Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Le sourire de l'homme-légume (Le clou)

Que pensent aujourd'hui les enfants uniques chinois, nés dans les années 80, de la Révolution culturelle ? A priori rien, assure Zhang Yueran, puisque les parents ou grands-parents n'ont rien raconté et n'ont pas voulu se souvenir, qu'ils aient été dans les rangs des tortionnaires ou des victimes (ou des deux dans la magma chaotique de cette période). La Révolution culturelle et ses dégâts collatéraux, notamment dans les relations familiales et les incompréhensions générationnelles qui ont suivi, telle est la grande ambition de Zhang Yueran dans Le clou, son premier roman traduit en français, aux éditions Zulma. Un livre d'une densité narrative gigantesque qui prend la relève d'auteurs plus âgés tels Yu Hua et Mo Yan, avec la même virtuosité de style mais un sens peut-être moins marqué du burlesque et de l'épique, quoique ... Le clou alterne les souvenirs de deux personnages, lors de leurs retrouvailles, dans des chapitres presque indépendants même si leurs histoires se recoupent parfois. C'est peut-être cela, cette succession des récits, que l'on regrette un peu car il s'agit de la juxtaposition de deux monologues, l'absence d'un véritable dialogue entre les deux protagonistes se révélant parfois frustrante. Ceci posé, Le clou, au travers d'un point de départ tragique (mais réel) qui n'apparait pas dès le début de livre, est d'une richesse infinie, évoquant les cahots de l'histoire contemporaine chinoise, les décisions collectives ayant pour conséquence de briser les destins individuels en oblitérant la nécessaire transmission d'une génération à l'autre. Le sourire de l'homme-légume, martyr de la Révolution culturelle, ou encore l'invention d'un talkie-walkie de l'âme sont deux des images marquantes que l'on garde, parmi d'autres, de ce roman aussi large et impressionnant, par son flot d'événements et de personnages, que le Yang-Tsé-Kiang.

 

 

L'auteure :

 

Zhang Yueran est née le 7 novembre 1982 à Jinan (Chine). Elle a publié plusieurs romans et recueils de nouvelles.

 


26/12/2019
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Il pleut sur la chasse à l'homme (Le lac aux oies sauvages)

 

Repéré avec notamment Train de nuit et l'impressionnant Black Coal, Diao Yi'nan figure parmi les cinéastes les plus prometteurs du moment. Ce que Le lac des oies sauvages ne confirme qu'à moitié tant ce polar nocturne et pluvieux se prend un peu les pieds dans le tapis, dans une stylisation extrême dont les qualités d'atmosphère ne peuvent masquer les défaillances d'un scénario principalement répétitif et contemplatif. Qu'il y règne une certaine opacité dans son récit, ce n'est pas si grave, c'était aussi le cas dans Un grand voyage vers la nuit de Bi Gan mais ce dernier avait pour lui un côté onirique assez fascinant (pas pour tout le monde, évidemment) qu'on ne trouve pas dans Le lac des oies sauvages. L'aspect romanesque, voire romantique du film est sous-jacent mais s'efface devant l'architecture alambiquée et pas si originale que cela de la trame policière, malgré le talent certain du metteur en scène, qui semble d'ailleurs en être un peu trop conscient. La virtuosité du film a quelque chose d'un peu gratuit dans cette chasse à l'homme qui n'est pas loin de tourner en rond et même à vide, loin d'égaler son modèle revendiqué, M le maudit de Fritz Lang.

 

 

Classement 2019 : 108/257

 

Le réalisateur :

 

Diao Yi'nan est né en 1969 à Xi'an (Chine). Il a réalisé Uniforme, Train de nuit et Black Coal.

 


26/12/2019
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Une mère cinglante (La vérité)

 

Après Kiyoshi Kurosawa et une expérience désastreuse (Le secret de la chambre noire), au tour du palmé Hirokazu Kore-eda de se lancer dans un tournage français avec notamment Deneuve et Binoche. Sans être son meilleur film, loin de là, La vérité reste typique du cinéaste japonais, plutôt lent au démarrage mais de plus en plus enthousiasmant à mesure du déroulement de l'intrigue, avec quelques jolies scènes sur la fin, toutes empreintes de subtilité et de poésie. Il s'agit une fois encore "d'une affaire de famille" et plus particulièrement d'une relation complexe entre mère et fille, la première, actrice de son état, se caractérisant par une mauvaise foi systématique, un caractère difficile et un égocentrisme forcené. La vérité intègre avec bonheur l'histoire d'un tournage dans le film qui en dit long sur la compétition entre actrices, y compris avec une défunte. Moments traités avec la finesse coutumière de Kore-eda, entre méchanceté et tendresse. Évidemment, dans le rôle de cette comédienne arrogante et un peu fêlée (dans tous les sens du terme), Catherine Deneuve est impériale, jubilant véritablement à jouer ce personnage autoritaire et cinglant. Juliette Binoche apparait comme un peu en retrait et c'est la jeune Manon Clavel, à la voix envoûtante, qui se révèle, encore inconnue mais vraisemblablement plus pour très longtemps.

 

 

Classement 2019 : 58/256

 

Le réalisateur :

 

Hirokazu Kore-eda est né le 6 juin 1962 à Tokyo. Il a réalisé 14 films dont Nobody knows, Après la tempête et Une affaire de famille.

 


25/12/2019
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Le rossignol (Australie)

 

Le rossignol (The Nightingale), Jennifer Kent, Australie, 2018

Présenté à Venise en 2018, sorti en Australie à la fin du mois d'août 2019, The Nightingale, le deuxième film de Jennifer Kent, après le très remarqué Mister Babadook, atteindra-t-il un jour les écrans français ? Il faut le souhaiter car le film est de ceux qui ne laissent pas indifférent, très violent et sans doute trop manichéen mais d'une puissance telle qu'il dépasse de loin son apparent statut de film de vengeance. L'histoire est celle d'une condamnée d'origine irlandaise, déportée en Tasmanie, dont la raison de vivre est d'éliminer les soldats anglais, ces diables, qui ont fait entrer la tragédie dans son existence. Le contexte est essentiel : en 1825, à la période de la "guerre noire" qui opposait Aborigènes et britanniques en Tasmanie. Certaines scènes de The Nightingale sont proches de l'insoutenable, n'épargnant ni les femmes ni les enfants, dans une ambiance qui rappelle les westerns sanglants de Sam Peckinpah. Le duo que forme l'héroïne et son guide, Aborigène, est l'une des bases de la réussite du film qui évite, autant que faire se peut, les raccourcis psychologiques, misant sur la lente évolution de deux mentalités que tout oppose et sans céder à un quelconque sentimentalisme. Jennifer Kent est radicale dans la mise en images de son propre scénario comme dans sa vision des colonialistes anglais dont la cruauté est sans doute fidèle à la réalité mais aurait pu cependant être un tantinet nuancé. La majeure partie du film se passe dans les forêts tasmaniennes et le rapport à la nature de même qu'une pincée d'onirisme viennent agréablement abaisser la tension de temps à autre. L'écriture brillante de The Nightingale, son efficacité d'exécution et la qualité de son interprétation confirment le talent d'une réalisatrice qui, à l'instar d'un grand nombre de cinéastes océaniens, ne devrait pas tarder à se voir proposer un sujet à Hollywood. Ce qui, forcément, ne serait pas une bonne nouvelle tant on l'attend surtout développer à l'avenir des sujets australiens et personnels.

 

 

Note : 8/10

 


24/12/2019
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Points cardinaux (Les deux papes)

 

Perdu de vue depuis quelques années, le cinéaste brésilien de La cité de Dieu, Fernando Meirelles, revient avec Les deux papes, dont le scénario et le casting prestigieux auraient mérité une exposition dans les salles françaises, comme c'est le cas dans plusieurs pays. Tant mieux pour les abonnés de Netflix qui auront pu en quelques semaines voir les derniers Scorsese, Michôd et Baumbach, excusez du peu. Les conversations imaginaires entre un pape sur le point de renoncer à sa charge (Benoît XVI) et son futur successeur (François) constituent le plan de résistance d'un film qui utilise avec intelligence images d'archives et dialogues plausibles, eu égard à la personnalités des deux souverains pontifes. Et si Les deux papes est passionnant, c'est qu'il n'est pas qu'objet à rhétorique, traçant des portraits on ne plus sensibles d'hommes marqués par leur passé et leurs remords, en Allemagne et en Argentine, au temps des dictatures. Cependant, le film est beaucoup plus proche du pape actuel, revenant sur son passé quitte à prendre quelques libertés avec son histoire, et cette empathie se sent aussi dans le jeu de Jonathan Pryce, beaucoup plus libéré que celui d'Anthony Hopkins. L'affrontement entre deux visions de l’Église qui s'opposent diamétralement, comme deux points cardinaux, c'est le cas de le dire, nourrit la première partie du long-métrage, permettant de survoler les principaux thèmes de friction qui agitent toujours la communauté catholique. Mais le film est surtout réussi par son évolution vers la compréhension qui finit par se faire jour entre les deux papes, avec l'écoute qu'ils finissent par s'accorder, en dépit de leurs désaccords fondamentaux. L'aspect rigoureux du film, qui lui donne parfois une certaine sécheresse, est heureusement contredit parfois par la mise en scène, la musique et l'humour, caractérisé par une poignée de scènes savoureuses (la pizza, le football, la réservation d'un vol). L'occasion de montrer qu'au delà de ses sérieuses prérogatives, un pape n'en est pas moins un homme (presque) comme les autres.

 

 

Classement 2019 : 53/254

 

Le réalisateur :

 

Fernando Meirelles est né le 9 novembre 1955 à Sao Paulo. Il a réalisé 8 films dont La cité de Dieu, The Constant Gardener et Blindness.

 


23/12/2019
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La semaine d'un cinéphile (158)

Lundi 16 décembre 2019

 

Adieu Anna Karina. Ou plutôt à bientôt car si j'ai vu tous ses Godard il me reste à découvrir La religieuse, par exemple.

 

 

Mardi 17 décembre

 

Non, je n'irai pas voir le nouveau Star Wars, cela fait longtemps que j'ai abandonné la saga. En revanche, The Lighthouse m'excite beaucoup. Le genre de film d'atmosphère susceptible de me plaire.

 

 

Mercredi 18 décembre

 

Une nouvelle version de Pinocchio, de Mateo Garrone et avec Roberto Benigni, sort demain dans les salles italiennes. Pour la France, il faudra attendre le 18 mars.

 

 

Jeudi 19 décembre

 

Les classements/bilans de fin d'année commencent à apparaître sur les blogs et dans les magazines. Par exemple, sur Senscritique, où le tiercé gagnant est composé de Parasite, Joker et Midsommer. Mon favori à moi, qui est La favorite, s'y trouve 6ème. Pas si mal.

 

 

Vendredi 20 décembre

 

Les films fantastiques français sont rares, et les bons encore davantage. Alors, pourquoi ne pas miser sur La dernière vie de Simon, qui sort en février ?

 

 

Samedi 21 décembre

 

Les vacances commencent et j'hésite pour mon film du jour, qui sera italien. La fille de Lattuada ou Todo modo de Petri ?

 

 

Dimanche 22 décembre

 

J'ai beau toujours faire mine d'ignorer Netflix, j'essaie de ne pas rater les films susceptibles de m'intéresser. Comme Les deux papes de Fernando Meirelles, par exemple.

 

 


22/12/2019
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Horizon bouché (Au cœur du monde)

 

Contagem, ville périphérique de Belo Horizonte. L'horizon, justement, est particulièrement bouché pour ses habitants des quartiers populaires, sans grand espoir d'atteindre le "cœur du monde", soit une autre vie, moins précaire et plus digne. Dans ce film choral, Gabriel et Maurilio Martins parlent de gens qu'ils connaissent bien, proches de ceux avec lesquels ils ont grandi, ce qui donne à Au cœur du monde une authenticité certaine, renforcée par le travail sur la bande sonore qui donne l'impression d'une immersion totale. Le film est sincère, brutal et politique mais sa narration semble malgré tout erratique, les événements s'enchaînant dans une sorte de désordre qui dessert son propos. C'est encore plus vrai dans sa dernière partie, quand le long-métrage se transforme en thriller, avec un braquage dont on a du mal à saisir tous les tenants et les aboutissants. La forme collective du film qui ne donne la vedette à aucun personnage en particulier participe de sa force de conviction mais contribue dans le même temps à disperser l'attention avec un côté foisonnant qui dilue l'émotion qui devrait être suscitée. Une deuxième vision du film contribuerait sans doute à davantage l'apprécier tant il y a là une frustration agaçante à ne pas pouvoir s'impliquer plus et à ressentir la tension ambiante.

 

 

Classement 2019 : 200/253

 

Les réalisateurs :

 

Maurilio Martins et Gabriel Martins sont nés en 1978 et 1987, au Brésil. Ils ont réalisé 4 courts-métrages.

 


22/12/2019
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Une odeur de rôti (Après la nuit)

 

Une question reste en suspens jusqu'au bout d'Après la nuit, premier long-métrage du roumain Marius Olteanu : d'où vient donc l'odeur de rôti qui flotte autour de l'appartement du couple "vedette" du film. Plus sérieusement, hormis cette énigme accessoire, le film se caractérise par une prétention formelle (format carré, division en 3 segments chapitrés) que contredit un scénario d'un intérêt très limité. D'une certaine manière, Après la nuit pourrait être une satire du cinéma roumain, quand on s'attarde sur certaines de ses constantes, mais encore eût-il fallu qu'il possède un minimum d'humour, ce qui est loin d'être le cas. Son interminable première partie, constituée d'un dialogue entre une jeune femme à moitié hagarde et un chauffeur de taxi à demi compatissant, donne le ton avec ses dialogues anodins et ses lenteurs exagérées. Rien ne viendra ensuite provoquer le moindre émoi autour du vague thème du vivre ensemble sous la pression sociale. Les deux personnages principaux, qui ne sont pas à plaindre, étant donné leur niveau de vie, ne suscitent aucune sympathie et leurs problèmes existentiels ne méritaient assurément pas qu'on leur consacre un scénario.

 

 

Classement 2019 : 240/252

 

Le réalisateur :

 

Marius Olteanu est né le 15 juillet 1979 à Bucarest. Il a réalisé 5 courts-métrages.

 


21/12/2019
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Oraison allègre (Emma Peeters)

 

Emma Peeters a décidé de se suicider le jour de ses 35 ans. Cette actrice d'origine belge a été incapable de s'imposer à Paris et elle ne voit pas d'autre option dans l'immédiat. Qu'on se rassure, le film de Nicole Palo est une comédie qui louvoie entre humour noir, mélancolie et sens de l'absurde. Le ton est vif, les dialogues bien balancés et le rythme assuré. Ce qui est dommage, c'est que le scénario est un peu mince et que sa progression est cousue de fil blanc. De plus, les seconds rôles n'y sont guère étoffés et sont porteurs de clichés que l'on devrait pouvoir éviter (les coiffeurs homos, les parents péquenauds). Oui, mais voilà, l'interprète principale d'Emma Peeters, quasi présente en continu, c'est la merveilleuse Monia Chokri. On l'a vue meilleure encore chez Dolan, notamment, mais elle a l'occasion ici de faire feu de tous bois et c'est un régal pour ceux qui l'aiment, évidemment. Grâce à elle et à quelques scènes divertissantes, on passe plutôt un moment agréable devant ce film sans prétention. Pour une oraison allègre.

 

 

Classement 2019 : 104/251

 

La réalisatrice :

 

Nicole Palo est née en 1977 à Bruxelles. Elle a réalisé Get Born.

 


20/12/2019
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Tempête sous deux cranes (The Lighthouse)

 

 

Certains cinéphiles ont sans doute vu The Pjantom Light (1935) de Michael Powell qui, tout en n'étant pas le meilleur ouvrage du maître britannique, posait déjà les jalons de ce qui devenu une sorte de genre : le film autour de la figure du gardien de phare, avec pour ingrédients immarcescibles : la solitude, la frustration et la démence qui guette. The Lighthouse reprend ces thèmes en isolant deux personnages, le chef (vieux loup de mer) et son subordonné (jeune instable) au milieu de l'océan. Format carré, noir et blanc, mise en scène expressionniste : tout est en place pour que la tempête se déchaîne, en mer comme sous les cranes. Avec son long prologue, sans qu'aucune parole ne soit échangée, le film de Robert Eggers semble marcher sur les brisées du cinéma muet et ce n'est pas une mauvaise idée. Mais assez rapidement, The Lighthouse vire à l'exercice du style avec une narration qui sonne un peu le creux et ses symboles outrés (le phare comme objet phallique). L'affrontement entre les deux hommes donne lieu à tout un tas de scènes croquignolettes et il y a un moment où l'on se prendrait presque à espérer que le long-métrage jouât la carte du grotesque mais c'est méconnaître l'esprit de sérieux d'une entreprise qui vise avant tout à épater la galerie, ce qui n'est évidemment pas tenable sur la longueur, à moins d'être un génie du cinéma, et encore. Impressionné par la maîtrise formelle de Eggers, on l'est assurément, mais peu comblé en même temps par un récit qui se nourrit de fantasmes et d'une escalade émotionnelle proche des films d'horreur. C'est loin d'être une débâcle, cependant, car le duo Dafoe/Pattinson tient plus que ses promesses, le deuxième réussissant même, c'est plutôt inattendu, à se hisser au haut niveau du premier. Pas un désastre, tout au plus une déception vu les ambitions affichées.

 

 

Classement 2019 : 108/250

 

Le réalisateur :

 

Robert Eggers est né le 7 juillet 1983 à Lee (Etats-Unis). Il a réalisé The Witch.

 


19/12/2019
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