi choisir de lui préférer le registre du documentaire ou une autre vision des faits, plus large et en intégrant le procès qui suivit, comme celle du film de Paul Greengrass réalisé pour Netflix.
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