Cinéphile m'était conté ...

Cinéphile m'était conté ...

Une enfance martyrisée (En finir avec Eddy Bellegueule)

Une fois le choc passé, et c'en est un que de lire En finir avec Eddy Bellegueule, beaucoup de questions se posent. Edouard Louis, 21 ans, aurait-il écrit le même livre à 30, 40 ou 50 ans ? Avec le recul, la rage de dire cette enfance martyrisée se serait-elle atténuée, se transformant en analyse plus froide, moins dans la souffrance immédiate et dans la catharsis réparatrice ? L'auteur a voulu témoigner à chaud, sans édulcorer quoi que ce soit, raconter une enfance et un début d'adolescence cauchemardesques dans un petit village picard, une France profonde, rurale et ouvrière dont il décrit avec une précision d'entomologiste les moeurs et la vie quotidienne entre abus de boissons, haine de l'ailleurs, racisme viscéral, culte de la violence et machisme absolu. Une autofiction infernale, sincère er douloureuse dont la lucidité et la radicalité clouent au pilori tous les récits du même acabit qui fleurissent sur les étals des libraires. Edouard Louis n'a (plus) peur de rien, il a tellement vécu dans la crainte, l'opprobre et le rejet de sa "différence" qu'il a tout mis dans l'écriture pour guérir ou, au moins panser, si cela est possible, toutes les blessures physiques et morales encaissées durant des années. On pourra bien l'accuser de misérabilisme ou de tout autre grief, qu'importe, il a sa conscience pour lui et son témoignage, brut et impudique, est tout simplement implacable. Certes, son entourage n'aura jamais le droit d'exprimer sa version, sans doute est-ce la raison pour laquelle le livre est étiqueté roman, mais il y a suffisamment de faits et d'événements de l'existence de Eddy/Edouard pour qu'on ne lui intente pas un procès pour excès de malheur. Et puis, dans la description de cet environnement sordide, un écrivain est né. Sa maîtrise, son pouvoir d'évocation sont hallucinants de maturité. Evidemment que l'on vieillit plus vite quand on reçoit des coups, que l'on se fait traiter de pédé à tout bout de champ et que chaque jour ressemble à un enfer. Edouard Louis en a fini avec Eddy Bellegueule, sa reconstruction est en marche. Puisse t-il trouver son équilibre, désormais. Si cela passe par d'autres livres de cette trempe, ils seront nombreux, ceux qui le suivront dans cette quête de la sérénité et du bonheur; si tant est que ce mot signifie encore quelque chose après de telles souffrances.

 

9782021117707.jpg



22/02/2014
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 50 autres membres