Cinéphile m'était conté ...

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Vu à Alès (7)

Dissidente de Pier-Philippe Chevigny

Si le premier long-métrage de Pier-Philippe Chevigny a changé de titre en traversant l'Atlantique, de Richelieu, au Québec à Dissidente , en France, il n'en a pas perdu pour autant sa puissance de feu pour démonter les mécanismes d'un capitalisme qui bafoue au final toute dignité humaine. Un patron français met ici la pression sur le responsable d'une usine québecoise qui n'a d'autre réponse que celle d'exploiter des ouvriers guatémaltèques, dans des conditions de travail exécrables, pour des salaires de misère. L'intelligence du récit de Dissidente vient du choix de son personnage principal, une jeune femme, elle-même aux abois financièrement, traductrice en espagnol et donc chargée de transmettre les instructions d'une directeur d'usine sans scrupules. Un véritable dilemme pour cette héroïne qui n'a pas nécessairement l'âme d'une lanceuse d'alerte mais qui ne peut rester insensible à l'injustice et au statut d'esclaves modernes et invisibles des travailleurs d'Amérique centrale. Ariane Castellanos est pour beaucoup dans la force de frappe de Dissidente, avec son interprétation viscérale qui rappelle celle des meilleures actrices des films de Ken Loach ou des frères Dardenne. Avec en contrepoint la prestation remarquable d'un acteur québécois plus familier, Marc-André Grondin, parfait en salaud de patron.

 

La Mélancolie de Takuya Katô

Le choix de donner au film de Takuya Katô le titre de La Mélancolie va sans doute apparaître comme peu évidente à beaucoup de spectateurs qui trouveront, à juste titre, que celui-ci ne saurait résumer les états d'âme de son héroïne, après la mort de son amant. En même temps, comment résumer avec un seul mot les sentiments de la susdite ? Le film est proche du minimalisme pour conter une histoire de deuil et de vie conjugale pour sa principale protagoniste. Avec un adultère de contrastes, le récit est avant tout psychologique et très intime mais il n'est évidemment pas interdit d'y voir une réflexion sur la société japonaise dans son entièreté, au sein de laquelle la retenue dans les sentiments est censée faire partie des codes. Un peu lancinant et pas toujours captivant dans ses partis-pris narratifs, en dépit du talent de son actrice principale et de l'attachement qu'elle parvient à susciter, La Mélancolie ne cherche pas à s'extraire d'une certaine banalité du quotidien, y compris dans la vie de couple, mais réussit tout de même à maintenir un possible intérêt de par l'élégance de sa mise en scène et de tout ce qu'il incite à voir, au-delà de ses images. Ce n'est cependant pas l'assurance de trouver dans le film de quoi vraiment s'enflammer.

 

Une autre vie que la mienne de Malgorzata Szumowska et Michal Englert

Une autre vie que la mienne est une véritable fresque qui s'étend sur plus de 40 ans d'histoire polonaise mais les événements politiques et sociaux ne sont qu'une toile de fond pour raconter une aventure intime, celle d'une personne née dans un corps d'homme et qui s'est toujours sentie femme. Dans ce corps étranger, Andrzej/Aniela se conforme d'abord à ce que la société attend de lui avant de ne plus pouvoir refuser les étapes de la transition. Le chemin est douloureux mais les réalisateurs, Malgorzata Szumowska et Michal Englert ont aussi voulu le rendre lumineux, avec une mise en scène parfois virevoltante et un récit qui, sans nier les difficultés et oppositions à un tel parcours, fait preuve d'une bienveillance constante, en restant au plus près de son personnage principal dans ses différentes épreuves. Jamais le film ne fait de chantage à l'émotion et joue avec pudeur sur les relations entre Andrzej/Aniela et sa femme, complexes et évolutives, et avec une famille déboussolée. Dans une Pologne où la liberté n'existe toujours pas pour la communauté LGBTQ, le message d'Une autre vie que la mienne est bien entendu capital mais le film, passionnant de bout en bout, ne mérite surtout pas d'être cantonné à cela. Il s'agit bel et bien d'un mélodrame rayonnant dans lequel Malgorzata Hajewska et Joanna Kulig sont absolument formidables.

 



31/03/2024
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